Il faut être chouette (sagesse et champ de vision large) pour naviguer dans les eaux cahoteuses de la Manche et de la mer du Nord. « La dynamique sous séquestre », écrivions-nous l’an dernier pour caractériser ce marché si spécifique. Il ferait encore le job cette année. Avec cependant une incertitude de moins. Après des mois de tergiversations, valses-hésitations et chausse-trappes, les souveraines élections et le vote à la Chambre des communes ont acté le divorce. Le Brexit aura bien lieu le 31 janvier. Et le terme sera banni du vocable à tout jamais, a ordonné Londres.
Pour autant, Britanniques et Européens n’ont pas définitivement tourné la page du dur. En 2020, Londres et Bruxelles devront sceller un accord commercial dans le cadre d’un calendrier serré de moins d’un an. Et toujours sous la menace de parvenir à la fin de l’année sans deal. Les acteurs du transport maritime restent donc conditionnés aux modalités de ce nouveau modèle économique, dont le canevas est aussi épais que le « smog », et à ce laps de temps, que tous espèrent le plus court possible. La Commission a pourtant laissé entendre qu’elle pourrait demander une prolongation de la transition, afin d’éviter un scénario sans accord.
De façon plus avérée, contrairement l’ex-occupant du 10 Downing Street, le premier ministre conservateur Boris Johnson serait moins enclin à des arrangements douaniers et alignement réglementaire sur les marchandises. Côté européen, la flexibilité ne semble pas non plus de mise. Il est question d’un accord commercial « réduit à l’essentiel », couvrant uniquement les droits de douane et les quotas entre l’UE et le Royaume-Uni.
Pour l’heure, les trafics roulier et ferry sont ralentis par cette conjoncture pesant sur les trafics et les revenus, même si limitée et en accordéon. Le volume total des échanges de marchandises entre le Royaume-Uni et le reste de l’Europe a diminué de 5 % au 3e trimestre 2019, les volumes d’importation et d’exportation du Royaume-Uni ayant baissé respectivement de 2 et 3 % par rapport à l’année précédente.
Quant au trafic passagers, il reste conditionné en grande partie à l’économie britannique, qui n’a progressé que de 1 % en 2019, et à la livre sterling, sous pression. Selon « UK in a Changing Europe », même si un nouvel accord de libre-échange avec l’UE est conclu en 2020, le déficit budgétaire annuel s’élèverait entre 6 et 20 Md£. En cas de scénario sans accord, avec un règlement des échanges entre le Royaume-Uni et l’UE selon les conditions de l’OMC après décembre 2020, il pourrait se creuser à hauteur de 28 Md£.
Le roulier et le ferry n’en sont pas à leur première crise. La mise en service de la navette d’Eurotunnel empruntant le tunnel sous la Manche en fut une.
En 2019, Getlink, l’exploitant privé du tunnel sous la Manche, aura tangué avec eux. Son trafic annuel de navettes a baissé de 2 % pour celles transportant les véhicules de tourisme (à 2,65 millions de voitures) et de 6 % pour celles chargées de camions de marchandises (à 1,6 million de poids lourds).
Restent deux certitudes: le niveau élevé d’incertitude demeure le principal aiguillon des échanges commerciaux au Royaume-Uni. Et la visibilité reste faible…
Adeline Descamps