2020, année atypique s'il en est, a bousculé les marchés et les façons de faire. Les armements ont ajourné les règles qu'ils s'appliquent dans les périodes de crise et privilégié la rentabilité à la guerre des prix. Les taux de fret flambent. Toute la chaîne logistique est perturbée. Point de vue de Paul Tourret, directeur de l’Isemar, sur cette année décidément étonnante.
Les acteurs du conteneur ont cette année les yeux rivés sur deux éléments : les résultats financiers des armements et le Shanghai Container Freight Index (SCFI), le thermomètre du secteur conteneurisé composé des taux spot au départ de la Chine. Les deux sont naturellement corrélés. À première vue, il serait tentant de penser que la crise sanitaire ferait chuter les trafics et les prix du transport en conséquence. Pourtant, il n'en a rien été. Les taux se maintiennent depuis quelques mois à des niveaux élevés et les résultats financiers des armateurs à la limité de l’indécence en ces temps difficiles.
Face à un marché dégradé, les opérateurs ont instauré leur propre mode de résistance. Suppressions de services, d’escales, non-respect des transit time, le désordre organisationnel semble manifeste. Les chargeurs peuvent donc s’en plaindre. La crise actuelle n'est pas conventionnelle comme a pu l'être celle de 2008-2009 qui avait réduit fortement la demande et fait plonger tout le système.
Marché atypique
Sur les deux grands marchés, Europe-Asie et transpacifique, il faut analyser l’année mois après moi. Mars et avril sont marqués par une forte chute des trafics, qui s'atténue sur les trois mois suivants entre mai et juillet. Puis août amorce une reprise suivie d'une envolée sur septembre et octobre. Au point que sur le transpacifique, il est même envisageable que sur l'ensemble de l'année, le trafic soit en croissance, sans doute infime.
Le marché est donc atypique. Il n’est pas guidé par le cycle habituel des produits saisonniers au printemps et en été et des consommations des fêtes en fin d’année. Il suit des problématiques exceptionnelles : confinement chinois, confinement euro-américain, rattrapages estivaux et poussées automnales. Cette année, la demande est donc hachée.
À une demande court-termiste guidée par le contexte de la pandémie et des politiques d’ouverture et fermeture des économies, le marché du conteneur offre un fonctionnement instantané. Les marchés spot sont le témoignage du rapport de force momentané entre l’offre et la demande. Les poussées de demande rencontrent la stratégie de resserrement de l’offre (résistance des armateurs). Alors il est naturel que les taux explosent.
Anormal ?
Est-il étonnant qu’un marché spot sur-réagisse à des pointes de demande ? C’est la règle dans les autres marchés maritimes. On peut comprendre les récriminations des chargeurs qui n’ont pas épuisé tous les sujets avec les armateurs même s’ils obtenu la fin des conférences en Europe il y a douze ans. Aujourd’hui, ils peinent à admettre la sur-performance financière des armateurs alors qu’ils subissent une offre dégradée pour laquelle ils payent le prix fort.
Les chargeurs et les forwarders sont sans doute surpris par le fait que les armateurs ne pratiquent pas une guerre commerciale sous les effets de la crise et de la concurrence. Dans ce contexte difficile, l'heure n'est pas belliqueuse. La discipline collective est plus facile à faire avec peu d’acteurs comme c’est le cas aujourd’hui.
Quelle tendance de fond en 2021 ?
La fin des conférences en 2008 devait offrir un marché plus libre. En fait, une décennie de crises, la surcapacité et les guerres commerciales ont bouleversé le panorama du marché des conteneurs et finalement produit une grande consolidation qui limite à une demi-douzaine le nombre d’interlocuteurs des chargeurs. Le marché libre est la route la plus rapide vers l’oligopole, mais aucun secteur mondial ne peut faire la leçon aux armateurs. Ni les industriels, ni la grande distribution, ni les forwaders.
Le marché contractuel est, lui, moins affecté par les oscillations micro conjoncturelles. Le China Container Freight Index subit lui aussi une variation bien différente des années précédentes. Il a grimpé de 30 % sur les routes principales par rapport à l’an dernier. Peut-être effectivement les chargeurs subissent-ils actuellement aussi une hausse des trafics contractuels.
La tendance de fond pour 2021 va-t-elle continuer de suivre ce marché très conjoncturel, fait de « stop and go »? Dans ce cas, le marché spot va être dominant avec des tarifs oscillants. Les chargeurs vont aussi s’adapter même si faire et défaire les services n’est pas si instantané que cela. Il ne faut pas oublier que les armateurs ont largement renforcé leurs capacités cet été et même au-delà de ce qu'ils proposaient en 2019. Peuvent-ils répondre à des pics de demande plus rapides ? Sans doute pas. Par contre, ils peuvent faire des efforts de fiabilité et mettre de l’ordre dans la disponibilité. L’année 2021, encore marquée par la Covid, devrait être elle aussi compliquée. Parier sur le monde d’après est, plus que jamais, prématuré.
Paul Tourret