« Le transport maritime étant l'un des secteurs les plus difficiles à décarboner, il est essentiel de développer des carburants et des technologies à faible teneur en carbone ou sans carbone à un prix abordable. C'est pourquoi les carburants renouvelables d'origine non biologique devraient être compris dans la définition des "technologies stratégiques à zéro émission" de la loi, afin que des capacités de production dédiées puissent être rapidement développées », regrette d’emblée l’ECSA, l’association des armateurs de la Communauté européenne, dans un communiqué diffusé le 16 mars.
Les armateurs européens ont réagi rapidement à la présentation, le jour même, par la Commission européenne d’un projet de réglement pour une industrie à zéro émission (Net zero industry act), qui avait été annoncé en janvier par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen.
Tout en saluant « la prise en compte des technologies renouvelables offshore et de la capture et du stockage du carbone dans la liste des technologies stratégiques net-zéro », la représentation européenne des armateurs et propriétaires de navires regrette que l’occasion ait été manquée de « reconnaître comme il se doit au transport maritime son rôle stratégique pour la sécurité énergétique, alimentaire et de l'approvisionnement en marchandises de l'Europe ». Une clé pour la compétitivité du secteur, selon eux.
Début d’un cheminement législatif
Le texte européen, qui sera amendé ces prochains mois par les États membres et les eurodéputés dans le cadre d’un cheminement législatif classique, vise à accélérer le développement de technologies vertes, érigées en priorités pour atteindre la neutralité carbone en 2050, « bâtir la souveraineté énergétique » de l’UE et s'affranchir des importations « notamment de la Chine et de la Russie ». En clair, combler le déficit d'investissement actuel dans les technologies clés de la transition énergétique.
Les propositions, préparées par le commissaire français au Marché intérieur Thierry Breton, se veulent en effet une réponse directe aux aides d'État chinoises et américaines. Outre-Atlantique, l'Inflation Reduction Act prévoit 340 Md$ de subventions pour les industries implantées sur le sol américain. Le niveau d’investissement européen n’est pas clairement mentionné mais il fait réagir les grands secteurs de l’industrie européenne.
Une banque de l’hydrogène
Pour combler son retard, Bruxelles se fixe l'objectif d'assurer 40 % de ses besoins en technologies vertes avec ses propres ressources à l'horizon 2030.
Pour ce faire, le plan prévoit de simplifier et accélérer les procédures administratives pour les implantations industrielles, de clarifier les cadres réglementaires de façon à garantir la viabilité financière des projets et d’introduire des critères environnementaux dans les appels d'offres publics ou de mesures fiscales pour pallier les écarts de coûts
Parmi les technologies vertes visées par le texte européen : les éoliennes, les panneaux solaires, l'hydrogène renouvelable, le stockage du CO2, les électrolyseurs et piles à combustible, biogaz/biométhane… pour ce qui intéresse le secteur maritime.
Quant à la technologie qui convainc de plus en plus en tant que « solution climatique économiquement viable » – la capture et le stockage de CO2 –, la loi pourrait fixer un objectif de 50 Mt à « enfouir » dans les sites de stockage dits « stratégiques » d'ici à 2030.
L’hydrogène au cœur des enjeux européens
Autre technologie vers laquelle devraient être fléchés les subsides publics, l’hydrogène vert dont l'Europe veut être un hub mondial de production.
Il est de nouveau question d’une Banque européenne de l'hydrogène, qui avait été promise en septembre par la présidente de la Commission avec quelque 3 Md€ de financements à la clé. Le mode opératoire est encore flou à ce stade mais « l’objet » a surtout pour valeur de démontrer l’intérêt que l’exécutif européen lui prête.
Cette nouvelle institution publique lancera ses premières enchères pilotes sur la production d'hydrogène renouvelable dans le cadre du Fonds pour l'innovation à l'automne 2023.
Les projets sélectionnés recevront une subvention sous la forme d'une prime fixe par kg d'hydrogène produit pour une durée maximale de 10 ans.
Avant la fin de l'année, tous les éléments de cette nouvelle institution publique devraient être opérationnels, fait valoir Bruxelles.
Pour rappel, en vue d'atteindre la neutralité carbone en 2050, l'UE a pour objectif d'ici 2030 de produire 10 Mt d'hydrogène renouvelable par an sur son sol et d'en importer le même volume. Un texte imposant des niveaux minimaux d'hydrogène renouvelable dans l'UE fait actuellement l'objet d'âpres négociations entre États membres
Une année capitale pour la transition énergétique du transport maritime
2023 sera une année-majuscule dans le transport maritime pour déterminer une trajectoire compatible avec l'objectif de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C, ce qui exigerait de la part de tous les émetteurs une réduction de moitié des émissions de gaz de serre d'ici à 2030.
Les négociations sur des objectifs climatiques renforcés devraient être à l’ordre du jour cette année. Et plus encore les débats autour du prix du carbone, qui permettrait de combler l'écart de prix entre les combustibles verts (vertueux mais coûteux) et les combustibles fossiles (polluants mais bon marché et non taxés) tout en dégageant les dizaines de milliards de dollars par an nécessaires pour embarquer le secteur vers des technologies à zéro émission.
Elles animeront les hémicycles européens mais aussi ceux de l’OMI, pris de vitesse par une Europe plus entreprenante sur le sujet. À Londres, le « zéro émission » à atteindre d'ici à 2050 pourrait être adopté lors de la 80e session du comité de protection du milieu marin (MEPC 80) en juillet, alors que seule une réduction de moitié des émissions à la même date fait office aujourd'hui d'objectif.
Quoi qu’il en soit, tous les armateurs, exploitants ou propriétaires de navires, fournisseurs de carburants, opérateurs d’infrastructures… attendent des signaux clairs réglementaires de façon à enclencher les décisions d'investissement à grande échelle.
Adeline Descamps