Ils y viennent finalement, la crise russso-ukrainienne ne manifestant aucun signe d’apaisement. Si Hapag-Lloyd a annoncé, dès le 28 février, ne plus prendre de réservations de et vers la Russie, la plupart des compagnies de la ligne régulière s’étaient montrées moins radicales, se contentant d’envisager l’impasse russe comme une option. Elles tranchent alors même que les marchandises conteneurisées ne figurent pas actuellement pas sur la liste de ce qui est sanctionnable mais pourrait l’être tôt ou tard.
Avec « effet immédiat et incluant les Pays Baltes, la mer Noire et la Russie orientale », mais à l'exception des produits de première nécessité « sous certaines conditions » pour MSC, qui avait été la dernière en date à suspendre la desserte des ports ukrainiens.
CMA CGM s’inscrit également dans ce schéma. Tout comme la japonaise ONE qui n’assure plus le transport de marchandises vers Saint-Pétersbourg et Novorossiysk, tout en étudiant actuellement des solutions alternatives.
Maersk lève également, et « jusqu’à nouvel ordre », les nouvelles réservations « par voie maritime, aérienne et ferroviaire intercontinentale au départ et à destination de la Russie ». Les six transporteurs contrôlent 62 % de la capacité mondiale, selon les données d'Alphaliner.
Retards dans les ports non-européens
Dans une note à ses clients, l’armateur danois renseigne davantage la situation. « Nous commençons à constater les effets sur les flux de la chaîne d'approvisionnement mondiale, tels que les retards et la rétention des marchandises par les autorités douanières dans les différents hub de transbordement », justifie-t-il.
La compagnie fait référence aux contrôles à l’exportation des marchandises à destination de la Russie qui ont redoublé dans le cadre de la mise en œuvre des procédures découlant des sanctions internationales. « Nos équipes sont en contact permanent avec les autorités douanières et portuaires locales afin d'accélérer le dédouanement de toutes les marchandises non stigmatisées. » Pour le fret déjà chargé à bord et les réservations effectuées, elle s’engage à les livrer, dans la mesure du possible à la destination prévue, ce qui suppose une desserte des ports russes.
Niveaux d’alerte relevés
Le groupe de transport s’attend en conséquence à une exacerbation des retards dans les ports nord-européens et indique par ailleurs avoir relevé ses niveaux d'alerte et pris des mesures préventives pour protéger ses systèmes informatiques et d’informations.
Cela fait quelques jours que les analystes se relaient pour les mettre en garde contre de potentielles cyberattaques, identifiées comme la menace principale pour le secteur du conteneur, autrement moins exposé que ne l’est le vrac sec et liquide. Selon les projections, même si les sanctions économiques affectent les volumes de conteneurs en Russie, l'impact sur les volumes mondiaux ne serait que de 0,6 %.
Cependant, tous les volumes de conteneurs russes ne seraient pas concernés au regard de la dynamique des ports de Vladivostok, grand port d’Extrême-orient, où débouche le Transsibérien, qui permet de rejoindre Moscou par le rail en sept jours, et de Vostochnyy, certes base de lancement des fusées Soyouz mais aussi desservi par la ligne de fret ferroviaire. Selon les dernières données disponibles, plus de 300 000 EVP avaient été transportés par rail de la Chine vers l'Union européenne au cours du premier semestre 2021.
DSV, DHL, Geodis
Dans leur sillage, les grands transitaires, à l’instar du danois DSV, de l’allemand DHL ou du français Geodis, s’en tiennent pour l’heure à l’interruption de leurs services à destination et en provenance de l'Ukraine tout en maintenant encore opérationnelles des activités en Russie, sans doute en sursis.
Geodis anticipe pour sa part des retards, des réductions de capacité et des augmentations de tarifs, a fortiori si le conflit persiste. L’ensemble de la circulation des marchandises par voie maritime, aérienne et terrestre serait déjà perturbé. Des opérateurs laissent entendre qu’ils pourraient privilégier des alternatives aériennes et maritimes aux moyens terrestres, le Transsibérien par exemple, si les perturbations à terre devenaient trop prégnantes.
Le fret aérien est pourtant sous pression avec l’interdiction du survol aérien des territoires russes et ukrainiens et la fermeture de l’espace aérien russe à 38 pays occidentaux, ce qui contraint les avions à emprunter des itinéraires plus longs.
Réciprocité entre la Russie et le Royaume-Uni
La Russie a interdit aux compagnies aériennes immatriculées au Royaume-Uni d'opérer dans son espace aérien, en réciprocité aux mesures prises par le gouvernement britannique. Après avoir fermé son ciel, le Premier ministre Boris Johnson a demandé aux ports britanniques de ne plus permettre à des navires « contrôlés, affrétés ou exploités par des intérêts liés à la Russie » d’accoster dans un port anglais.
Selon les données de suivi des navires, il y aurait actuellement 16 navires battant pavillon russe dans les eaux britanniques et quatre en propriété de Sovcomflot. La décision du Royaume-Uni fait suite à des pressions de la société civile et d’élus protestant contre l’arrivée d’un aframax de la plus compagnie maritime russe au terminal pétrolier Flotta, dans les îles des Orcades en Écosse.
Adeline Descamps