Dans un entretien accordé au Financial Times, le secrétaire général de l’ITF, Stephen Cotton, a tranché. Après le 16 juin, « nous ne dirons plus aux gens de mer qu’ils doivent rester à bord. S’ils veulent partir, nous les aiderons. » L’ITF et la Chambre internationale de la marine marchande ont imploré pendant des semaines les gouvernements de faciliter les changements d'équipage rendus inopérants par la fermeture des frontières et les protocoles sanitaires. Près de 200 000 marins attendent désormais de pouvoir débarquer.
« Cela suffit ». « Assez, c'est assez ». La Fédération internationale des transports (ITF) s’adresse désormais directement aux quelque 200 000 marins qui, selon elle, attendent de débarquer des navires du monde entier et de rentrer chez eux. « Si vous avez terminé votre contrat, vous avez le droit d'être rapatrié ». Le syndicat avertit par ailleurs les gouvernements et l'industrie « qu'après le 15 juin 2020, il ne sera plus acceptable que les marins soient obligés de continuer à travailler ».
Après avoir demandé à maintes reprises aux gouvernements de faire en sorte que les relèves d’équipage soient possibles et de désigner comme des « travailleurs clés » les personnes qui travaillent dans les « secteurs critiques » du transport, la Fédération internationale des transports leur promet désormais le chaos. « Les conséquences pourraient être désastreuses pour le transport maritime mondial si des milliers de gens de mer refusaient de prolonger leur contrat et exigeaient d’être rapatriés, sans que d’autres équipages puissent les relever. Beaucoup de navires ne disposeraient plus de l’effectif minimal de sécurité, ce qui leur vaudrait d’être immobilisés par les autorités, ou invaliderait l’assurance de protection et d’indemnisation », indique l’ITF, qui rappelle aux marins qu’ils « ont le droit de ne pas effectuer de travail une fois leur contrat terminé, mais qu'ils doivent être disponibles pour la sécurité et les urgences ».
25 % en mer pendant 10 mois ou plus
Permettre à des marins de rentrer chez eux à la fin de leur période de service s’est avéré un véritable casse-tête de gestion pour toute la profession au fur et à mesure que les États se retranchaient derrière leurs murs pour éviter la propagation de l’épidémie. Les multiples adresses des organisations représentatives du secteur à l’intention des pouvoirs publics n’a pas vraiment opéré en dépit des risques que représente la prolongation des services en mer, en termes d’épuisement des marins, de sécurité des opérations des navires et de menaces sur la chaîne d’approvisionnement mondial à un moment critique. Sans parler des entorses aux conventions internationales sur la sécurité maritime et les conditions de travail qui stipule que la période maximale pendant laquelle un marin peut servir à bord avant d'avoir le droit d'être rapatrié aux frais de l'armateur est de 12 mois.
Seuls 25 % des 400 000 marins qui doivent changer d'équipage dans le monde ont été rapatriés d’après la Lloyd's List. Sur ce total, 25 % ont été en mer pendant 10 mois ou plus. Le 16 juin était la date limite pour que les gouvernements mettent en œuvre les protocoles en 12 points établis par la Chambre internationale de la marine marchande et l’ITF et entérinés en mai par l’Organisation maritime internationale (OMI) et l’Organisation internationale du travail (OIT). La feuille de route était censé offrir à ses 174 États membres un cadre sécure et simple pour permettre les changements d'équipage. Si une cinquantaine de pays l’auraient paraphé, ils tardent à passer à l’acte. Exceptés quelques rares États, comme Gibraltar, les Émirats arabes unis, Chypre, Singapour, peu ont accepté d’assouplir leurs réglementations.
Quelques États exemplaires
Les choses se décantent néanmoins. Singapour a souligné qu'elle avait autorisé environ 4 000 changements d'équipage depuis la fin mars. Au Canada, l’ITF a établi avec la Chambre de la marine marchande du Canada et Transport Canada un cadre pour que les gens de mer puissent « être transférés de et vers les aéroports, hôtels et navires », et transiter sans visas, ni à subir de quarantaine.
À Hong Kong, les gens de mer qui embarquent ou débarquent à Hong Kong ne doivent pas non plus être placés en quarantaine ni obtenir d’autorisations spéciales mais doivent, autant que faire se peut, éviter les interactions avec la population locale.
Création de couloirs
« La crise actuelle révèle les profonds dysfonctionnements du système maritime international, poursuit l’ITF. Il y a les États du pavillon qui ne peuvent pas ou ne veulent pas, rapatrier les gens de mer. Il y a les pays pourvoyeurs de main-d’œuvre, d’où proviennent la majeure partie des gens de mer, dont les gouvernements refusent de les laisser rentrer. Et il y a les puissants États du port, qui ne rechignent pas à accepter les déplacements de marchandises mais qui ne font rien pour faciliter la relève des équipages ».
Parmi les États du pavillon, Chypre a annoncé des protocoles spéciaux pour les relèves d’équipage. Du côté des pays pourvoyeurs de main-d’œuvre, pas moins de 35 000 Philippins sont toujours bloqués sur des paquebots dans la baie de Manille et n’étaient pas autorisés à descendre à terre.
En ce qui concerne les États du port, en Europe, le Trades Union Congress (TUC) du Royaume-Uni a interpellé dernièrement le gouvernement de Boris Johnson l’invitant à « être le moteur des efforts internationaux en faveur de la facilitation des relèves d’équipage et de la création de ‘couloirs sans risque’ permettant la libre circulation des gens de mer. Si nous n’agissons pas, cette crise déstabilisera nos chaînes d’approvisionnement indispensables et compromettra la relance économique britannique. »
Adeline Descamps