Les problèmes soulevés par le Covid-19 pour la gestion des équipages sont particulièrement aigus. Des solutions sont trouvées au fur et à mesure.
« Les mesures prises sont draconiennes », assène Fernand Bozzoni, président de l’armement pétrolier basé à Bordeaux, la Socatra. « Lors des escales, l'accès est interdit. La montée à bord des services extérieurs est extrêmement limitée. Tous doivent porter un masque et restent au pied de la coupée. » Les problèmes soulevés par le Covid-19 pour la gestion des équipages sont multiples, les solutions trouvées au fur et à mesure. Des procédures ont été mises en place pour le nettoyage des soutes des bateaux. Pour l'avitaillement, les marchandises sont déposées sur le quai et montées à bord par grue. Tout est fait pour éviter les contacts. Des consignes strictes ont été données pour prévenir l'apparition de la maladie à bord de ses navires en se référant notamment aux conseils du centre médical de Purpan. « Jusqu'à présent, nous n'avons pas de personnes infectées », ajoute Fernand Bozzoni.
Parmi les problématiques posées, la relève des équipages, qu'il s'agisse de marins français ou étrangers, s’avère particulièrement compliquée avec la fermeture des frontières et les restrictions de transit. Les changements d’équipage dans des ports lointains sont évidemment les cas les plus difficiles à gérer. Les transferts, qui permettent aux navigants de rejoindre le navire sur lequel ils doivent embarquer ou regagner leur domicile, sont autant de sources de contamination. « Nous préférons éviter de courir le risque », indique Fernand Bozzoni. La Socatra, comme beaucoup d'autres armements, a fait le choix de garder les équipages confinés à bord. « Nous avons avisé les bords, les relèves sont suspendues. C'est trop risqué, notre pire crainte serait de commettre une erreur » et de mettre ainsi en péril la santé des navigants. « Si on découvrait un cas suspect au milieu de l'Atlantique ou du Pacifique, il faudrait mettre tout le bateau en quarantaine. C'est ce qu'on redoute le plus. »
Dans certaines compagnies de ferries, les relèves ont été tout simplement reportées à la fin du mois de mars. Les navigants restent à bord jour et nuit. Les relèves sont confinées pendant un temps avant embarquement afin de s’assurer qu’ils sont sains quand les marins montent à bord. Beaucoup de lignes régulières ayant été suspendues, des navires sont disponibles, gardés en stand-by, pour, le cas échéant, doubler un ferry dont l'équipage aurait été contaminé.
« Nous avons avisé les bords, les relèves sont suspendues » Fernand Bozzoni, Socatra
Au syndicat CFE-CGC, on confirme la coopération des navigants au long cours devant les circonstances exceptionnelles. « Les armateurs ont gelé les relèves et c'est une décision que tout le monde comprend », reconnaît Pierre Maupoint de Vandeul. « Ils cherchent à maintenir des équipages dits sains et à organiser toutes les opérations commerciales et administratives sans contact avec la terre. »
Les syndicats de navigants ont adressé au ministère une liste de questions au sujet des relèves d’équipage. Il leur a été répondu que la durée légale du travail avait été assouplie de façon à ce qu’ils puissent rester en mer pendant six mois au lieu des deux à trois mois habituels. L'autre préoccupation est celui des quarantaines imposées avant l'embarquement, qui écourtent d'autant le temps de repos et le séjour en famille : « les gens partent avec la boule au ventre car ils ne savent pas quand ils pourront rentrer. » Pierre Maupoint de Vandeul commence à percevoir chez certains d’entre eux un « un haut niveau de stress ». Il évoque notamment le cas d’un officier qui, à bout, voulait déserter son navire lors d'une escale en Afrique du nord.
Aussi se pose aussi la question d'une éventuelle prise en charge médicale pour des navigants contaminés dans certains pays au système sanitaire plus ou moins précaire. La CFE-CGC a d’ores et déjà pris contact avec des ambassades pour que les capitaines aient, le cas échéant, un relais local... Le syndicat rappelle que les navigants mettent tout en œuvre pour qu’il n’y ait pas de ruptures dans l’approvisionnement. « Mais le transport est aussi un maillon de la chaîne que fait travailler des humains. Il ne faut pas l'oublier. »
Myriam Guillemaud-Silenko