Début janvier 2020, bien avant que planète n’éprouve la réalité d’une pandémie, la Bible du conventionnel, le Drewry’s Multipurpose Shipping Forecaster, promettait aux opérateurs du transport maritime polyvalent et colis lourds (Multipurpose vessel, MVP/Heavy Lift, HL) des revenus en hausse en moyenne de 6 % en 2020 et une visibilité à plus long terme « grâce à une demande de fret plus forte que la capacité offerte ». Dans cette prospective, les plus grands navires étaient appelés à connaître une croissance à deux chiffres.
À cette époque « antécovidienne », la conjoncture se présentait bien. La production et le commerce de l’acier devaient s’inscrire dans un trend porteur même si les investissements dans les projets étaient toujours aussi faibles. En revanche, la dynamique en faveur des énergies renouvelables semblait, elle, bien ancrée.
L’équilibre naturelle de l’offre et de la demande – les rares commandes de navires visaient à remplacer le tonnage de la flotte existante – plaidait en faveur d’une amélioration des fondamentaux.
Or, l’année 2020 n’a fait que reporter une conjoncture de meilleure facture. Néanmoins, sans parler de prospérité, les opérateurs ont retrouvé un peu de souffle en fin d’année: « au cours du dernier trimestre, le segment a accru sa part dans le transport de marchandises sèches en raison des difficultés de conteneurs », a commenté la direction d’AAL shipping lors de la présentation de ses résultats annuels. La quatrième plus grande compagnie dans le conventionnel a constaté une « amélioration significative de ses revenus et de ses marges ».
Mainmise sur les cargaisons des MPV
United Heavy Lift indiquait pour sa part avoir bouclé ses comptes sur un « résultat décent » et fait partie des rares opérateurs qui investit dans sa flotte – huit F900 commandés à l’origine par Zeaborn –, portant son portefeuille à 25 unités.
Depuis deux décennies, le fret conventionnel est attaqué sur tous les flancs, à la fois par les porte-conteneurs, les rouliers et les vraquiers. Tous se sont emparés des cargaisons des MPV, que ce soit pour remplir leurs navires commandés en excès ou pour soutenir les activités de dégroupage, traditionnellement liées aux volumes de pétrole et au gaz.
Aujourd’hui, les opérateurs spécialisés peuvent souffler. La demande de transport, qui ne montre aucun signe de ralentissement, mobilise les porte-conteneurs. Avec le manque de slots et la flambée des prix des conteneurs, les chargeurs se rabattent sur les polyvalents. L’offre insuffisante de feeders pour répondre à la demande du marché accroît en outre l’intérêt des affréteurs pour les MPV/HL, qui ont une plus grande capacité de transport de conteneurs.
Aussi, l’urgence et la nécessité font loi. Alors que la ruée mondiale sur les stocks alimentaires stimule la demande de céréales de base, les retards des expéditions conteneurisés et la flambée des boîtes (+ 200 %) au départ de l’Inde vers l’Afrique incitent les propriétaires de fret à revenir aux « navires à tout faire ».
Les plans de relance, qui font la part belle aux infrastructures, sont porteurs de flux potentiels en matériels et matériaux de construction. Mais c’est surtout l’éolien qui anime actuellement le marché. L’indice Toepfer Multipurpose Index (TMI), baromètre des navires polyvalents, confirme leurs bonnes dispositions. Après avoir atteint son plus bas niveau l’an dernier, à savoir 6 381 $/j, l’indice est repassé au-dessus des 7 000 $/j en janvier, dépassant la moyenne quinquennale de 6 953 $/j.
« Le secteur connaît un nombre record de demandes de réservation de la part des fabricants d’éoliennes qui recherchent des contrats en volume, à la fois pour l’éolien terrestre et offshore », indique Yorck Niclas Prehm, le directeur de recherche de Toepfer. Pour l’analyste, le fret éolien est clairement le grand moteur du conventionnel.
Adeline Descamps
* Basé sur les prévisions des propriétaires, opérateurs et courtiers de MPV/HL, le TMI est une moyenne des taux d’affrètement à temps pour des contrats de six à douze mois de navires polyvalents de 12 500 tpl.