Rodolphe Saadé, PDG du groupe CMA CGM : « le transport maritime a un coût et il se paie »

 

Dans le cadre du TPM 2021, qui se tient jusqu’au 3 mars en visioconférence sur le thème « Redéfinir le futur », Rodolphe Saadé a échangé en tête-à-tête avec Peter Tirschwell, le vice-président Maritime & Trade de IHS Markit, sur les impacts du Covid et les perspectives 2021 du transport maritime. 

« Si, à l’avenir, les chargeurs veulent un service, ils devront le payer », disait en 2010, triomphant, Gianluigi Aponte, le fondateur de MSC. « Si les clients veulent un meilleur service, ils devront le payer », explique dix ans plus tard Rodolphe Saadé, le PDG du groupe CMA CGM, décomplexé. Enfin les transporteurs gagnent-ils de l’argent, a signifié le PDG du 4e armement mondial, alors que le secteur du conteneur est abonné depuis des années aux taux de fret en basses eaux. 

Le prix à payer pour le service du transport maritime, vendu à un vil prix depuis des décennies, a occupé un temps des échanges avec Peter Tirschwell, le vice-président Maritime & Trade de IHS Markit, dans le cadre de la grand-messe du transport maritime de conteneurs TPM21, qui se tenait cette année en visioconférence.

Quarante et un porte-conteneurs au mouillage dans la baie de San Pedro

Rush d’importations en provenance de l’Asie

Les propos résonnent alors que les désorganisations consécutives à une année de pandémie ont provoqué une poussée de la demande sans précédent et porté les taux de fret à des niveaux stratosphériques. Le système de transport est en surchauffe sur le marché transpacifique notamment, qui ploie sous un rush d'importations en provenance d'Asie vers l'Amérique du Nord. La demande sans répit a grippé la mécanique du repositionnement des conteneurs si bien que les équipements viennent à manquer.

Le manque de personnels dans les ports, conséquence des mesures de restrictions, ne permet pas de monter en cadence pour évacuer les conteneurs. La congestion est telle dans les ports de la côte ouest américaine qu’un retour à la normale n’est pas envisagé avant deux à trois mois. En attendant, encore une trentaine de porte-conteneurs font la queue dans la baie de San Pedro devenue une autoroute surréaliste.

Vil prix

Les tarifs pour transporter un conteneur grimpent au ciel mais sans pour autant offrir un service de qualité, dégradé tant dans son offre (pénurie de conteneurs) et ses promesses (des retards records de plus de 6 jours par rapport à l’ETA). Sea-Intelligence vient de publier les dernières données en termes de fiabilité horaire. CMA CGM affichait un taux de fiabilité de 66 à 67 % en avril 2020. Il est aujourd’hui à 30 %. La situation de la compagnie française réflète celle de toute l’élite du transport maritime de conteneurs.

Après avoir passé des mois à faire de la pédagogie à chaque fois qu’un micro lui était tendu pour expliquer les raisons du manque de capacités et de la flambée des taux de fret, le PDG du 4e armateur mondial de porte-conteneurs se fait plus direct et repositionne les débats à un autre niveau : sur la faiblesse des prix dans le transport ces dernières années. 

« Aujourd'hui, la période est exceptionnelle avec, grâce au Covid, des taux extrêmement élevés, mais il faut comprendre que ne pouvons pas toujours perdre de l'argent, ce qui a été le cas pendant de nombreuses années (…) nous pensons qu'un prix décent doit être convenu, sinon nous aurons des problèmes », lance l’héritier de l’un des derniers grands capitaines d’industrie dans le maritime, Jacques Saadé, fondateur de CMA CGM.

CMA CGM : six porte-conteneurs supplémentaires au GNL

Nécessaire revalorisation

Le moment est judicieux pour évoquer une douloureuse mais nécessaire revalorisation du service de transport maritime, alors que se renégocient les contrats à long terme avec les clients et que le TPM est aussi le lieu où les transactions aboutissent ou achoppent. « Certains clients diront qu'ils ne veulent pas renégocier chaque année et veulent un contrat pluriannuel, d'autres diront qu'ils veulent profiter du marché et faire une négociation ponctuelle. Nous nous adapterons aux besoins de nos clients, mais là encore, nous ne pouvons pas travailler gratuitement », explique encore le dirigeant.

Les transporteurs seront en tout cas en position de force pour négocier. À ce propos, Rodolphe Saadé considère qu'il est naturel d'avoir des « discussions difficiles avec les clients sur ces questions » mais que « c'est le résultat final qui compte. » À savoir un prix et un service, ce qui coince actuellement chez ses clients.

Quant à la pénurie de capacités et d’équipements, en marge de l’événement, le groupe français a annoncé qu’il allait mettre en service dans les mois qui viennent six nouveaux porte-conteneurs de 15 000 EVP au GNL rien que sur les lignes transpacifiques.  

Adeline Descamps

 

 

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