Avec le navire que vous projettez de construire, vous quittez le mode artisanal pour un statut industriel ?
Guillaume Le Grand : Notre activité actuelle sur vieux gréement reste notre socle et celle qui génère du chiffre d’affaires. Ce n’est ni de la nostalgie ou ni de la reconstitution historique ! Nous avons des clients. La phase d’industrialisation se fera avec un voilier en acier de 80 m et 1 200 t, capable de naviguer à une vitesse moyenne de 11 nœuds contre 5 pour les navires affrétés jusqu’à présent. Nous nous adressons cette fois à des industriels et visons d’autres types de produits comme du vin à l’export vers les États-Unis. La vitesse accrue nous permettra d’aller plus loin, de viser l’Asie pour le textile par exemple. Quant au taux de fret, il sera divisé par dix. Pour réduire le coût, nous prévoyons une série de quatre unités livrées entre 2023 et 2026.
Cela vous permettra-t-il d’être compétitif par rapport au transport maritime classique ?
G-le-G. : Nous proposerons un taux de fret de 50 centimes par kg sur un trajet transatlantique. Nos coûts sont réduits car les relations avec les chargeurs sont sans intermédiaires (transitaires). Le faible tirant d’eau permet d’accéder, dans les grands ports, à des terminaux peu congestionnés. Les droits de port sont réduits. Nous nous exonérons aussi de la location de conteneurs. L’usage de palettes diminue par ailleurs le coût du transport terrestre avec un chargement plus efficace sur les camions. Pour certains petits clients, qui ne bénéficient pas des meilleurs tarifs du transport maritime classique, le transport à voile peut ne pas être plus cher. Avec des tarifs sont stabilisés sur dix ans, sans indexation sur le prix du pétrole !
Comment vos clients intègrent le surcoût d’un transport à la voile ?
G-le-G. : Nous nous adressons à des chargeurs pour qui la qualité du transport est intégrée dans leur perception du produit. La mieux-disance environnementale est un avantage compétitif. On ne peut donc pas parler de surcoût. D’ailleurs, j’en suis convaincu : la décarbonation du transport maritime va se faire pour des raisons économiques et non écologiques ou réglementaires. La voile est bien plus réaliste que le GNL ou les biocarburants.
Quels chargeurs vont utiliser votre navire ?
G-le-G. : Nos dix ans d’expérience nous ont beaucoup appris sur les marchés à adresser et sur la saisonnalité des routes. Le shipping reste une industrie opaque : on ne sait pas par quelle route ni sur quel navire est embarquée la marchandise. Pour chaque voyage, nous délivrons au client un journal de bord et un bilan carbone. Cela leur permet de se différencier auprès de consommateur exigeants quant à l’impact de leur consommation. Parmi les chargeurs qui ont signé, l’importateur de café Belco, le groupe Pernod-Ricard pour l’exportation de Champagne et de Cognac, ou encore le confiseur Cémoi qui va confier à nos voiliers 20 % de son cacao d’ici 2026, soit 15 000 à 20 000 t. Au total, nous avons intéressé une quarantaine de chargeurs et sommes donc sur le point de boucler notre plan de financement.
Vous avez fait le choix pour votre voilier d’un gréement classique de trois-mâts à voiles souples : pourquoi ne pas avoir opté pour des options plus modernes comme les cerf-volant de traction ou les mâts-ailes ?
G-le-G. : Les systèmes avec kites, du type de ceux d’Airseas, ne décarbonent que marginalement. C’est une solution intéressante car on peut l’adapter sur tous les navires existants, mais la réduction de carburant n’est que de 10 à 20 %. Quant aux ailes, elles sont performantes au près, quand on pousse fort avec un moteur. C’est efficace quand le navire va déjà vite. Ceux qui ont fait ce choix n’éteindront jamais leurs moteurs. Les allégations de décarbonation ne tiennent pas la route pour cette raison. Nous avons fait le choix d’un voilier, et non d’un navire avec un système éolien d’appoint. Nous privilégions les allures portantes pour aller vite à la voile, sans moteur, en faisant du cap et en sollicitant moins le matériel et l’équipage. Les voiles en dacron sur enrouleur ont une efficacité comparable à celles des voiliers de course. Avec 2 m² de toile par tonne transportée, nous utiliserons le moteur à raison de moins de 10 % du temps. Si le chargeur doit accepter un léger delta sur le taux de fret, il faut lui proposer un bilan carbone très différent.
Propos recueillis par Étienne Berrier