Les ports de Zeebrugge et de Dunkerque sont géographiquement très proches, se ressemblent beaucoup. Ils ont aussi les mêmes clients au conteneur. Pourquoi, dans ce domaine, le port français est-il distancé ?
François Soulet de Brugières : J’y vois au moins deux raisons. La première est l’attente de la conclusion des négociations concernant la vente de l’exploitant du terminal, la société NFTIou. La seconde est affaire d’image. Dunkerque doit encore construire son image de port à conteneurs. Ce n’est pas une évidence, même pour les chargeurs français. Je suis convaincu que dès que la nouvelle configuration sera en place, les choses vont évoluer rapidement, en particulier vis-à-vis des deux plus gros partenaires que sont Mærsk Line et CMA CGM.
JMM: Vous êtes l’avocat des chargeurs au conteneur à Dunkerque. Que veulent-ils?
F.S.d.B : Les chargeurs veulent un port fiable, un port proche, un port capable de stocker les conteneurs pour leur compte le temps nécessaire. Je pense que le développement des ports intérieurs comme Delta 3 sera particulièrement favorable à Dunkerque. Nous sommes en train de le prouver, en augmentant considérablement le nombre de conteneurs en mouvement sur la liaison Dunkerque/Delta 3. Les conteneurs destinés aux nouveaux entrepôts de Delta 3 passeront de plus en plus par Dunkerque.
JMM: Dunkerque est-il en train de gagner la bataille de son proche hinterland?
F.S.d.B : "En tout cas, notre port est en train de la mener vigoureusement. Nous partons de très bas, sur un segment très concurrentiel, sans aucune protection géographique. Nous n’avons pas de grande vallée derrière nous. Mais nous avons d’autres atouts, et nous les jouons. Nous disposons d’un port en état de marche, où la communauté portuaire est solidaire sur ses objectifs, qui trouve des alliés efficaces dans l’organisation de ses liaisons avec l’hinterland. Autant d’atouts qu’il faut valoriser.
JMM: Cependant les grands entrepôts logistiques s’implantent dans le triangle Lille-Valenciennes-Lens, plutôt qu’à Dunkerque Ouest?
F.S.d.B : Oui, et c’est bien logique. Les distributeurs qui travaillent en priorité les grands territoires métropolitains du nord de la France et de Paris ont intérêt à ce placer au plus près de leur centre d’activité. La vocation de Dunkerque dans le domaine logistique est plutôt de se placer au service du Benelux et du Royaume-Uni. La tendance aujourd’hui est de moins en moins à la spécialisation des entrepôts, mais plutôt à une logique de zone de distribution. La distinction entrepôts overseas et entrepôts nationaux disparaît. Cela tient au fait que l’on maîtrise mieux toutes ces opérations. L’international aujourd’hui n’est plus un point critique.
JMM: Tous les concurrents de Dunkerque montrent à leurs clients des projets de développement très impressionnants. Comment Dunkerque voit-il son avenir?
F.S.d.B: "Il fallait débuter une réflexion, c’est fait. Ce travail est pour le moment discret. Le directeur général Jean-Claude Terrier l’a engagé en interne. Le Conseil d’administration en sera saisi. Le Port autonome a besoin de définir là où il veut aller de manière claire, pour lui-même, pour ses fournisseurs, ses partenaires publics, ses clients, ses voisins. Nous ne sommes pas en retard. Nous pouvons accroître notre activité de manière très significative avec l’infrastructure existante, moyennant des investissements raisonnables du PAD et de ses partenaires privés. Mais les perspectives à venir exigent des moyens supérieurs aux capacités d’autofinancement présentes."
JMM: Dunkerque reste le grand port du vrac. Les droits de port augmentent de nouveau dans cette filière. Les principaux clients en sont-ils satisfaits?
F.S.d.B: "Je ne les ai pas entendu se plaindre. Il est vrai qu’ils sont provisoirement trop peu représentés au Conseil d’administration. Mais en ce qui concerne les droits de port, qui augmentent aussi ailleurs, l’objectif du PAD est de rester dans la fourchette concurrentielle, et si possible, dans la partie basse de cette fourchette. J’ajoute que notre investissement de 5 M€ dans l’électrification de la voie des Huttes est plus qu’un signe. C’est un acte fort. Nous agissons pour que nos clients chargeurs puissent abaisser le coût global de la tonne rendue dans leurs installations. Ce n’est pas seulement une question de tarif au terminal. La reprise des voies ferrées par l’autorité portuaire procède de la même logique. Il s’agit de faire en sorte que le client bénéficie des meilleures conditions de marché."
JMM: Le PAD a accueilli et accueillera des investissements qui apporte la concurrence à un cimentier présent dans la région et à Dunkerque. Est-ce son rôle?
F.S.d.B: "Les cimentiers en place rêvent partout de rester seuls. De nouveaux opérateurs crédibles arrivent et proposent des produits d’importation. Les premiers arrivés protestent d’une concurrence déloyale, parce que les produits importés ne supportent par les taxes européennes sur les émissions de CO2. J’entends bien. Mais je réponds toutefois que ce problème doit être posé à Bruxelles devant la direction générale de la concurrence et se traduire en termes douaniers. Si l’UE et la France ne s’opposent pas à cette importation, nous en nous y opposerons pas non plus. Tant que des opérateurs veulent investir sur notre port et développer des trafics conséquents sur des bases légales, nous n’avons pas vocation à nous y opposer."
JMM: Le trafic roulier transmanche se développe à Dunkerque depuis huit ans, en concurrence avec le port de Calais notamment. Ne craignez vous pas un arbitrage régional défavorable à l’issue de la décentralisation?
F.S.d.B: "Les clients nous font comprendre que nous sommes légitimes à avoir du trafic. Norfolkline trouve une clientèle. Cette offre s’inscrit-elle dans le cadre de l’activité régionale portuaire? J’attends que les nouvelles autorités décentralisées soient installées. Avec l’appui du président de la Communauté urbaine de Dunkerque et du Syndicat mixte de la Côte d’Opale Michel Delebarre, nous effectuerons alors les démarches nécessaires pour dialoguer avec Boulogne, Calais, et le réseau des ports fluviaux. Chacun mène une réflexion d’avenir à 5, 10, 15 ou 20 ans. La nouvelle autorité décentralisée va définir des lignes de conduite. Il est clair que sur bien des points, une réflexion commune est souhaitable. La nouvelle situation mènera-t-elle à davantage ou à moins de mise en commun? Je ne le sais pas. Je crois qu’il faut tenir compte des réalités, sans s’ignorer."
Propos receuillis par Alain Simoneau
François Soulet de Brugières
Élu président du PAD en octobre dernier, François Soulet de Brugières, 52 ans, est directeur général de la SRS (Société de Recherche de Synergie), la structure de coordination mise en place par le groupe Mulliez (Auchan entre autre) pour faire naître des synergies, notamment dans le domaine logistique, entre ses filiales. Administrateur du PAD depuis 2004, il était alors responsable de la supply chain import de Leroy-Merlin. Diplômé de l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC) et de l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Bordeaux, il fut notamment enseignant en marketing à la San Jose State University (Californie/USA), maître de conférence chargé des cours de logistique internationale à l’Université de Bordeaux IV, consultant en commerce international spécialisé en questions douanières et logistiques, enseignant à l’Académie des finances de Moscou. En 1994, François Soulet de Brugières a participé à la création de Medilog (société assurant la centralisation biologique d’essais cliniques), une activité reprise en 1996 par le groupe Clasquin (commissionnaire de transport) dont il devint le vice-président, avant de rejoindre Leroy-Merlin.
Le conteneur en force
Le Conseil d’administration du PAD reflète clairement la volonté de l’établissement de s’allier à Lille pour développer le conteneur. En octobre 2004, il a accueilli trois administrateurs issus du monde des chargeurs au conteneur, les responsables logistiques de Roquette Frères, Leroy-Merlin et La Redoute. Dans le même temps, le monde économique local, à travers la CCI de Dunkerque, a gardé une présence forte au conseil. L’ancien président du PAD atteint par la limite d’âge, Jo Dairin, a d’ailleurs été élu vice-président. Mais sans doute manque-t-il un ou deux sièges à ce conseil, car les deux premiers chargeurs du port, Arcelor et Total, sont pour le moment absents. Cette situation devrait évoluer, tôt ou tard.