Accélération en matière de transition énergétique des navires. Les projets pilotes et les démonstrateurs visant la décarbonation du transport maritime ont augmenté de 38 % en six mois selon la seconde cartographie établie par la coalition Getting to Zero. Les financements publics étant déterminants, les projets européens dominent. Mais l’Asie a de grandes ambitions. La Chine, qui a déjà emporté la partie sur les batteries et les électrolyseurs, a les atomes particulièrement crochus.
Tous les navires en « pincent » pour l’hydrogène à l’aube d’un nouveau régime énergétique imposé. L’élément le plus léger du tableau de Mendeleïev accapare les intérêts dans le domaine des petits navires. Pour les plus grandes unités, le méthanol, l’ammoniac et encore l’hydrogène tiennent la corde. En matière de production de carburants, le Power-to-X, dérivé de l'hydrogène, s’impose. Ce sont quelques-uns des enseignements contenus dans cette seconde édition de la cartographie établie par la coalition Getting to Zero, une coopération internationale composée d’entreprises et d’organismes publics initiée en septembre 2019 pour accélérer les développements des technologies nécessaires à la décarbonation du transport maritime dans les temps impartis par l’OMI (2030 et 2050). Le mapping fait part d’une réelle accélération puisque le nombre de projets est passé de 66 à 106 en six mois.
L’étude a inventorié des projets couvrant l'ensemble de la chaîne de valeur, catégorisés en fonction de leur localisation géographique, objectifs, catégories, choix du combustible et de l'existence d'un financement public. De l’analyse de ces paramètres ressortent quelques tendances clés : les pilotes dominent dans la production de carburants, les infrastructures de distribution (soutage, rechargement) ou encore les technologies des navires...
Moins de batteries, plus d’ammoniac
« Dans l'ensemble, la cartographie montre que des travaux importants sont en cours sur plusieurs combustibles différents, sans qu'une préférence ne se dégage », indiquent les directeurs de projet et auteurs du rapport, Jesse Fahnestock et Connor Bingham.
Dans le domaine des grands navires, le mapping révèle une augmentation des projets axés sur l'ammoniac, le méthanol/éthanol et l'hydrogène, tandis que l'alimentation par batterie, les biocarburants et la propulsion éolienne ont perdu du terrain. « Depuis la publication de la première édition il y a six mois, nous avons reçu quatre projets supplémentaires de démonstration de grands navires à l'ammoniac et nous assistons actuellement à la passation de certaines des premières commandes de ces navires. »
La cartographie a également révélé une augmentation des projets relatifs au méthanol/éthanol, certains méthaniers étant désormais construits pour fonctionner au méthanol en plus de le transporter. Aussi, les batteries sont désormais davantage exploitées comme source d'énergie auxiliaire, et non plus comme principal moyen de propulsion. C'est également le cas pour quelques projets relatifs à l'hydrogène qui prévoient l'utilisation de piles à combustible en apports d’énergies.
Pour les navires de plus petite taille, « nous constatons une transition moins marquée vers de nouveaux types de carburant. Il semble y avoir une préférence pour l'hydrogène, l'alimentation par batterie ou une combinaison des deux. »
71 projets en Europe
Quant à la localisation de la R&D, la plupart des développements identifiés dans la cartographie sont européens : 71 au total. La Norvège, les Pays-Bas, le Danemark et la Belgique comptent tous plus de 10 d’entre eux. Le nombre de démonstrateurs asiatiques a également augmenté, passant de 16 à 31, le Japon et la Chine accaparant la majorité tandis que la Corée du Sud se positionne également. Il se peut que cette émergence soit aussi liée à une amélioration des méthodes de recherche du mapping entre les deux éditions.
Les avancées connaissent en outre un rythme soutenu : au cours des six derniers mois, environ 10 % des projets de la première édition ont annoncé de nouvelles phases de développement, une augmentation de leur taille ou de leurs ambitions ou le passage du stade de l'étude à celui de la démonstration.
Les multiples paris de l'hydrogène vert
L’UE en bailleur de fonds
Sur les 106 projets recensés, un peu plus de la moitié (54) ont bénéficié d'un financement public direct, l’UE en tête. « Le financement public n'a été comptabilisée que lorsqu'un financement direct a été accordé au projet, modèrent les rédacteurs. Cela peut expliquer en partie le nombre plus faible de projets financés par des fonds publics en dehors de l'Europe, qui bénéficient souvent d'un soutien public, mais pas nécessairement d'un financement direct comme c'est le cas, par exemple, dans l'UE. » Parmi les plus subventionnées, les technologies en lien avec la production de carburants à grande échelle.
Vue comme la technologie du futur, réunissant toutes les qualités (à condition d’être verdie par électrolyse de l'eau avec de l'électricité renouvelable) pour réussir la transition écologique, n'émettant que de la vapeur d'eau en tant que carburant, l’hydrogène occupe donc une large place dans ce Mapping of Zero Emission Pilots and Demonstration Projects. Cette donne reflète l’effervescence de ces derniers mois autour de cet élément qui contient pas un seul atome de CO2 à l’état naturel mais dont la production est très polluante, rejettant monoxyde de carbone (CO) et CO2 car elle est massivement issue des énergies fossiles.
Au cours des trois derniers mois, pas une semaine ne s’est écoulée sans qu’un pays n’annonce une stratégie liée à l’hydrogène vert, notamment en Europe, à la faveur des plans publics de relance. L'Allemagne compte investir 9 Md€ d'ici 2030. La France a dégagé 7 Md€, autant que le Portugal. Des stratégies similaires existent au Royaume-Uni (12 Md£), en Australie et en Asie. Le Japon, qui mise aussi sur l’ammoniac, compte investir 3 Md$. La Chine, qui a un grand besoin de décarboner puisque sa production est actuellement basée sur le charbon, a mis sur la table 16 Md$.
Intense compétition
Bien que l’hydrogène soit l’élément le plus abondant dans l’univers, il n’est pas facilement disponible sur notre planète. Pour le produire, différentes méthodes existent : utiliser des combustibles fossiles comme le pétrole et le charbon (hydrogène gris) ; utiliser le même procédé, mais en ajoutant des technologies pour capturer le CO2 (hydrogène bleu) ; ou utiliser de l’électricité renouvelable pour alimenter un électrolyseur qui sépare l’hydrogène des molécules d’eau (hydrogène vert). Or, son prix est bien plus élevé que celui de ses homologues bleus et gris.
Selon une étude sur l’économie de l’hydrogène réalisée par IHS Markit, le prix de l’hydrogène vert baisse rapidement, principalement en raison des économies d’échelle et de la diminution des coûts des énergies renouvelables. Avec la chute des prix du solaire et de l'éolien, et sous condition de changement d'échelle, l'hydrogène vert pourrait d'ici 2050 être produit pour 0,8 à 1,6 $ le kg, ainsi comparable au gaz naturel, soutient Bloomberg NEF. Sept grands noms des énergies renouvelables – Iberdrola, Ørsted, ACWA Power, CWP Renewables, Envision, Yara et Snam – se sont engagés au sein d’une alliance à parvenir à un niveau de 2 $/kg, d'ici 2026, tout en multipliant la production par 50.
Nouvelle étape vers l'alimentation en hydrogène des navires ?
L’enjeu des électrolyseurs
Les moyens d’aller « chercher » l’hydrogène pour le réutiliser dans le système énergétique étant désormais envisageables, il y a une compétition industrielle intense dans la filière de l’électrolyse. La Chine domine ce marché mais sur des électrolyseurs à base d’alcalin (pas cher) alors que les industriels européens maîtrisent des technologies autrement plus sophistiquées comme les protons. GTT, l’entreprise française des systèmes de confinement pour le transport maritime et le stockage de gaz naturel liquéfié a annoncé le 19 octobre l'acquisition d'Areva H2Gen, un fabricant français d'électrolyseurs basés sur cette technologie à valeur ajoutée.
En juillet, la Commission européenne, qui vise 12 à 14 % d'hydrogène dans son bouquet énergétique en 2050 (contre 2 % aujourd'hui), a déclaré qu’elle cherchait à augmenter sa capacité de production d’électrolyseurs de 250 MW (niveau actuel) à 40 GW en 2030. Échaudée par la bataille perdue dans les batteries et les composants solaires ?
Adeline Descamps