Nils Joyeux, Alizés : « La difficulté est de trouver des chargeurs prêts à s’engager sur un volume et une très longue durée »

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Alizés, filiale commune de l’armement Zéphyr & Borée et de Jifmar Offshore Services, fait actuellement construire le Canopée, un roulier à voiles de 121 m de long doté de quatre voiles en forme d’ailes, pour le compte de Ariane 6. Entretien avec son dirigeant.

 

 

Quand comptez-vous mettre le Canopée en service ? Et comment comptez-vous l'utiliser ?

Nils Joyeux : La construction du Canopée* a démarré en janvier dernier dans un chantier polonais. Il sera finalisé aux Pays-Bas et mis en service en 2022. Il est d'abord construit pour ArianeGroup et sera exploité à son service. Potentiellement, il pourra aussi être utilisé pour d’autres transports, mais ce n’est pas son objet principal.

Voile, moteur, quels sont ses modes de propulsion ?

N.J. : Le Canopée fonctionnera principalement au moteur pour atteindre une vitesse de transit élevée, aux alentours de 15 nœuds. À cette vitesse, grâce à l'appoint de la voile, nous pouvons économiser 15 à 20 % de carburant. Si le client nous demande de limiter la vitesse à 12 nœuds, cette économie de carburant peut même atteindre 50 à 60 %. À l'opposé, à partir de 19 nœuds, les voiles deviendraient gênantes et freineraient le bateau. Quant à la voile en mode de propulsion principal, cela ne suffit pas parce qu'elle permet d'atteindre une vitesse moyenne de seulement 8 nœuds.

Pourquoi avoir choisi des voiles rigides plutôt qu’une voilure plus traditionnelle ?

N.J. : Les voiles rigides sont les plus efficaces au près. Comme il ne s’agit pas d’un voilier traditionnel et parce que le moteur pousse en permanence, le vent créé par la vitesse est une constante qu’il faut prendre en compte. Même si le vent réel est travers ou largue, le vent apparent, lui, vient toujours du secteur avant, ce qui rend les ailes rigides efficaces. Elles correspondent à la route et au chargement qui seront ceux du Canopée. En transmanche par exemple, on rencontre généralement un fort vent de travers donc on pourrait opter pour d’autres systèmes de propulsion comme des rotors Flettner. Quant aux porte-conteneurs, le pont étant très chargé, la technique du kite pourrait avoir son intérêt.

En début d’année, vous annonciez travailler sur un porte-conteneurs à voiles de 1 800 EVP : où en est ce projet ?

N.J. : Nous pensions pouvoir trouver rapidement un partenaire, mais nous avons dû revoir le cahier des charges. Le projet est retardé, nous y travaillons toujours avec différents clients. La difficulté est de trouver des entreprises prêtes à s’engager sur un volume et une très longue durée. Nous avons aussi lancé un nouveau projet, toujours dans le domaine du conteneur. Il s’agit cette fois d’un petit navire de 70 m et 1 080 tpl, qui transportera 94 EVP. L’heure est aux études techniques et de marché, menées avec le cabinet d’architecture naval hollandais Dykstra, spécialisé dans les grands yachts. Il ne s’agira pas ici d’ailes rigides mais d’une voile souple avec un mât auto-porté, sans hauban, et un gréement à balestron. On est loin du design d’un cargo sur lequel on a planté des ailes verticales. Sous la ligne de flottaison, les œuvres vives ressemblent à une carène habituelle de voilier. Avec cependant du volume pour transporter des conteneurs.

La demande vient d’Arcadie, importateur d’épices bio et équitables qui cherchait un mode de transport entre Madagascar et Marseille plus en rapport avec ses valeurs sociales et environnementales. En tant que compagnie maritime, nous concevons, finançons et exploitons le navire, mais Arcadie participera aussi au financement. Reste à trouver des volumes à transporter dans l’autre sens, à destination de Madagascar...

Il s’agira donc d’un navire propulsé uniquement à la voile et non d’un navire hybride. Cela va considérablement allonger le temps de transit. Et le coût...

N.J. : Le client est prêt à accepter un temps de transit plus long pour obtenir une décarbonation quasi totale de son transport maritime. La bonne surprise est que même en allant moins vite qu’avec un classique porte-conteneurs au fioul, il recevra sa marchandise plus rapidement. Actuellement, il n'y a pas de ligne directe entre Madagascar et Marseille et les conteneurs transitent par Maurice ou l’Inde, ce qui prend au total un mois et demi. Nous, nous visons un traversée directe qui devrait prendre un mois.

Quant au coût, les premières études indiquaient qu'il était supérieur de 80 % à celui d'un transport classique par porte-conteneurs. Avec les prix post-covid, nous sommes à des coûts équivalents, voire moins élevés du fait des taux de fret actuel. Cependant, le surcoût initialement constaté est davantage lié à la taille du bateau qu’à l’utilisation de la voile. Même au moteur, l’exploitation d’un porte-conteneurs de 94 EVP serait d’un coût bien plus élevée que celle d’un porte-conteneur de taille habituelle. C’est à partir de voiliers de 120 ou 150 m que l’on peut rejoindre les prix du marché. Ici il s’agit d’un marché de niche, dont la taille est telle qu'elle ne permet pas d'envisager la construction de grosses unités mais dont la valeur ajoutée permet de supporter un surcoût de quelques centimes par paquet de poivre.

Propos recueillis par Étienne Berrier

*Dans ce projet sont parties prenantes l’architecte naval VPLP Design, qui a signé de nombreux voiliers de course comme de croisière et le bureau d’études Groot Design tandis que les voiles-ailes sont fournies par Ayro, filiale de VPLP qui avait équipé le navire démonstrateur Energy Observer lors de son tour d’Europe en 2019.

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