Ce vote devait être l’épilogue d’un feuilleton à rebondissements qui traîne depuis près de 5 ans. Le premier projet de directive visant à améliorer la qualité des services dans les ports maritimes a été présenté par Loyola de Palacio, en février 2001. Ce "paquet portuaire" a été soumis pendant 3 ans à un débat parfois houleux entre le Conseil des ministres des transports de l’Union et le Parlement européen qui défendaient des points de vue divergents sur quelques éléments spécifiques: l’application du texte aux pilotes, la réserve d’autorisation pour les services portuaires, la durée de l’autorisation, les compensations, l’auto-assistance et les règles de transparence en matière de concurrence entre ports.
PREMIER REFUS DU PARLEMENT
Après 3 années de vaines discussions, un texte est sorti à l’arraché de la procédure de conciliation, ultime étape du processus de codécision. Mais le compromis auquel avaient abouti les députés et le Conseil en septembre 2003 a été rejeté, en novembre, par le Parlement européen et recueillait 209 voix pour, 226 contre, mettant un terme que l’on croyait définitif à la procédure législative. Seul un texte relatif aux offres publiques d’achat (OPA) avait connu précédemment le même avatar.
Mais, avant son départ de la Commission, en octobre 2004, persuadée qu’un cadre juridique communautaire s’imposait aux activités portuaires comme ailleurs, Loyola de Palacio laissait à ses successeurs une nouvelle mouture de la directive.
DU PAREIL AU MÊME…
Censée reprendre en compte un certain nombre d’amendements souhaités par les professions concernées, elle était pourtant aussitôt rejetée par les entreprises de manutention, la communauté portuaire européenne (Espo) et par les dockers qui considéraient que ce texte était du pareil au même…voire pire!
En novembre 2005, le rapporteur de la commission transport du Parlement européen, Georg Jarzembowski, présentait à ses homologues une version édulcorée comportant 322 amendements et élaborée à partir des éléments recueillis lors d’une audition de toutes les parties concernées. Malgré les contorsions du rapporteur, la commission transport du Parlement européen repoussait ce texte par 24 voix contre 23 et 2 abstentions, mais demandait que la proposition de directive soit soumise, sans ses amendements, à tous les parlementaires lors de la session plénière de janvier. Encore du jamais vu!
Celle-ci avait été fixée au 16 janvier et, à cette occasion, l’European Transport Workers Federation qui représente 2,5 millions de salariés des transports dans 39 pays, avait appelé à une grève de 48 heures dans tous les ports.
Depuis le départ, les dockers considèrent cette directive comme un "facteur de dumping social", une sorte de "Bolkeistein portuaire". En autorisant l’auto-assistance, elle permettrait en effet aux armateurs d’utiliser le personnel de leur choix pour charger et décharger les navires, notamment le personnel de bord. De ce fait, les dockers suspectaient les armements de vouloir les remplacer par du personnel non qualifié et sous-payé ce qui, selon eux, serait préjudiciable à la qualité du service et à la sécurité. "Ils veulent supprimer les dockers et une partie des grutiers", traduisait sommairement un docker brestois CGT.
Le mouvement de grève fut assez bien suivi dans la plupart des ports européens et, de source syndicale, aurait affecté la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, l’Allemagne, Chypre, la Grèce, l’Italie, Malte, la Finlande, la Pologne, le Portugal, le Royaume-Uni et l’Espagne. En France, peu de ports auraient été épargnés. Des arrêts de travail ont été signalés à Marseille et à Fos, au Havre, à Bordeaux, à Dunkerque, Rouen, La Rochelle dès le lundi. Des débrayages ont été observés le lendemain à Bayonne, Caen, Cherbourg et Port Vendres. Sur place, les dockers recevaient l’appui de nombreux élus. "La directive ouvre les portes au libéralisme le plus absurde", déclarait à l’agence Reuters Michel Delbarre, député maire de Dunkerque et ancien ministre des Transports. Le député européen communiste, maire de Calais, Jacky Henin dénonçait "une mise en concurrence sauvage des salariés du port". Gilles Savary, vice-président de la commission transport du Parlement européen, rappelant le sort que celui-ci avait fait à la précédente directive considérait que l’obstination de Bruxelles était "un véritable déni de démocratie parlementaire".
FEU CROISÉ DES CRITIQUES
Parallèlement, des délégations de dockers originaires de tous les pays maritimes se rendaient à Strasbourg, dès le 16, pour manifester devant le Parlement européen contre la directive. On ne put éviter les échauffourées (voir encadré). "Un déchaînement inutile", selon certains, car sous un tel feu de critiques, la veille de l’ouverture de la session plénière, les paris étaient ouverts. De nombreux observateurs étaient persuadés que le texte ferait l’unanimité contre lui lors du vote du Parlement. Celui-ci devait intervenir le 18 janvier. Mais déjà, Jacques Barrot, commissaire européen en charge des transports, tout en rappelant qu’il n’était pas l’auteur de ce texte, affirmait à ceux qui lui posait la question qu’il "tirerait toutes les conséquences du vote des députés". N’excluant pas un retrait pur et simple de ce texte "dont on pourrait fort bien se passer", pour reprendre l’expression du président de l’Espo. Et le délégué général de l’Unim mettait au défi de trouver "un cas avéré de restriction à la libre prestation de service ou à l’accès au marché en matière portuaire que la Commission pourrait invoquer pour justifier la nécessité d’une telle directive. Les ports européens sont aujourd’hui les plus performants du Monde; les prix de manutention y sont beaucoup moins élevés qu’en Asie ou en Amérique du Nord", faisait-il remarquer.
Une journée émaillée d’incidents
Réunis dès 13 heures Place de l’Étoile, 6 000 (selon la préfecture) à 10 000 dockers (de source syndicale) venus de toute l’Europe ont traversé Strasbourg jusqu’au siège du Parlement européen. De nombreux incidents ont émaillé le parcours mais c’est devant ce bâtiment qu’ont éclaté les plus violents. Selon certains observateurs, 350 à 400 "casseurs", pour employer leurs termes, étaient venus pour en découdre avec les forces de l’ordre. Ils ont harcelé les policiers avec des frondes et une douzaine d’entre eux auraient été atteints par des billes d’acier. Certains parlent de déchaînement. Des feux de signalisation auraient été arrachés, une voiture de police brûlée et 100 m2 de vitres du Parlement européen ont volé en éclat. Les forces de l’ordre ont répliqué en utilisant des canons à eau et des grenades lacrymogènes. Treize manifestants ont été interpellés, principalement des Belges et des Néerlandais, et une dizaine placés en garde à vue en cellule de dégrisement.
Contraire à l’objectif visé, selon l’Unim
Présentée comme la première pierre de la politique portuaire commune, cette nouvelle proposition de directive se propose avant tout de fixer un cadre destiné à harmoniser les conditions de concurrence entre les ports maritimes européens et à libéraliser l’accès au marché des services à l’intérieur du port.
"En dépit de cet objectif louable de développer et d’harmoniser la concurrence dans le domaine portuaire, estime Xavier Galbrun, délégué général de l’Union nationale des industries de manutention portuaire (Unim), il est à craindre que cette initiative ne conduise à créer davantage de distorsions entre les ports européens qu’elle n’en évitera." Et de reprocher "une approche incohérente, faussement libérale, et surtout préjudiciable aux investissements".
Si, une fois n’est pas coutume, les dockers et leurs employeurs sont d’accord pour fustiger un même texte, les attaques des entreprises de manutention vont bien au-delà de la simple auto-assistance. S’ils l’estiment peu compatible avec les exigences européennes en matière de sûreté et de sécurité, ils considèrent surtout que cette directive s’attaque à un faux problème.
"La concurrence s’exprime davantage entre ports d’un même range qu’à l’intérieur du port lui-même", souligne Xavier Galbrun. "Face à la compétition internationale, les fournisseurs de services doivent pouvoir atteindre une taille critique qui limite de fait le nombre d’entreprises sur le port. La question prioritaire est celle de l’harmonisation du financement des ports et la délicate question des aides d’État; ce n’est pas l’accès au marché.
En conséquence, l’amélioration des conditions de concurrence dans les services portuaires européens passe moins par la réglementation de l’accès au marché dans un port, que par la façon et la transparence dont les ports financent leurs équipements."