Il aura fallu quatre jours d’enquête pour démontrer, grâce aux analyses des peintures, l’implication du chimiquier maltais Sichem-Pandora (1) dans le naufrage du ligneur cherbourgeois Klein-Familie de 14,4 m, au large du Cotentin.
Le 5 janvier, le Klein-Familie avait appareillé de Cherbourg pour se rendre sur zone de pêche. En début de matinée, le CROSS Jobourg était alerté par le cargo néerlandais Alblast, qui lui signalait avoir aperçu une fusée de détresse à environ 35 nautiques au nord-ouest de la pointe de la Hague.
D’importants secours, aussi bien maritimes qu’aériens, étaient aussitôt dépêchés. Une heure après avoir donné l’alerte, l’Alblast récupérait un marin du Klein-Familie à bord d’un radeau de survie. Ce marin dormait au moment de l’accident et ne put apporter que peu d’éléments au magistrat instructeur chargé de l’enquête, qui devait enregistrer sa déposition à l’hôpital Pasteur de Cherbourg où il fut transporté par hélicoptère. Sur les lieux, néanmoins d’importants débris témoignaient d’une violente collision ayant entraîné très rapidement le naufrage du bateau de pêche et la disparition de cinq hommes d’équipage.
À l’enquête judiciaire ouverte par la procureur de Cherbourg "pour homicide involontaire, délit de fuite et non-assistance de personne en danger", se greffait aussitôt une enquête technique conduite par le BEA mer. "L’hypothèse la plus probable est celle d’une collision avec un navire dans le rail montant des Casquets", indiquait un communiqué de la préfecture maritime (prémar) publié en fin de journée. Les recherches pour retrouver les cinq marins disparus se poursuivaient et l’enquête s’orientait vers une douzaine de navires suspects, qui étaient déroutés vers différents ports côtiers. Le chasseur de mines Croix-du-Sud appareillait de Brest, équipé d’un mini-sous-marin télécommandé pour effectuer les recherches de l’épave dans la zone du naufrage où il arrivait le 6 janvier au matin. Déjà, les soupçons les plus sérieux se portaient sur le chimiquier maltais Sichem-Pandora de 117 m, qui se trouvait sur les lieux à l’heure de l’accident. Ce dernier, armé de 15 membres d’équipage, venait de Sfax (Tunisie) et se rendait aux Pays-Bas. Le procureur de Cherbourg a ordonné son déroutement, qui lui a été notifié par la gendarmerie maritime de Boulogne-sur-Mer, et l’a escorté jusqu’à Dunkerque. Immédiatement auditionné, le commandant en second du navire qui se trouvait sur la passerelle à l’heure du drame aurait déclaré, "n’avoir perçu aucun écho, aucun signal sur le radar" (2).
Le 6 janvier en début d’après-midi, le Croix-du-Sud identifiait une épave par 70 m de fond à proximité du lieu présumé du naufrage. Il retournait sur le site le lendemain matin et les images transmises par le robot sous-marin Ulysse confirmaient l’identité du Klein-Familie.
À Dunkerque, l’examen de la coque du Sichem-Pandora révélait des traces de peinture exogène. Les résultats des analyses furent connus le 10 janvier au matin et semblaient lever toute ambiguïté. Le procureur indiquait en effet que les traces de peinture relevées sur la coque du chimiquier ne pouvaient être différenciées de celle du Klein-Familie. Réciproquement, les éclats de peinture orange relevés sur l’épave ne pouvaient être différenciés chimiquement de celle du Sichem-Pandora. L’implication du chimiquier maltais ne faisant plus de doute, le procureur a demandé une nouvelle audition de son commandant et de son second. L’accident s’étant produit dans les eaux internationales, l’Etat du pavillon est juridiquement compétent dans cette affaire. La justice maltaise a donc demandé aux autorités maritimes françaises de retenir le Sichem-Pandora à Dunkerque pour le bon déroulement de l’enquête. Selon les premiers éléments diffusés le 11 janvier, une erreur humaine partagée entre les deux navires serait vraisemblablement la cause de l’accident: défaut de veille, erreur qui pardonne rarement sur la route la plus fréquentée de la planète.
Le dernier communiqué de la prémar indiquait que le robot Ulysse poursuivait ses prises de vues sous marines du Klein-Familie et qu’une plongée humaine serait effectuée dès que la mer le permettrait.
1) Le Sichem-Pandora est un chimiquier de 6 544 t construit en 1994 au chantier sud-coréen Hyundai. Il est la propriété de l’armement Sichem, domicilié à Singapour où il était immatriculé jusqu’à l’an dernier. Il est affrété par l’Eitzen Group de Lysaker (Norvège), qui en confie la gestion à sa filiale d’exploitation Tesma (Copenhague). Il a été régulièrement contrôlé et sa dernière inspection a eu lieu en octobre 2005 à Gand. Il n’a jamais fait l’objet de détention, aucune déficience n’ayant été constatée.
2) Le représentant de son affréteur norvégien est arrivé à Dunkerque le 10 janvier et devait confirmer les déclarations de l’équipage lors d’une conférence de presse, tard en soirée. "Les entretiens que j’ai eus avec les marins de faction à l’heure supposée de l’accident et sur les lieux du naufrage ne donnent aucune raison de croire que le Sichem-Pandora soit impliqué dans une collision. Nous avons une totale confiance dans nos équipages", a-t-il déclaré.