[Édito] Briser les vitres sans bruit
« Les bénéfices, ça s’divise, la réclusion, ça s’additionne ». Pour les ports français, ça s’éternise en ermitage et la dîme attendra encore un peu. Après une quantité industrielle de rapports sur ce que devraient être les ports français, ne sont toujours pas, mais pourraient être, la reconquête de l’hinterland reste un serpent de mer quand bien même le fluvial et le ferroviaire demeurent les moyens les plus économiques et écologiques pour couvrir des arrière-pays proches et éloignés. Et ce, à une heure de grande écoute climatique.
Le Covid est mort ? Tournons la page, on sature de le lire. La phraséologie autour du satané virus nous quitte. Personne ne le regrettera. Et déjà se tendent les arcs narratifs des saisons suivantes, thématisant une prétendue coupure entre le monde d’avant et celui qui reste à inventer. À la crise se serait substituée l’impérieuse nécessité d’habiter le monde différemment, plus respectueuse, moins prédatrice, moins carnassière, moins obnubilée par la croissance… La crise financière n’avait pas convaincu l’humanité de changer d’aiguillage. Mais, dit-on, le virus va offrir à la planète la grâce prométhéenne d’une nouvelle naissance. La nature abîmée serait en train de faire redescendre l’humanité sur terre. La souveraineté devient un logiciel obsessif faisant du consommateur prié d’acheter « français » la planche de salut de l’économie et la réindustrialisation, le produit d’une rumination obsédante.
Dans ce téléthon pour l’industrie française et européenne, les ports français, qui ont fait entrer le monde dans notre pays en ouvrant portes et fenêtres, sont désormais considérés comme les outils de cette suprématie nationale à restaurer. Après avoir accepté et apprivoisé les flux et reflux de la mondialisation, ils doivent être les pivots d’une réindustrialisation à marche forcée.
La transition énergétique leur donne l’opportunité de (re)devenir des zones industrielles. Ce qu’ils n’ont sans doute jamais cessé d’être à ceci près qu’ils doivent substituer aux énergies fossiles des combustibles plus verts.
Cela ne change pas fondamentalement la donne au moins sur un point mais la rend encore plus pressante : remettre sur les rails l’offre coût, qualité, délais des transports massifiés qui leur met la tête sous l’eau depuis des années. Étrangement, aucun rapport n’a encore répondu à cette autre question : « Pourquoi nous en sommes toujours là ? » Il doit y avoir en France un vieux fond monomaniaque pas tout à fait liquidé.
Adeline Descamps
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