Toutes les cartes bougent, la redistribution ne fait que commencer. Sur la ligne transmanche la plus courte Calais/Douvres, la compagnie Hoverspeed a cessé ses rotations en novembre 2005.
Malgré de bonnes performances en trafic, elle ne pouvait faire face à des frais de structure désormais inadaptés (1) et à des charges d'exploitation très affectées par la hausse des prix des carburants.
De son côté, P & O Ferries a retiré de flotte le P & O Aquitaine et n'aligne que:
• les navires mixtes Pride-of-Kent et Canterbury récemment rénovés mais dont la conception date du début des années quatre-vingt-dix;
• les Pride-of-Dover et Calais, âgés de vingt ans;
• le navire de fret pur European-Seaway;
• le Pride-of-Burgundy, ancien également.
D’autre part, la vente du groupe P & O hypothèque cette présence. Si DP World emporte la dernière enchère, que fera-t-il de cette activité spécialisée, qui nécessite un examen du marché route par route? Peut-on imaginer que le pavillon britannique abandonne le transmanche? C’est peu probable. Mais alors, qui achèterait cette entreprise en perte de vitesse et qui a besoin de renouveler sa flotte sur un marché délicat pour longtemps?
Sur la ligne Calais/Douvres, la compagnie française SeaFrance représente le dynamisme de la route courte. Elle a engagé le renouvellement de sa flotte avec les entrées successives du Rodin fin 2001 et du Berlioz fin 2004. Elle tente aujourd’hui "l’aventure" à six navires, essentiellement pour garantir un grand nombre de départs à ses clients "fret". Le Rodin avait été l’occasion d’une véritable reconquête du marché dans un contexte relativement porteur. Le Berlioz, de conception très proche de celle du Rodin, a débuté dans une ambiance beaucoup plus sombre et de surcroît torpillée par l’accident du poste 7 à Calais. Les SeaFrance-Rodin et Berlioz fonctionnent au maximum de leurs possibilités, compte tenu des arrêts techniques annuels obligatoires. Les SeaFrance-Manet, Renoir et Cézanne, (l’un étant utilisé uniquement pour le fret) et le navire de fret pur Nord-Pas-de-Calais complètent la flotte. Ces navires, petits au sens actuel et anciens dans leur conception et leurs équipements, sont néanmoins bien entretenus et utiles. Le président de SeaFrance Eudes Riblier a décidé de les utiliser en complément, pour garantir toute l’année 23 départs/jour dans chaque sens, surtout quand l’un des deux grands navires récents est en arrêt technique. La compagnie vise ainsi essentiellement le marché du fret, aujourd’hui colonne vertébrale du modèle économique des ferries.
Pour la seconde année consécutive, SeaFrance est probablement lourdement déficitaire en 2005 et subira encore une perte en 2006.
Son actionnaire SNCF exige le retour à l’équilibre sur un marché difficile. Eudes Riblier espère l’atteindre dès 2007. Dans un premier temps et après de laborieuses négociations, les personnels d’exécution (fin novembre) et les officiers (fin décembre) ont signé un accord d’armement à six navires à effectif constant de navigants. Les marins ont fourni le gros de l’effort en termes d’effectifs de bordées et les officiers ont lâché du lest sur les rémunérations. De son côté, la direction parle de "partenaires sociaux très responsables".
Modèles divergents
Les négociations ne sont pas achevées. Pour atteindre l’équilibre, SeaFrance doit réduire encore ses effectifs. La direction propose aux partenaires sociaux une suppression de 88 postes: 60 pour les navigants et 28 pour les sédentaires. Logiquement, les postes liés au tourisme sont les plus exposés, dont ceux de la billetterie à cause des achats par internet. Pour éviter tout licenciement sec, la direction mise sur les départs en retraite. Elle pourrait également demander à la SNCF de reclasser les cheminots détachés chez SeaFrance.
Pourquoi le pavillon britannique délaisse-t-il le détroit? Pourquoi tant d’efforts sont-ils nécessaires pour y maintenir le pavillon français? C’est bien sûr le manque de rentabilité. Le président du directoire de SeaFrance y voit quatre raisons en 2005, "parmi lesquelles toutes ne sont pas récurrentes":
• les problèmes du port de Calais, en principe surmontés;
• la guerre tarifaire, un terrain sur lequel Eurotunnel a pris des mesures qui devraient donner leur plein effet en 2006;
• la baisse des trafics du tourisme, mais le président estime qu’ils vont repartir;
• la hausse des carburants, car les compagnies comme SeaFrance, protégées en 2005, vont prendre de plein fouet "l’effet baril" en 2006.
Les armements restant sur le marché vont donc poursuivre leur adaptation en termes de capacité et de politique tarifaire.
Capacité: Hoverspeed disparaît, mais la CCI de Calais est à la recherche d’un nouvel opérateur. Une nouvelle réduction de flotte du côté de P & O Ferries (ou quel que soit son nom à l’avenir) reste possible, mais Norfolkline accroît ses capacités de passagers et fret en offrant deux départs de plus. SpeedFerries est à la recherche d’un navire pour la ligne Boulogne/Douvres.
Politique tarifaire: Eurotunnel a mis fin à la grande braderie, notamment sur le fret, et privilégie désormais les grands comptes en laissant les ports écrémer les pointes. Les armements, notamment Norfolkline également commissionnaire de transport et transporteur multimodal, s’efforcent de répliquer à Eurotunnel sur ce terrain. Ainsi, se généralisent les systèmes d’information avec une interface entre les grands transporteurs routiers et les compagnies maritimes. Mais pour les passagers, c’est SpeedFerries qui donne le ton le jour et P & O Ferries la nuit avec son offre à service réduit. Cela oblige SeaFrance à s’adapter. Le "yielding management", c’est-à-dire l’ajustement constant des prix au marché, et la prime aux réservations à l’avance par internet dominent le marché du tourisme. Les promotions sont très agressives, comme les "Délires" de SeaFrance apparus au printemps dernier. Pour le fret comme pour le tourisme, l’avenir s’annonce "low cost"… et "high tech".
1) La motorisation de ses catamarans est devenue obsolète.