Grain de Sail, c’est un chocolatier qui se lance dans le transport maritime ou un armateur qui transforme le chocolat qu’il transporte ?
Stefan Gallard : Un chocolatier qui se lancerait dans le maritime, ce ne serait pas réaliste. L’idée de départ était de faire du transport à la voile. Mais faute de pouvoir sécuriser des contrats avec des chargeurs, qui auraient permis le financement d’un navire, nous avons décidé de lancer une activité. En Bretagne, à l’horizon, il y a l’Amérique ! D’où le chocolat et le café, produits de grande consommation, non substituables localement et dont la transformation apporte une valeur ajoutée. Ce choix efface le surcoût de 10 centimes par tablette induit par le transport à la voile. Nous avons commencé par la torréfaction du café en 2012 et la fabrication du chocolat en 2016 : cette activité, avec des produits importés par navires conventionnels, nous a permis de financer un navire sans subir la pression économique du marché maritime.
Vous avez, depuis la livraison de votre voilier en octobre 2020, effectué deux voyages transatlantiques à la voile. Pourtant, une partie de vos marchandises est encore importée par porte-conteneurs...
S.G. : Nous avons conçu notre concept dès 2016, dimensionné en fonction de notre capacité de production à Morlaix. Mais notre activité s’est étoffée et les 50 t de capacité d’emport du Grain de Sail ne couvrent que 50 % de nos importations. D’où le projet d’un second navire de 50 m et 350 t. Il sera construit courant 2022. Pour importer 100 % à la voile, nous pourrons par la suite construire d’autres navires sur le même modèle, avec des économies d’échelle. Et aussi moins de difficultés administratives : le premier navire a été un casse-tête car la réglementation de la marine marchande n’est pas prévue pour la voile.
Autre contradiction dans votre modèle écologique : les transports terrestres se font en camion : comment la résoudre ?
S.G. : Les 4,5 m de tirant d’eau de notre navire ne nous permettent pas de décharger à Morlaix, où se trouve l’unité de production. Le navire a donc son port d’attache à Saint-Malo, mais il doit décharger à Nantes, un des seuls points d’entrée de matières premières bio. Il est d’ailleurs surprenant de voir notre petit voilier au terminal à conteneurs de Montoir, où les palettes sont déchargées par d’énormes portiques. Une dérogation pour importer via Brest a été obtenue pour le deuxième voyage. Nous espérons la pérenniser. Le transport terrestre par camion, il est vrai, n’est pas facilement contournable. C’est pourquoi, sans abandonner Morlaix, nous avons le projet d’un deuxième site à Dunkerque, en zone périportuaire. Le navire pourra alors être déchargé au pied de l’usine. Elle devrait être opérationnelle en 2023. Nous serons plus proches de nos marchés du Nord et de l’Est de la France, y compris la région parisienne, accessible en train depuis Dunkerque. Cette stratégie de réduire à moins de 500 km le rayon de distribution de chaque unité nous pousse à envisager également une implantation ultérieure à Bordeaux.
Propos recueillis par Étienne Berrier