La justice camerounaise, saisie par le consortium franco-danois Bolloré-Maersk, a annulé l'attribution, pour la période 2020-2035, de la concession du terminal à conteneurs de Douala à Til, l'opérateur portuaire du groupe MSC. Ouverture d'une nouvelle séquence judiciaire en perspective...
Enième épisode d’une saison camerounaise qui s’étire et bégaie depuis près de deux ans. Le tribunal administratif a annulé ce jeudi 26 décembre l'attribution de la concession du terminal à conteneurs de Douala-Bonabéri à Terminal Investment Logistics (Til), filiale de MSC. La juridiction avait été saisie par la société de droit camerounais Douala International Terminal (DIT), dont les deux principaux actionnaires sont le groupe français Bolloré et danois Maersk, via leurs filiales respectives Bolloré Ports et APM Terminals, qui contestaient la procédure d’appel d’offres. Elle leur a donné raison, en estimant que la procédure avait été entachée d’irrégularités.
La concession du terminal, que détenait le duo franco-danois depuis 2005, arrivait à ses termes le 31 décembre. Elle devait être renouvelée pour la période 2020-2035. Il faut remonter au 18 janvier 2018 pour filer toutes les étapes de cette histoire au premier abord juridique et au final devenue très politique. À cette date est lancé par le port autonome de Douala (PAD) l’appel à manifestation d’intérêt dans le cadre du renouvellement de la concession.
Le dépouillement des offres avait abouti à l’élaboration d’une première sélection, a priori de quatre entreprises, parmi lesquelles auraient figuré l’actuel concessionnaire DIT, le hongkongais Hutchison Port Holdings, le singapourien PSA International (actionnaire par ailleurs à 20 % du précédent) et l’émirati DP World. Mais des arbitrages effectués à divers niveaux de la hiérarchie gouvernementale ont ensuite abouti à une autre liste, de laquelle ont été évincés deux candidats, DIT et PSA, tandis que d’autres ont émergé.
La valse des opérateurs portuaires à Douala
Déni des décisions de justice
Pour avoir été évincé « un peu trop rapidement » dès la pré-qualification, le groupe Bolloré, gestionnaire d’une vingtaine de ports en Afrique, a réagi très vite à son tour en portant le dossier sur le plan judiciaire. Le 16 août, il obtenait du tribunal administratif de Douala un sursis, permettant de suspendre la consultation en cours. Le Port autonome de Douala a rétorqué par un pourvoi devant la Cour surprême où il a été débouté, mais sans ajourner la consultation en cours, s’exposant ainsi au risque de l’illégalité.
Deux entreprises ont in fine répondu, DP World et Til, la filiale portuaire contrôlée à 65 % par MSC, armateur « outsider » sur le continent par rapport à ses deux « frères-ennemis », CMA CGM et Maersk notamment, via respectivement CMA Terminal et APM Terminals. En Afrique de l’Ouest, MSC avait jusqu'à présent tout misé sur le Lomé Container Terminal (LCT) en lui confiant le rôle de hub régional pour ses lignes avec l’Asie, permettant d’ailleurs au port togolais d’intégrer le club « select » des millionnaires (1,2 MEVP).
Intervention de Yaoundé
Mi-septembre, le PAD désigne Til comme l’adjudicataire de la concession du terminal de conteneurs pour les 15 ans à venir à compter du 1er janvier 2020. Alors qu’il devait signer le contrat le 31 octobre, un autre inattendu l’en a empêché. Dans un courrier révélé par le média Africa Intelligence, portant la mention « confidentiel et très urgent » et adressé au directeur général du port autonome de Douala le 23 octobre, le secrétariat général de la présidence du Cameroun Ferdinand Ngoh Ngoh demandait la suspension de la finalisation du contrat – « sur ordre du président de la République » – dans l'attente des « conclusions définitives » du tribunal administratif, saisi par Bolloré.
Certains ont eu tôt fait de noter que l’ingérence de Yaoundé se manifestait alors que le chef de l'État camerounais, Paul Biya, venait de rencontrer le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, alors en visite pour inaugurer le deuxième pont sur la rivière Youri à Douala, financé par des fonds de développement français.
Renationalisation
La Cour suprême du Cameroun ayant rejeté la demande de l'autorité portuaire d'annuler la décision de suspendre le processus de désignation, le PAD annonçait le 5 décembre qu’il allait en assurer lui-même la gestion dès janvier, via une régie déléguée (Régie du Terminal à Conteneurs, RTC), estimant donc que le mandat du groupe franco-danois serait bel et bien échu. Sans cette ultime manœuvre, la suspension s’éternisant au-delà du 31 décembre, la direction portuaire aurait été dans l’obligation de prolonger le contrat de l'actuel délégataire. Sauf si elle était en mesure de l’opérer en direct, ce qu'elle estime pouvoir faire.
L’affaire n’est sans doute pas éteinte. Selon des sources locales, non sourcées, la création de la RTC, elle-même sujette à contestation sur un plan juridique, pourrait ouvrir une nouvelle séquence judiciaire. Sur le plan opérationnel, les professionnels sont surtout inquiets de cette reprise en main du terminal par les autorités portuaires. Et ce d'autant qu'un nouveau système d' exploitation doit entrer en vigueur dès le 1er janvier 2020 et qu'était prévu une formation minimale de six mois pour les employés en charge de l'implémentation.
Nids à enjeux
Au-delà de l’affaire et de ses suites judiciaires, le terminal si convoité de Douala, porte d'entrée de marchandises d’Afrique centrale, est une illustration de l’âpre concurrence qui se joue, plus largement, entre les ports au sein du Golfe de Guinée. Une petite dizaine de ports ouest-africains y redoublent d’investissements pour s’imposer en tant que points d’entrée clefs du continent pour desservir les marchés intérieurs des pays enclavés. Ces nouvelles « terminaisons portuaires » sont des nids à enjeux pour les premiers armements mondiaux, d’autant que jusqu’à présent la mise en concession des terminaux a été largement préemptée par Bolloré, par ailleurs concessionnaire du nouveau port camerounais de Kribi, à quelque 200 km au sud de Douala, ainsi que par l’émirati DP World, qui a investi toutes les façades portuaires du continent.
Adeline Descamps