Invariablement, selon les époques, même sans la défunte SNCM, les liaisons maritimes corses restent compliquées et les relations entre opérateurs toujours aussi tendues. En demandant à leurs directions une clarification de leur stratégie quant à la desserte maritime corse, les syndicats seraient-ils plus avisés que leurs employeurs ? La Méridionale estime qu’un dialogue a repris avec Corsica Linea, seule compagnie pour l’heure retenue pour opérer dans les futurs schémas...
Au 41e jour de grève du mouvement national de protestation contre la réforme des retraites, alors qu’à l’appel de la fédération nationale CGT des Ports et Docks, une nouvelle opération « ports morts » a été reconduite pour 72 heures, Corsica Linea faisait savoir ce 14 janvier qu’elle annulait 18 rotations, à compter de ce jour et jusqu’au 17 janvier. Non seulement en raison des « blocages du port de Marseille dans le cadre de la réforme des retraites », mais de « la grève des marins de La Méridionale ».
La compagnie maritime corse est gratifiée d’un effet cumulé. Le Syndicat des travailleurs corses (STC) et la CFTC de La Méridionale, qui ont appelé à la grève et au blocage de ses navires, demandent la conclusion d’un accord entre les deux parties qui permette de se partager la future desserte des cinq ports corses depuis Marseille à partir de janvier 2021 et pour sept ans. À compter de cette date, en effet, la future desserte s’exercera dans le cadre d’une compagnie maritime régionale fondée sur un partenariat public-privé avec un statut de société d’économie mixte à opération unique (Semop). Elle sera détenue à 50,1 % par la collectivité de Corse et 49,9 % par un actionnaire privé. Cet opérateur ou groupement sera sélectionné à l’issue d’un appel public à la concurrence, dont les candidatures doivent être déposées le 14 février au plus tard.
Soit dans un mois. Pressée par cette urgence, La Méridionale, titulaire sans discontinuité des DSP « ancienne génération » aux côtés de feu la SNCM, a annoncé dans un communiqué en date du 14 janvier (toutefois non commun, Corsica Linea ne l'ayant pas cosigné) qu’un dialogue avait repris avec Corsica Linea « pour un dénouement rapide de la situation et d’un effort d’engagement partagé entre les différentes parties » en faveur « d’un projet industriel commun ». « Un accord sur ces bases permettra de mettre fin à la situation de blocage qui affecte aujourd’hui lourdement l’économie insulaire ainsi que les personnels et les clients de la compagnie ».
Mais sur quelles bases ?
Dans sa main tendue à Corsica Linea, La Méridionale accepterait, dans le cadre donc de la future DSP basée sur une Semop, de réduire à deux le nombre de bateaux desservant la Corse à condition qu’ils soient placés sur les lignes de Bastia et d’Ajaccio, en partage avec Corsica Linea. « Si cette proposition est acceptée par Corsica Linea, il s’agira d’une avancée majeure pour les compagnies respectives et les intérêts de la Corse », avance la filiale logistique de Stef.
La situation est particulièrement tendue entre les deux opérateurs depuis l’attribution des lignes dans le cadre d’une DSP transitoire en juin dernier. Établie pour une durée de huit mois, de mai à décembre 2020, cette délégation transitoire doit laisser le temps d'installer le nouveau cadre juridique en Semop. En juin, trois des cinq lignes – Ajaccio-Marseille, Bastia-Marseille et l'Île-Rousse-Marseille –, ont été obtenues par Corsica Linea, excluant du jeu l’historique compagnie de la desserte corse. La filiale du groupe logistique Stef avait alors multiplié les recours devant le tribunal administratif de Bastia, tant pour des raisons de forme que de fond, mais en avait été déboutée.
Quant aux deux autres lignes – Porto-Vecchio-Marseille et Propriano-Marseille –, pour lesquelles ont candidaté Corsica Ferries, Corsica Linea et La Méridionale, l’appel d’offres a été déclaré infructueux le 9 janvier par l’exécutif corse. Dans son rapport, la collectivité le justifiait pour plusieurs raisons. Pour la première ligne, seule l'offre de La Méridionale a été considérée « régulière », mais le montant de la compensation financière demandé par la compagnie jugé « surévalué ». Pour Marseille-Propriano, l'offre de Corsica Ferries était la mieux notée. Or à la date limite de remise des offres le 2 septembre 2019, « le besoin avait évolué », tant et si bien que la collectivité corse avait convenu de relancer une procédure pour ces deux lignes sur la base d’une délégation encore plus transitoire de trois mois de manière à assurer le relais jusqu’au 1er mai, date de l’initiale DSP transitoire. Un appel à candidature vient d'être publié à cet effet et donne jusqu’au 27 janvier aux compagnies pour y répondre.
Mécanique fratricide
Pour les sections CFE-CGC Marine des deux compagnies, qui parlent de concert, « le seul fait de ne pas avoir de perspective d’accord au 14 février et le risque évident de casse sociale immédiate légitiment toute mobilisation ». Les représentants des officiers n’ont pas appelé à la grève « car la situation leur apparaît bien trop confuse avec des sujets qui se croisent violemment », tout en soutenant les marins entrés dans le mouvement. Le syndicat rappelle notamment que la situation était « largement prévisible » dans la mesure où les acteurs ont connaissance, depuis novembre 2019, des contours du dossier : à savoir une réponse globale pour toutes les lignes.
La CFE-CGC Marine a en effet toujours soutenu que la logique d’attribution ligne par ligne, en vigueur dans les derniers appels d’offres, était de nature à générer « une mécanique fratricide entre les deux opérateurs ». Elle attend désormais « que chacun fasse un pas vers l'autre et soit à la hauteur des engagements donnés, quels qu’ils aient été ». Les représentants syndicaux font ici référence à un accord qui aurait été conclu il y a quelques mois sur les bases défendues actuellement par La Méridionale mais que ses recours juridiques ont sans doute annihilé. « Un compromis a été possible en juin, nous n’imaginons pas une seconde qu’il ne soit pas rapidement réactivé ».
Forcer la direction à clarifier
Que ce soit le syndicat des travailleurs corses (STC), la CFTC de La Méridionale ou les sections CFE-CGC Marine, les représentants des marins attendent tous une clarification de la stratégie long terme des actionnaires respectifs. Dans le viseur tout particulièrement, le groupe logistique Stef, dont « le silence observé jusqu’à présent pose réellement la question de sa stratégie », soulignent les officiers. Un argument qui a servi en d'autres temps, pas si anciens, d'exutoire...
Adeline Descamps