À charge de revanche
C’est un cessez-le-feu joyeux à défaut d’une paix sure. Et cette situation d’exception nous est offerte à un moment précis de la conversation de notre époque « covidienne » où l’on ne sait plus très bien si les termes « optimisme » et « pessimisme » ont encore du sens.
Nous, les terriens, sommes toujours ébahis par la non-certitude des choses. Comme si les faits étaient forcément codés-serrés à l’image du point de croix. À nouveau, la crise sanitaire nous adresse ses effets spéciaux chamboule-tout.
À la faveur d’un virus, entré par portes et fenêtres avec pertes et fracas, les rapports de force se redistribuent en mer avec un certain sens de la justice. Sur ce territoire éruptif, les navires polyvalents, ces bons vieux couteaux suisses des mers, connaissent leur épiphanie, adressant au passage un inattendu uppercut aux prédateurs qui colonisent depuis des années leur espace marchand.
Après avoir longtemps navigué dans un environnement de braconnage, leur fret siphonné tant par les porte-conteneurs commandés en excès dont il fallait remplir les cales que par les vraquiers aux ventres affamés par les récurrentes périodes de vaches maigres, les navires conventionnels sont sortis en 2020 du périmètre étriqué dans lequel ils avaient été confinés à coups de corne.
L’incroyable emballement dans la boîte et la vague haussière dans le vrac ont domes- tiqué les territoires de chacun, porte-conteneurs et vraquiers renvoyés à leur vocation de transport originelle. Une revanche sans doute éphémère – le temps d’un virus suspendu – mais qui repousse encore le point final pour ces « navires à tout faire » dont on nous adresse régulièrement le faire-part de décès et dont on voudrait irrémédiablement et définitivement « fermer le temps ».
Adeline Descamps
