[Édito] De l’abstention à l’abstinence
Le monde n’avait pas détesté que l’année ferme son temps, emportant avec elle notre liberté conditionnelle, notre biotope de confinés, nos silhouettes de malfrats avant le hold-up et autres sacrifices nécessaires. Le monde avait aimé l’idée de pouvoir récupérer du pouvoir sur la marche des affaires. On répare et on repart. Contre toute prudence et toute raison, le monde oublie vite qu’il loge en son sein des artisans du chaos à l’amour pathologique pour l’invasion à coups de bottes et de chars d’assaut. À la fureur des uns répond le bruit des autres. Ce sont les règles de la corrida diplomatique et le retour des sanctions et embargos.
Pantois est celui qui observe ce spectacle qui, s’il n’était tragique, serait rocambolesque.
Ces yachts que l’on va traquer jusque dans les radoubs des ports pour prendre à la gorge ces oligarques trop russes, trop riches et trop proches de l’agresseur.
Ces méthaniers saisis net sur arrêt en pleine mer et contraints de se mettre en statut « for orders », excommuniés par leur port de destination pour transporter du gaz russe foré par un géant pétrolier russe dans des fonds arctiques russes.
Ces majors pétrolières européennes qui viennent expier leurs fautes à une heure de grande écoute au confessionnal médiatique pour avoir un jour croqué dans un fruit désormais défendu, les Gazprom, Novatek, Sovcomflot et autres Rosneft. Se délestant de leurs actifs et participations dans le pétrole et le gaz qui vont régaler demain à prix coûtant des intérêts chinois.
Ces navires piégés par décrets en mer Noire et mer d’Azov, devenus des cibles flottantes et laissant des milliers de marins à la merci des mines et des missiles.
Ces ports européens qui tour à tour bannissent navires et cargaisons en direction et en provenance du pays mis au ban d’une communauté internationale incroyablement concertée. Pour certains, l’abstention va s’apparenter à de l’abstinence tant ils se sont shootés pendant des années au pétrole et au gaz. C’est sans doute là la seule raison de ne pas désespérer pour d’autres. L’opportunité est trop belle, pour ne pas, une fois pour toutes, régler leur compte au fuel et à ses affidés. Les ports rêvent d’être des hubs de transition énergétique. Ils vont peut-être devoir le devenir plus vite que prévu.
Adeline Descamps