L’appel d’air aura été de courte durée. Pékin avait annoncé le 11 novembre un assouplissement de certaines restrictions, laissant entrevoir une plus grande liberté de mouvements après deux ans et demi de restrictions sanitaires. Alors que dans bien d’autres parties du monde, les pays apprennent « à vivre avec le virus », les autorités chinoises continuent d’imposer des confinements massifs dès l’apparition du moindre cas, à placer en quarantaine dans des centres les personnes positives et à exiger des tests PCR quasi quotidiens pour pouvoir accéder aux lieux publics.
Si la Chine n’a recensé le 27 novembre « que » 39 506 cas de Covid-19, il s’agit d’un record quotidien du point de vue des autorités bien qu’en deçà des seuils constatés dans le monde. En peu de temps, la situation s’est à vrai dire rapidement dégradée, notamment à Zhengzhou ou a été imposée le 24 novembre la fermeture de plusieurs quartiers en raison d'une flambée de nouveaux cas de Covid (675 nouvelles infections).
Plus de six millions d'habitants se sont retrouvés, d’un coup, concernés par un nouveau tour de vis. C’est aussi dans cette ville qu’est implantée l’une des plus grandes usines d'iPhone, Foxconn, où les ouvriers sont soumis à des mesures draconiennes depuis plusieurs semaines, générant de violentes protestations.
Saturation atteinte
Les vidéos relayées par l’AFP ces dernières heures témoignent du seuil de saturation atteint par les populations face à la politique « glu » zéro-Covid à laquelle les autorités restent accrochées. Une stratégie sanitaire de moins en moins acceptée en Asie et qui renvoie un miroir inversé à ce qui se passe ailleurs.
Les protestataires ont défilé durant le week-end en brandissant des feuilles de papier blanc, symbole de la censure, en scandant « Xi Jinping [le président de République populaire de Chine], démission ! » et en stigmatisant le régime politique. Une contestation qui prend la forme d’un appel à la démocratie et à la liberté inédit, exception faite des événements de Tiananmen, dont la répression fut sanglante.
Les manifestations, y compris les appels à la destitution du président, se sont depuis étendues aux grandes métropoles, dont Pékin, Shanghai, Chengdu, Chongqing, Nanjing, Wuhan (d’où est parti le virus) et Urumqi, la capitale du Xinjiang, dans l'extrême nord-ouest de la Chine. La colère est parti de là alors que dix personnes, dont trois enfants, sont décédées dans l’incendie d'un immeuble d'habitation. Les riverains imputent la responsabilité aux mesures de restrictions, les services d'urgence ayant été entravés dans l’organisation des secours.
Alerte de la plupart des analystes
Selon un rapport publié récemment par la banque japonaise Nomura, qui suit de près les événements en Chine du point de vue économique, plus d'un cinquième de son PIB est actuellement sous confinement, Guangzhou, Pékin et Chongqing étant des points critiques. Le groupe financier prévoit par ailleurs que la recrudescence récente des nouveaux cas va coûter quelques points de croissance. Le PIB chinois devrait atterrir à 4,3 % en 2023.
D’après les douanes chinoises, la province du Henan, qui abrite la méga-usine d’Apple, a assemblé et exporté 8,4 millions de smartphones en octobre, soit une baisse de 16,9 % par rapport aux 10,2 millions du mois précédent.
Si la Chine repousse sa réouverture économique au premier semestre 2024, la reprise prévue de la consommation privée sera retardée d’autant, a alerté l’institut Oxford Economics, dans un rapport publié en fin de semaine dernière. Le centre de recherche a également révisé à la baisse ses projections de croissance concernant la seconde puissance économique mondiale, corrigée à 4,2 % pour 2023.
Vrac sec à la peine
Sans cela, le ralentissement industriel avait déjà produit ses effets ces derniers mois. Les importations de vrac sec – le Chine est son premier marché – a diminué de 4,7 % sur une base annuelle pour atteindre 1,6 milliard de tonnes au cours des 10 premiers mois de l'année. En cause, l’hécatombe du marché immobilier du pays, qui contribue à un quart du PIB, emmené sur une trajectoire descendante depuis un temps certain.
Pékin avait envoyé dernièrement quelques signaux au marché en annonçant seize mesures visant à relancer les infrastructures. Cette politique a toujours fait ses preuves en Chine pour relancer la machine.
Le processus de réouverture, qui fait un pas en avant et deux pas en arrière, alerte aussi les analystes de Goldman Sachs qui révisent « prudemment » à la baisse leurs prévisions portant sur la demande chinoise de pétrole, à 1,2 million de barils par jour (b/j) au quatrième trimestre
Le cabinet de conseil Energy Aspects a également revu à la baisse les prévisions, de 200 000 b/j pour novembre et décembre, et de 190 000 barils pour le quatrième trimestre, à 14,45 Mb/j (millions de barils par jour).
Demande de pétrole revue et corrigée
Les données sur le trafic aérien et routier ont également chuté la semaine dernière, ce qui suppose une moindre consommation d’essence, de diesel et kérosène. L'indice d'encombrement des routes dans la moitié des quinze villes chinoises les plus peuplées a diminué au cours des sept derniers jours par rapport à la semaine précédente, selon les données fournies par le moteur de recherche Internet Baidu. Parallèlement, le trafic aérien intérieur de passagers a chuté de 36 % par rapport à la même période de 2021, indique Reuters, qui s’appuie sur les données de Variflight.
Les raffineurs chinois augmentent les exportations de carburant pour alléger la pression sur les stocks, mais la faiblesse de la demande intérieure limite l'appétit de la Chine pour les importations de brut, ajoute l’agence de presse.
Le taux d'exploitation moyen des raffineries d'État chinoises s'élevait à 78 % la semaine dernière, en hausse par rapport aux 75 % d'octobre, mais toujours bien en dessous des 83 % enregistrés en 2019, selon les données compilées par le cabinet de conseil en énergie Zhuochuang et Longzhong.
Adeline Descamps