À l’issue de la 6e session sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre générées par le transport maritime, qui s'est tenu du 11 au 15 novembre à l'OMI à Londres, l'approche visant à atteindre des objectifs par phases mais en laissant le choix des « armes » pour les atteindre a été plébiscitée. Les auteurs des autres propositions sont invités à affiner leurs propositions pour le MEPC75 en avril 2020...
Le groupe de travail planchant sur les mesures à mettre en œuvre à court terme pour atténuer l'empreinte environnementale des navires ayant à peine clôturé ses travaux que l'OMI se félicitait dans un communiqué. « Nous avons accompli des progrès significatifs vers la réalisation des objectifs ambitieux fixés dans la stratégie de l'OMI, qui vise à décarboner le secteur d’ici 2050 ». Figure de style imposée. En réalité, la rencontre, à laquelle ont participé 400 représentants de près de 70 États membres, de la Commission européenne, de la Ligue des États arabes et d'une trentaine d'ONG, n'avait pas pour finalité d’arrêter une décision.
Il s’agissait d’étudier la faisabilité technique et les impacts des différentes propositions de court terme déposées par ses États-membres et organisations représentatives du secteur pour réduire les émissions de CO2, responsable des gaz à effet de serre (GES) en vue de la 75e session du Comité de la protection du milieu marin (MEPC) prévue du 30 mars au 3 avril 2020. Ce n’est qu’au cours de cette rencontre que certaines dispositions pourraient être approuvées afin d’être adoptées avant l'automne prochain.
Les délégués avaient sur la table une dizaine de mesures qui laissent entrevoir trois grandes approches : la limitation de la vitesse des navires (mesure portée par la France et défendue par Armateurs de France), la régulation de la propulsion (présentée par le Japon et la Norvège, soutenue par International Chamber of Shipping et le Bimco, toutes deux organisations de poids au niveau international). Une autre approche défend une logique d’objectifs à atteindre par étapes, laissant aux armateurs le choix des moyens pour y parvenir.
Transport maritime écoresponsable
C'est cette dernière approche qui a eu les faveurs à ce stade des échanges. L'OMI estime qu'une approche obligatoire axée sur des objectifs « offrira la souplesse et l'incitation nécessaires pour stimuler l'innovation de façon à créer les ruptures technologiques qui permettront de parvenir à un transport zéro carbone ».
Les promoteurs de cette approche ont présenté des mesures d'ordre à la fois technique et opérationnel. Parmi les solutions techniques, figurent notamment un indice d'efficacité énergétique des navires existants (EEXI), qui exigerait que les navires respectent de façon obligatoire des exigences en matière d'efficacité énergétique. Depuis le 1er janvier 2013, les navires neufs doivent calculer leur index d’efficacité énergétique (EEDI) et la valeur obtenue doit être inférieure à un plafond établi sur la base des navires construits durant les dix dernières années. Aucun navire ne peut recevoir ses certificats s’il dépasse ce plafond. Ils mettent aussi dans cette « famille » de mesures, la limitation obligatoire de la puissance de propulsion des navires.
Les mesures opérationnelles consisteraient entre autres à renforcer le plan de gestion de l'efficacité énergétique du navire, comme l'exige le programme existant SEEMP. Autre norme en vigueur depuis le 1er janvier 2013, le plan de management de l’efficacité énergétique (SEEMP) liste les mesures techniques et opérationnelles mises en œuvre à bord pour réduire les émissions de CO2. Selon une étude de l’OMI, réalisée en amont de l'entrée en vigueur de la nouvelle norme, l’EEDI permettrait une diminution des émissions de CO2 de l'ordre de 600 Mt à 1 milliard de tonnes en 2050, et le SEEMP, entre 103 Mt et 325 Mt, d’après Armateurs de France. Les propositions d’ordre opérationnel comprennent des mesures visant à optimiser la vitesse par exemple.
Inefficacité de la réduction de la puissance des navires ?
Quant aux deux autres approches – limitation de la vitesse ou de la puissance des navires – les auteurs des diverses propositions ont été invités à revoir leurs copies pour une nouvelle présentation à l’occasion du MEPC75. Leurs solutions doivent être affinées, notamment du point de vue de la mise en œuvre et de leurs impacts (sur le coût du transport, les marchandises de première nécessité ou d’urgence, sur les répercussions sur les clients…). L'OMI craint en effet des effets négatifs et des distorsions de concurrence.
La réglementation prescriptive de la réduction de la vitesse a été la plus vivement débattue et critiquée. Sans doute la présentation faite en milieu de semaine par l'International Council on Clean Transportation (ICCT) a plombé l’approche. L’organisme a effectué une étude analysant l’efficacité de la mesure sur le CO2. Ses premiers résultats (l'étude complète sera publiée lors du MEPC75) révèlent que la limitation de puissance de 20 à 30 % du navire n’aurait aucun effet ou négligeable, qu'il s'agisse de vraquiers, porte-conteneurs ou tankers, car ils fonctionnent déjà à faible coefficient de charge.
En analysant la puissance motrice des navires en flotte sur la base des données 2018, les porte-conteneurs de 3 000 à 5 000 EVP devraient être bridés à 50 % pour n'obtenir qu'une faible réduction de CO2. De même, les vraquiers de 60 000 à 100 000 tpl ne réalisent qu'une faible économie avec une limitation de 40 % de la puissance du moteur. Il faudrait contraindre les moteurs à 60 % pour obtenir une économie de CO2 de 6 % à 17 % selon les conditions. Or, à ce niveau, les navires seraient en deçà de la puissance de propulsion exigée pour fonctionner dans des conditions sures.
Parmi les autres décisions...
Dans une perspective à plus long terme, et afin d'encourager l'adoption de carburants alternatifs à faible émission de carbone, il a en outre été décidé de créer un groupe de travail spécifique afin de plancher sur un référentiel permettant « d’évaluer l'intensité en carbone sur le cycle de vie de tous les types de carburants pertinents ».
Et maintenant ? Une 7e réunion du groupe de travail sur les GES se tiendra du 23 au 27 mars 2020 en amont du MEPC 75 (du 30 mars au 3 avril 2020), où les décisions devraient être prises. À l’occasion du MEPC 76 (du 19 au 23 octobre 2020) seront publiés les résultats de la quatrième étude sur les GES. L’inventaire des émissions mondiales de GES* devrait comprendre pour la première fois un état des lieux annuel de 2012 à 2018, les données statistiques étant désormais disponibles.
Adeline Descamps
* Dioxyde de carbone (CO2), méthane (CH4), oxyde nitreux (N2O), hydrofluorocarbures (HFC), perfluorocarbones (PFC) et hexafluorure de soufre (SF6).
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