Filiale de Louis-Dreyfus Armateurs, LD Seaplane, spécialisée dans les transports hors gabarit, exploite au départ de l’Europe trois rouliers et opère deux lignes, l’une à destination des États-Unis, l’autre de la Méditerranée. Deux de ses navires sont affectés aux transports d’éléments d’avions Airbus. La fin du programme de l’A380 représentait donc un enjeu de taille pour ne pas perdre le client. Entretien avec Jean-Luc Cadoret, directeur général de LD Seaplane.
LD Seaplane ayant pour principal client Airbus, vous devez être particulièrement touché par la réduction de voilure de la construction aéronautique. Comment traversez-vous les turbulences actuelles ?
Jean-Luc Cadoret : Nous avons subi l’impact de la crise sanitaire et avons mis en œuvre, dès le mois de mars 2020, un plan d’action pour nous adapter à la baisse de 30 à 40 % de l’activité de nos clients. Nous sommes passés de cinq à trois rouliers en exploitation, les deux autres étaient affrétés. Les taux de fret sont restés à peu près constants car nos contrats sont établis à long terme : il y a donc beaucoup moins de volatilité et de spéculation que dans les autres branches du transport maritime. Nous sommes sur une niche – la logistique industrielle – avec des transports concernant principalement l’UE et les États-Unis.
Le dernier transport maritime dans le cadre du programme A380 s’est effectué au premier trimestre 2020. Cette activité s’est recentrée sur l’A320, qui a débuté en 2017, ainsi que sur l’avion militaire A400M. La production d’Airbus aux États-Unis a baissé mais moins que dans les usines européennes. Sur nos trois navires, deux sont donc affectés aux transports d’éléments d’avions Airbus depuis l’Europe vers les États-Unis : le Ville de Bordeaux et le Ciudad de Cadiz effectuent un voyage tous les 20 jours entre Hambourg, Montoir, Belfast et Mobile [sud-est des États-Unis, NDLR]. Quant au City of Hambourg, il relie tous les 14 jours Montoir, Tanger, Tunis et Naples.
Le transport d’éléments pour Airbus n’est pas votre seule activité. Quelles sont les voies de diversification que vous recherchez ?
J-L.C. : Depuis 2013, nous transportons des véhicules neufs pour Renault depuis l’Europe vers la Tunisie. Mais cela reste marginal par rapport à nos transports oversize, souvent liés à l’aérien d’ailleurs puisque nous transportons par exemple pour Safran des nacelles de moteurs, donc les cadences de chargement suivent celles de la production d’Airbus. La fin de l’A380 représentait pour nous un enjeu fort vis-à-vis de l’avionneur européen, que nous tenions à sécuriser en tant que client. C’est fait avec les transports liés à l’A320, le programme phare du constructeur.
Nous avons aussi diversifié notre activité avec par exemple des camions neufs expédiés par Scania depuis son usine d’Angers vers le Maroc et la Tunisie. Mais ces transports additionnels ne compensent pas la baisse d’activité de l’aéronautique. Car notre modèle économique consiste à déployer un schéma logistique pour Airbus, puis à réduire les coûts de transport avec du fret additionnel.
C’est le cas en Méditerranée, où les flux Airbus sont en sortie de Tunisie et d’Italie. Dans l’autre sens, on rapporte les bâtis de transport, ce qui laisse de la place en cale pour les camions de Scania mais aussi pour toutes sortes de colis hors gabarit depuis la moitié nord de la France et à destination du Maroc et de la Tunisie. Tout ce qui est originaire du sud de la France passe par Marseille plutôt que par Montoir. Cela a récemment concerné des wagons pour un site industriel au Maroc, ou encore des bateaux de plaisance fabriqués en France par Bénéteau.
« Notre modèle économique consiste à déployer un schéma logistique pour Airbus, puis à réduire les coûts de transport avec du fret additionnel »
Le marché de l’éolien est-il intéressant pour compléter vos chargements ?
J-L.C. : Des demandes émergent pour des transports d’éléments d’éoliennes, en particulier du fait de la présence à Saint-Nazaire des activités de General Electric et des Chantiers de l’Atlantique. Nos navires font escale à Montoir, juste à côté de leurs usines.
Nous sommes à l’affût du développement de l’éolien car nous disposons de moyens de transport bien adaptés à ces équipements. L’activité de LD Seaplane est centrée sur Saint-Nazaire, ce qui justifie que l’on fasse appel à nous. Cependant, la taille des nacelles et des pales évoluent de telle façon qu’il n’est pas sûr que les capacités de nos navires restent compatibles. Pour transporter des génératrices de plus de 700 t et d’une hauteur dépassant 11 m, de moins en moins de multipurpose gréés sont disponibles.
Il faudra peut-être concevoir des navires adaptés à ces besoins spécifiques, et c’est un marché sur lequel nous pourrions nous positionner. Nous avons déjà eu cette démarche pour Airbus en 2002, nous pourrions le faire pour d’autres industries. Notre marché, en effet, ce sont les transports présentant de fortes contraintes. C’est d’ailleurs ce positionnement qui a conduit Louis-Dreyfus Armateurs, via une autre filiale, à mettre à disposition des navires de service pour la maintenance des parcs éoliens au large des côtes françaises.
Comment appréhendez-vous votre activité dans les prochaines années ?
J-L.C. : Nous démarrons 2021 avec une visibilité limitée à deux ans du fait de la pandémie alors qu’Airbus nous offrait habituellement une visibi- lité à plus long terme. Nous sommes dépendants, indirectement, des clients d’Airbus. Aujourd’hui au creux de la vague, nous ne savons pas com- ment et à quel rythme l’activité va reprendre après 2022. Le carnet de commandes du constructeur joue actuellement un rôle d’amortisseur mais il n’y a pour l’instant aucune nouvelle commande puisque les clients retardent leurs achats d’avion. Nous ne sommes cependant pas inquiets en ce qui concerne l’exploitation de nos trois navires.
Propos recueillis par Étienne Berrier