Les liens historiques, culturels et économiques que l’Europe développe avec l’Afrique sont de plus en plus mis à mal. L’Asie a tendance à prendre le pas, économiquement, sur le vieux continent pour alimenter les marchés africains. Si cette démarche asiatique de développer leur présence sur l’Afrique s’est d’abord manifestée sur la côte orientale du continent, pour des raisons de proximité, elle tend depuis quelques années, à se confirmer aussi à l’ouest. La Côte occidentale d’Afrique (COA) n’est plus "la chasse gardée" de l’Europe comme beaucoup d’hommes politiques veulent encore le croire. Les pays asiatiques prennent leurs positions.
Si l’Asie tend à devenir un partenaire commercial privilégié de l’Afrique, et notamment de l’Afrique de l’ouest, il existe peu de preuves matérielles. Les chiffres du commerce extérieur de l’Union européenne et ceux des pays asiatiques ne sont pas suffisamment précis. Malgré tout, quelques données chiffrées sont parfois diffusées. Ainsi, l’ambassade de Chine populaire au Bénin a annoncé le 26 mars que le commerce extérieur de la Chine avec l’Afrique (l’ensemble du continent) s’est élevé à $ 32,17 Md pour les dix premiers mois de l’année 2005. Ce chiffre se répartit entre $ 15,25 Md d’exportations chinoises vers l’Afrique et de $ 16,92 Md pour les importations, en augmentation respectivement de plus de 37 %. Ce même document table sur un volume de $ 37 Md pour l’ensemble de l’année 2005. Entre 2000 et 2005, le commerce de la Chine vers l’Afrique a augmenté de 300 %. Au-delà de ces données officielles chinoises, celles sur les trafics maritimes entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique sont consolidés. Par ailleurs, selon la Cnuced, qui établie chaque année un rapport sur les transports maritimes dans le monde, le volume conteneurisé entre l’Afrique et l’Europe s’élevait à 800 000 EVP en 2004. Il n’est nullement fait référence aux trafics conteneurisés entre l’Asie et l’Afrique. Il n’en demeure pas moins, qu’en 2003, la Cnuced remarquait une recrudescence des services maritimes conteneurisés depuis l’Asie vers l’Afrique de l’Ouest, soit en direct par des armements comme CMA CGM, PIL, Wan Hai, soit avec un transbordement en Afrique du Sud.
D’autre part, l’Union européenne a tiré un bilan pessimiste des ses relations avec l’Afrique. En 2004, les exportations des pays d’Afrique de l’Ouest ont perdu 15 % en valeur, indique la Commission européenne. La parité entre le Franc CFA et l’Euro a rendu les marchandises africaines chères sur le marché occidental, en raison des taux élevés de l’Euro. D’autre part, le coût du cacao et du pétrole ont largement influencé ces relations commerciales. Le premier a vu ses exportations ouest africaines perdre 21 % en valeur et 8 % en volume. Quant au pétrole, il a perdu 23 % en valeur et 35 % en volume.
La Chine, 3e partenaire commercial de l’Afrique
D’un côté le commerce sino-africain progresse alors que celui avec l’Europe décroît. Dans un article du Washington Times du 11 mai, le journaliste estime que les États-Unis et la France demeurent les deux premières puissances commerçantes de l’Afrique de l’Ouest. La Chine vient juste derrière et se taille une belle part du gâteau africain. Dans une étude publiée par l’OCDE en mai (The rise of China and India: what’s in it for Africa? N.D.L.R.), les auteurs démontrent que la croissance des exportations africaines vers la Chine a enregistré un boom depuis 2002. Sur les quinze dernières années, la croissance cumulée des exportations africaines vers la Chine atteindrait 4 000 %. Depuis l’an 2000, la croissance moyenne des importations africaines depuis la Chine et l’Inde serait de, respectivement, 33 % et 20 %.
Quelles marchandises se cachent derrière ces chiffres? Au départ des ports africains, les chinois, notamment, mais aussi depuis peu les japonais, les coréens et les malais, achètent de nombreuses matières premières pour favoriser leur développement. Ce sont principalement du pétrole brut mais aussi des minerais, du bois et du coton. À titre d’exemple, en 2005, la Chine a obtenu un contrat de $ 2 Md d’exportation de pétrole depuis le Nigeria. Des négociations courent actuellement pour étendre ces contrats sur $ 7 Md supplémentaires. Outre le pétrole, la Chine et l’Inde importent du cobalt du Congo, de l’alumine de Guinée, des produits chimiques du Niger et du coton.
En fait, au cours des années, l’Inde et la Chine se sont placées parmi les principaux pays d’exportation de l’Afrique de l’ouest, note le rapport de l’OCDE sur les relations commerciales de l’Inde et la Chine avec l’Afrique. Le Japon, la Corée et la Malaisie viennent chasser sur les terres africaines pour y trouver des matières premières nécessaires à leur croissance.
L’économie africaine déstabilisée
Si l’Afrique exporte beaucoup plus vers l’Asie, elle entretient avec ces pays des relations commerciales à l’import. La fin des accords multifibres et le développement de l’industrie textile chinoise ont permis à l’Empire du Milieu de trouver d’autres débouchés pour ces produits manufacturés. Un bien ou un mal puisque l’Afrique offrait une terre aux pays occidentaux pour produire à moindre coût. L’arrivée de la Chine et de l’Inde sur le marché mondial a bouleversé ces données économiques. D’abord, les produits textiles ne sont plus fabriqués en Afrique mais sont maintenant traités par des "mains" asiatiques. Ensuite, en exportant ses produits vers l’Afrique, la Chine a déstabilisé l’économie africaine. Selon l’article du 11 mai du Washington Times, l’Afrique du Sud a perdu 55 000 emplois dans le textile. Et ce ne devrait être qu’un début. Les autres pays du continent devraient être touchés dans les prochaines années. L’exemple du textile n’est que la partie émergée de l’iceberg. Les productions africaines entrant en concurrence avec des produits asiatiques seront touchées.
La Chine ne veut pas paraître trop impérialiste à jouer un rôle de "colon économique" sur le continent. Elle a récemment accordé une levée des barrières douanières à l’égard des produits africains. Pékin veut mettre fin à la rhétorique pour passer à la pratique. Le gouvernement réfléchit à une nouvelle forme de commerce: le développement sud-sud. Après les relations est-ouest et nord-sud, les relations commerciales "sud-sud" sont basées sur un commerce entre pays en voie de développement dans une stratégie de "win-win" (gagnant-gagnant). Dans un article du Monde diplomatique de mai 2005, Jean-Christophe Servant explique les méthodes de Pékin pour convaincre les gouvernements africains: "Le gouvernement chinois multiplie les promesses, les cadeaux, les références historiques à l’esprit de Bandung (Bandung fut le siège, en 1955, d’une réunion des pays d’Asie et d’Afrique, récemment indépendants, au cours de laquelle une déclaration finale mis sur pied les coopérations économiques, culturelles et politiques de ces pays en dehors des deux blocs de l’est et de l’ouest. Ce fut la naissance du Tiers Monde, N.D.L.R.) et annule une grande partie de la dette de certains États."
Si aujourd’hui l’Afrique voit venir les difficultés économiques des tigres asiatiques, le continent n’en tire pas moins d’avantages en trouvant des marchés à forte demande pour leurs matières premières. De plus, si l’Asie tire son épingle du jeu économique, l’Europe et les États-Unis conservent encore des parts de marché en Afrique. En somme, le continent est en train de devenir le champ de bataille économique entre les pays développés et les nouveaux pays émergents comme la Chine et l’Inde.