Yves Perrin, président d’Armateurs de France: "Le sujet social doit faire partie des premières priorités"

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Journal de la Marine Marchande: Vous avez été élu à la présidence d’Armateurs de France le 4 avril, comment recevez-vous ce mandat?

Yves Perrin: "Le mandat de président d’Armateurs de France dure deux ans. Il s’agit d’une présidence tournante entre les différents secteurs du transport. Le précédent président, Patrick Decavèle, est issu du transport de produits pétroliers. Son prédécesseur, Philippe Louis-Dreyfus, est armateur aux vracs secs. En m’élisant, les adhérents d’Armateurs de France ont fait le choix de confier ce mandat à un armateur opérant dans le conteneur. Certes, le secteur des passagers n’a pas eu de président ces dernières années. Cela s’explique peut-être par le poids de l’État dans le capital de certains de ces armements. Et puis, vous le savez, Brittany Ferries, armement indépendant de passagers, n’est plus membre de notre organisation, ce que nous regrettons."

JMM: Au cours des deux prochaines années quelles seront vos priorités?

Y.P.: "Le sujet social doit faire partie des premières priorités. Quand on regarde ces questions d’emploi, elles se déclinent sur d’autres aspects comme la fiscalité et les aides. Tous les dispositifs juridiques et fiscaux visent à consolider la compétitivité de l’emploi français par rapport à celle des pays tiers."

JMM: Le Registre international français (RIF) est aujourd’hui en ordre de marche. Il a fait l’objet d’une classification en pavillon de complaisance par l’organisation syndicale internationale ITF (International Transport Fédération). Est-ce vraiment la cause du peu d’engouement de ce registre ou de son inadaptation aux exigences de compétitivité?

Y.P.: "La classification du RIF en pavillon de complaisance par l’ITF nuit aux affaires. C’est une des causes du peu d’engouement actuel pour ce registre. Certains industriels refusent de charger sur des navires battant un pavillon inscrit sur la liste des pavillons de complaisance de l’organisation syndicale. Les adhérents d’Armateurs de France, et leurs marins, ont un intérêt objectif à ce que cette classification soit modifiée. Seulement sur ce sujet, il appartient aux syndicats d’agir. Notre seul moyen d’action est d’expliquer notre position aux partenaires sociaux et de dépasser les querelles idéologiques. Ce registre offre des avantages sociaux aux marins en leur accordant une défiscalisation de leur revenu. Au final, je ne comprends pas la position des syndicats français qui ont demandé à l’ITF cette classification. Les adhérents de notre organisation peuvent continuer à travailler sans utiliser le RIF mais en préférant d’autres registres internationaux. En défendant le RIF, nous militons pour la défense de l’emploi des marins français. De plus, cette classification lance l’opprobre sur le pavillon national. Elle touche notre fierté patriotique. Ce dispositif du RIF va de pair avec le GIE fiscal. Ce dispositif permet d’absorber le solde du différentiel de charges que nous impose le RIF en employant des marins français."

JMM: Avec cette différence de point de vue, vous semblez avoir des difficultés à renouer le dialogue avec les partenaires sociaux, notamment pour les navigants. Quelles actions espérez-vous entreprendre?

Y.P.: "La classification du RIF sous pavillon de complaisance a quelque peu figé les relations que nous pouvions entretenir avec les syndicats. Nous pensons qu’il est important aujourd’hui de faire bouger les choses et nous avons besoin de part et d’autre de renouer ce dialogue. Cette situation est préjudiciable à l’emploi français. Tout part de notre divergence de compréhension sur les objectifs du RIF. Mais nous avons d’autres sujets à aborder comme l’aménagement de la convention collective, la sécurité et l’organisation du travail."

JMM: L’enquête sur le GIE fiscal menée par la Commission européenne remet en cause ce dispositif. La Commission doit rendre un avis dans les prochaines semaines. Quelle action entreprendrez-vous sur ce dossier?

Y.P.: "L’enquête est en effet en cours. Cependant, le dossier ne dépend pas de notre organisation. La balle est à Bruxelles. Ce dossier est complexe. Bruxelles considère que le GIE fiscal entre dans le cadre des aides sectorielles qui doivent être notifiées.

L’administration française ne partage pas cet avis et n’a donc pas notifié à la Commission la mise en place de ce dispositif. Les navires ayant bénéficié de ce régime avant l’enquête de la Commission doivent attendre la décision de Bruxelles. Nous devons continuer notre action de lobbying auprès des instances européennes pour éviter qu’une rétroactivité ne s’applique. S’il s’avérait que Bruxelles décide que les dossiers acceptés par l’administration française dans le passé ne sont pas conformes au droit européen, les banquiers seront en première ligne pour procéder éventuellement au remboursement. Cette enquête intervient donc dans un moment difficile, d’autant plus que nous avons besoin du soutien de l’ensemble de la communauté maritime et notamment des institutions financières."

JMM: La Loi de finances rectificative pour 2005 introduit un nouveau système comparable au GIE fiscal. Ce nouveau dispositif a-t-il été notifié à la Commission?

Y.P.: "Lorsque la Commission a critiqué la première version du GIE fiscal, elle a émis des objections sur certains points, notamment les procédures d’agrément de Bercy qui ne paraissaient pas reposer sur des critères suffisamment objectifs. La nouvelle mouture inventorie des critères d’agrément plus objectifs et reprend les critiques formulées par Bruxelles. Cependant, l’administration française maintien sa position sur ce dispositif, considérant qu’il n’est pas une aide sectorielle. La procédure en cours devant l’autorité européenne vise donc à déterminer s’il s’agit d’une aide sectorielle ou non."

JMM: Le secteur des navires à passagers peine aussi à rester dans la compétition européenne face aux autres pavillons européens. Quelles actions souhaitez-vous entreprendre dans ce domaine?

Y.P.: "Certains trafics sont réservés à des pavillons européens. Dans ce secteur, le pavillon français rencontre des difficultés à s’imposer face à la concurrence des registres des pays voisins, notamment en Italie. Notre combat est d’amener le pavillon français à un coût aussi compétitif que le pavillon italien tout en conservant les salaires des marins. Nous souhaitons donc initier un débat sur le salaire net, c’est-à-dire le remboursement des impôts versés par les marins à l’administration. Ces sommes seraient alors remboursées à l’employeur en réduction de ses charges de salaires. Ce « salaire net », déjà en vigueur dans certains pays de la Communauté, permettrait de rendre plus compétitif notre pavillon. Ce qui me choque dans ce secteur ce n’est sûrement pas que des armements français utilisent le pavillon italien mais plutôt qu’ils soient obligés de le faire pour demeurer compétitifs et pour éviter ainsi de laisser leur place à d’autres armements européens plus compétitifs."

JMM: Dans le même ordre d’idée, le ministre a déploré le peu de réalisations d’autoroutes de la mer. Il a aussi appelé à un soutien du transport maritime à courte distance. Pour cela, il a demandé une relance du BP2S (Bureau de promotion du short sea). Pensez-vous que cette relance suffise?

Y.P.: "En matière de cabotage et « d’autoroutes de la mer » la problématique est complexe. Nous avons des réalisations, par exemple la ligne initiée par Louis-Dreyfus et Grimaldi entre Toulon et Civitavecchia, mais elles sont peu nombreuses et leur existence encore fragile. La concurrence que se livrent la route et le maritime joue aujourd’hui en faveur du routier. Cette préférence tient à la souplesse de réactivité des camions, à certaines rigidités de travail dans les ports, au fait que le montant des péages autoroutiers ne contribue pas aussi complètement à l’amortissement des infrastructures qu’une facture de fret maritime et, enfin, aux interprétations différentes de la réglementation entre les pays européens. Ainsi, l’Espagne, par exemple, accorde systématiquement des dérogations pour que les camions roulent le dimanche. Nous savons par ailleurs que les réglementations sur la taxe à l’essieu ou le temps de travail ne sont pas appliquées par tous avec la même rigueur. Il faut donc demander, entre autres, une harmonisation de l’application de la réglementation européenne et travailler à la réduction de l’écart de prix de revient entre la route et la mer. Quant à la relance du BP2S, il s’agit avant tout d’une organisation qui vient réfléchir à des solutions alternatives. L’idée d’y associer au plus haut niveau les transporteurs routiers est une démarche constructive."

Propos recueillis par Hervé Deiss

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