Emmanuele et Gianluca Grimaldi, respectivement directeur général et président du groupe Grimaldi ont reçu le JMM alors que le transport maritime allait basculer dans un autre monde, celui d’un carburant à basse teneur en soufre conformément à la nouvelle réglementation édictée par l’OMI. Partisans du scrubber, les Grimaldi restent convaincus de leur choix.
Grimaldi exploite une flotte de 130 navires composée à la fois de con-ro, ro-ro, transporteurs de véhicules et ferries, opérant donc dans des segments de fret distincts et sur des routes maritimes à la fois océaniques et short-sea. Tous seront-ils conformes aux normes IMO 2020 en temps et en heure ?
Emmanuele Grimaldi : Effectivement, tous les navires de notre flotte seront en conformité à échéance et ce essentiellement grâce aux scrubbers. Les navires qui n’en sont pas équipés utiliseront un fuel dont la teneur en soufre sera de 0,5%. Nous sommes fiers de déclarer que notre groupe est un des rares armements qui aient largement anticipé et, ce faisant, équipé la majeure partie de sa flotte. Nous sommes par ailleurs très satisfaits de la qualité des scrubbers installés jusqu’à présent. Nous avons choisi le plus qualifié des constructeurs sur le marché. Évidemment, comme tout équipement, ces installations doivent être continuellement entretenues et maintenues en état de fonctionnement afin d’éviter toute défaillance.
Certains utilisateurs ont pourtant rencontré de nombreux problèmes : corrosion des conduites, inondation des salles de machines... De nombreuses critiques ont été formulées. Comment traitez-vous les eaux de lavage?
E.G : Il y a sur le marché de nombreux dispositifs, selon les trafics, les types de navires, en circuit ouvert [« open loop » avec rejet d’eaux de mer chargées en sulfure, NDLR], fermé [« close loop », résidus solidifiés, débarqués et traités dans les usines à
Votre engagement en faveur de la technologie du scrubber est-il conçu dans une optique à court terme, dans l’attente d’autres alternatives ?
E.G : L’installation de scrubbers à bord de nos navires est en effet une mesure transitoire car elle est à cette heure la meilleure alternative pour répondre à la nouvelle réglementation IMO2020. Cette technologie est en constante évolution. Nous sommes à la fois confiants et convaincus qu’elle sera en mesure de répondre aux autres normes qu’édictera l’OMI.
Vous le savez, le prix des carburants futurs et, surtout, l’écart entre le HFO et LSFO, fuels à haute et basse teneur en soufre, seront déterminants sur le plan opérationnel. Pour l’heure, l’histoire vous donne raison. Le différentiel entre les deux est suffisamment important pour que les scrubbers soient un bon investissement. Mais vous ne vous intéressez pas au GNL ?
E.G : Oui, l’évolution des prix des fuel reste la grande inconnue. Nos types de trafics ne rendent pas le GNL intéressant pour nous. Il y a des raisons à la fois économique, logistique et environnementale. Tout d’abord, il n’y a aucune certitude que le prix du GNL soit, dans tous les ports, meilleur marché que le fuel. Son prix est un grand secret. Dans certains pays, il est cher. Dans d’autres, il l’est moins et personne ne peut en donner les raisons. Ensuite, avec le GNL, il y a un sérieux problème d’approvisionnement étant donné que les possibilités de soutage y sont inexistantes, ce qui est le cas par exemple en Méditerranée. Dans cette région, d’ailleurs, très peu de compagnies ont adopté un tonnage propulsé par un système dual fuel-GNL. En outre, il reste un produit dangereux à transporter, qui consomme de surcroît de l’espace à bord et requiert une vigilance accrue. Enfin, n’oublions pas que le GNL est une source d’énergie fossile. Sur la base de nos propres calculs, le GNL n’est pas une solution commercialement viable dans un marché aussi compétitif que celui de la Méditerranée.
« Nous envisageons d’introduire une surcharge dans la Bunker Adjustment Factor »
Vos nouvelles générations de ro-ro GG5G hybrid et paquebots de croisière sont déjà capables de produire leur propre électricité lorsqu’elles escalent. Est-ce plus économique que le courant de quaiE.G : Dans les différents ports où nous escalons régulièrement, l’option de l’embranchement à quai n’est pas encore disponible. Et cela ne devrait pas changer à court terme. C’est la raison pour laquelle nous avons opté pour l’installation de batteries à bord. Une alternative qui nous satisfait.
Pour recouvrer le surcoût du combustible du fait de la nouvelle réglementation, les alliances maritimes et leurs membres ont toutes imposé dès décembre des surcharges dont la valeur varie considérablement. Comment Grimaldi compte-t- il récupérer ces coûts supplémentaires ?
E.G : Nous avons investi 300 M$ pour équiper notre flotte. Nous n’avons jusqu’à présent procédé à aucune surcharge afin de récupérer une partie de cet investissement. Néanmoins, nous envisageons d’introduire une surcharge IFO 380 – 0,5% sulfur dans la BAF (Bunker Adjustment Factor).
Le trafic entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest est en repli, notamment sur le breakbulk. Des VSA prennent forme entre opérateurs (BOCS/UAL). D’autres, comme NileDutch MPV, n’affrètent plus et jouent le rôle de NVOCC. Les trafics basculent sur le conteneur. Comment réagit-on chez Grimaldi face à ce marché dépressif ?
Gianluca Grimaldi : De diverses manières et à différents niveaux. Nous investissons dans de grands navires efficaces, qui sont économiquement viables grâce aux économies d’échelle. Nous investissons également dans les terminaux, ceci afin d’offrir des prix compétitifs tout au long de la chaîne logistique, du client au réceptionnaire. En ce qui concerne Anvers, où nous disposons d’un de nos plus grands terminaux en Europe du Nord, non seulement nous ne réduisons pas nos fréquences, mais nous avons l’intention d’investir davantage. Nous allons d’ailleurs démarrer la construction d’un centre à plusieurs niveaux pour parking de voitures et autres unités roulantes.
Vous êtes à Berlin pour le salon Fruit Logistica. Un segment stratégique pour vous ?
G.G : Le trafic des fruits et légumes est d’une importance croissante, plus particulièrement pour cer- taines liaisons en short sea, par exemple entre l’Italie et l’Espagne, l’Italie et la Grèce, l’Italie continentale, la Sicile et la Sardaigne. La plupart de nos navires sont équipés de prises qui permettent le chargement de camions reefers, plus particulièrement en Méditerranée et en Baltique. Nous avons bien l’intention d’accroître le nombre des prises à bord de nos rouliers.
« Nous avons bien l’intention d’accroître le nombre des prises reefers à bord de nos rouliers »
Considérant l’évolution de la taille des porte- conteneurs sur les routes de la côte Ouest-Africaine et de l’Amérique du Sud au départ de l’Europe, le concept con-ro est-il encore rentable ?
G.G : Il l’est et nous assure la flexibilité pour nous adapter à toute évolution de marché. Nos navires ont été conçus de façon à pouvoir modifier le mixage des cargaisons entre conteneurs, unités roulantes et general cargo, ceci dans le but de maximiser nos revenus.
Le groupe Grimaldi s’est lancé dans l’exploitation de ponts terrestres ferroviaires, dans le cadre d’une intermodalité mer/rail. Les liaisons Venise- Lübeck-Rostock et Patras-Igoumenitsa-Francfort sont opérationnelles. Le prochain objectif est Venise-Duisbourg. D’autres projets en vue ?
E.G : Un pont combinant mer et rail n’est possible qu’en fonction de ports qui ont la volonté d’investir dans des connexions ferroviaires. C’est particulièrement le cas de Venise. Ce port offre des possibilités de transport par rail de et vers l’Allemagne, d’unités non accompagnées de et vers la Grèce et les Balkans. Partout où cette forme de combinaison est offerte, nous considérons la situation.
Propos recueillis par Bernard Van den Bossche
Une affaire de famille : Diego Paccella (à gauche), directeur financier et beau-frère d’Emmanuele et Gianluca Grimaldi (au centre et à droite), respectivement directeur général et président du groupe Grimaldi