Blocage des ports : Des conséquences économiques qui se précisent...

 

Une réunion pour rien ? Alors que les secrétaires d’État Agnès Pannier-Runacher et Jean-Baptiste Djebbari ont rencontré ce 21 janvier l’ensemble des représentants de la filière maritime et logistique, la situation reste confuse dans les ports. Des données sur les impacts économiques consécutifs aux mouvements sociaux émergent en contrepoint. Pendant ce temps, Anvers et Zeebrugge se dépêchent à la rescousse des chargeurs français… Point sur la situation.

Alors que les ministres Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances et Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État en charge des Transports, devaient rencontrer ce 21 janvier les fédérations professionnelles de la filière du transport de marchandises et de la logistique, la situation reste confuse dans les ports.

Après une grève observée de plusieurs jours au Havre et à Marseille dans le remorquage chez Boluda, la société a informé que les marins CGT des bassins Est et Ouest de Marseille-Fos allaient reprendre le travail ce 21 janvier. Répondant toutefois à l’appel de l’intersyndicale, le personnel officier CGT, CFE-CGC et CFTC ainsi que le personnel d’exécution CFDT de l’entreprise à Marseille cesseront à nouveau le travail – « et pour une période de 24 h reconductible » le 24 janvier à l’occasion de l’examen du projet de loi en Conseil des ministres.

La Fédération nationale des ports et docks CGT, qui s’est réunie le vendredi 17 janvier, a pour sa part appelé de nouveau au débrayage et au blocage des accès des grands ports maritimes pour une nouvelle période de 72 heures, à compter du mercredi 22 et jusqu’au 24 janvier. En cumulé, l’on flirte avec les deux semaines de blocage depuis le 5 décembre, marqueur du début du mouvement de protestation nationale dans les ports contre la réforme des retraites. L’organisation syndicale, comme la CGT, reste inflexible sur la ligne : « seul le retrait du projet de loi de cette réforme des retraites permettra aux ports de retrouver un climat plus serein ».

Navires en rade au large de Fos ©NBC

Des données en contrepoint

Et tandis que les organisations patronales représentant les intérêts du fret et les métiers portuaires demandent depuis plusieurs semaines à être reçues par le gouvernement, tout en « déplorant l’absence de signal et de soutien » de la part de l’exécutif, des données sur les impacts des divers mouvements font contrepoids.

La Direction des affaires maritimes a publié le 20 janvier un document sur l’évolution du nombre d’escales de porte-conteneurs, enregistrées entre le 2 et le 16 janvier des 4 dernières années, de 2017 à 2020. Pour le Havre, 2018 et 2019 étaient comparables en termes d’escales, à 85 (93 en 2017). Mais en 2020, le premier port français pour le conteneur n’en enregistrait que 56. À Marseille, le trait de crayon est moins net : le port phocéen était à 58 escales en 2018, 34 en 2019 et 25 en 2020. À Dunkerque, où le personnel d’exécution ne fait pas grève, le trafic est stable (25 et 26 escales en 2019 et 2020).

Ainsi, entre 2019 et 2020, le repli est de 34 % au Havre, de 26,5 % à Marseille mais de + 0,05 % pour Dunkerque. Quant au manque à gagner en termes de conteneurs, il est estimé à 40 500 EVP au Havre et à 15 000 en Marseille.

Jean-Luc Chauvin, président de la CCIAMP

157 M€ de manque à gagner à Marseille

À Marseille, la CCI métropolitaine Aix Marseille Provence (CCIAMP), qui a instauré en début de semaine une « cellule d’urgence qui œuvre avec les services de l’État et les différents partenaires dont la Direccte et l’Urssaf », a délivré d’autres données ce mardi 21 janvier à l’occasion d’une conférence de presse.

« En matière de conteneurs, la baisse d’activité a été de l’ordre de 21,5 % à l’import et de 25 % à l’export en décembre 2019, indique Jean-Luc Chauvin, président de la Chambre. Du 1er au 19 janvier 2020, elle est de 21,6 % et à l’export et de 12 % à l’import mais « le mois de janvier 2019 avait été mauvais donc si l’on compare à décembre, nous sommes sur un repli de 30 % des volumes à l’import, sachant que le mois dernier était déjà en repli de 25 % ». L’institution représentant les entreprises estime à 157 M€ le manque à gagner sur les deux mois de décembre et janvier, dont 51 millions de pures pertes pour l’économie portuaire, 39 millions en TVA pour l’État et 67 M€ de surcoût pour les chargeurs, dont certains ont modifié leurs itinéraires en passant par les ports étrangers comme Anvers, Gêne, Rotterdam… et d’autres, annoncé publiquement tirer un trait sur leur expérience portuaire française. 

Les navires en rade, les passagers à récupérer, les cales perturbées

Les pilotes de Marseille Fos ont facturé 15 % d’opérations en moins, équivalant à une cinquantaine d’escales (il y avait une trentaine de navires en rade à Marseille vendredi dernier). Au niveau de la croisière, les 12 escales supprimées auraient coûté 8 500 passagers en tête de ligne et 30 900 en transit. Sans compter les frais de réacheminement : « les agents des navires ont dû gérer la logistique des passagers qui auraient dû embarquer ou débarquer à Marseille mais qui l’ont fait à Barcelone ou à Savone ». Le dimanche 19 janvier, le Costa Esméralda avait été contraint d’annuler son escale à Marseille. L’impact reste cependant limité compte tenu de la basse saison.

Au niveau de la réparation navale, « deux escales ont fortement été perturbées par les blocages : l’AidaMar, entré au Chantier naval de Marseille, a terminé ses travaux dans un port étranger tandis que le Norwegian Spirit, actuellement dans la grande forme 10, ne respectera pas le planning, a-t-il ajouté.

Le sujet aujourd’hui ?

« Certaines entreprises ont perdu jusqu’à 67 % de leur chiffre d’affaires. Mais au-delà, ce sont des années d’efforts pour reconquérir les clients du port qui sont ruinées ». Le président de la CCIAMP compte désormais sur la responsabilité des personnels portuaires de Marseille Fos pour que, tout en respectant « les consignes nationales d’appel à la grève de leurs syndicats », ils fassent en sorte de ne paralyser qu’un seul shift – et pour tous le même – de façon à ce que les deux autres puissent être opérés pour le passage des marchandises. « Je le demande, au nom de leur emploi et du respect de celui des autres ».

Les marchandises en souffrance sont une autre problématique. Certaines entreprises commencent à ralentir leur production en anticipation. D’autres n’ont plus d’intrants en raison des retards subis sur les déchargements de matières premières. ArcelorMittal, un des premiers clients des ports, témoignait de ses difficultés à cet égard auprès du Marin dans un article publié ce jour.

Une réunion pour rien ?

Il reste un goût d’amertume que traduisaient, à la sortie de leur rencontre avec le gouvernement, quelques-uns des participants, déconcertés par l’attentisme de l’exécutif qui, renvoyant la balle de la négociation aux autorités portuaires (lesquelles soutiennent qu’elles ne disposent pas des leviers), considérerait qu’il s’agit d’une crise que le transport maritime est en mesure de dépasser.

Pour sa part, dans un communiqué, TLF Overseas, semble penser que la résilience du secteur a atteint ses limites. L’organisation, représentant les métiers de la logistique portuaire, devait déplorer, à la sortie de la réunion, « l’absence de perspectives pour régler le problème à moyen et long terme et de mesures d’accompagnement » comme elle le sollicite, avec la FNTR et TLF, depuis le 10 décembre : remboursement accéléré de la TVA, reports de charge fiscale et sociale, remboursement de la TICPE pour faire face à « une baisse de chiffre d’affaires et à des difficultés d’exploitation ».

Leur demande d’intervention de déblocage des ports, qui avait déjà essuyé une fin de non-recevoir auprès des préfets à qui la demande avait été adressée, n’a pas trouvé davantage de soutiens du côté gouvernemental. Les trois organisations professionnelles – TLF Overseas FNTR et TLF – ont fait savoir qu’elles étudiaient « les recours nécessaires pour mettre en cause l’inaction de l’État afin de faire respecter le droit de travailler des entreprises et des salariés ». Les attentes des logisticiens sont d’autant plus grandes que la France s’est engagée à revenir dans le top 10 de la logistique mondiale. Une nouvelle association, France logistique, a été créée le 8 janvier pour accompagner les velléités hexagonales.

Côté gouvernemental

Dans le même temps, le ministère de la Transition écologique et solidaire faisait part, dans un communiqué, d’un ensemble de mesures « en faveur des entreprises qui subissent des difficultés financières » et « qui seront mobilisées au cas par cas », tels que l’accélération du remboursement de la TVA, le report d’échéances sociales ou fiscales, l’étude d’un plan d’étalement des créances, l’obtention ou le maintien d’un crédit bancaire via Bpifrance.

Jean-Baptiste Djebbari a quant à lui annoncé « un processus accéléré (sous 15 jours) du remboursement de la TICPE du gasoil professionnel pour les entreprises à la situation financière fragile ». Il est aussi indiqué qu’à la demande du gouvernement, SNCF Réseau pourrait ne pas facturer des péages et des pénalités de non utilisation des sillons pour les circulations non réalisées. Les représentants du gouvernement se sont par ailleurs engagés « à pérenniser le dispositif d’aide à l’exploitation de services réguliers de transport combiné de marchandises pour la période 2019-2023, avec une enveloppe annuelle de 27 M€. L’État accélérera le calendrier de versement aux opérateurs de l’aide début 2020, « au besoin par le biais d’avances ».

Le communiqué réaffirme la nécessité d’accélérer les chantiers structurants en cours, notamment un plan national pour le fret ferroviaire et une stratégie nationale portuaire. Enfin, en annonçant des actions de communication sur l’image, l’État reconnait implicitement qu’elles s’imposent « pour rassurer les clients étrangers » sur la (non) « performance des ports français ».

« On a quitté la première division, on est en train perdre la seconde »

« Nous avons sans doute tous une responsabilité dans le destin des ports français, reconnait Jean-François Suhas, le président du Club de croisière Marseille Provence. Le portuaire peine à intéresser. Les politiques publiques n’ont pas été suffisamment impliquées. Mais la réalité est là. Elle est cinglante. Et cette crise offre un miroir grossissant. Quand les autres ports sont sur une trajectoire de croissance à deux chiffres depuis plusieurs décennies, nous perdons chaque année davantage. Il n’y a pas une ville portuaire qui se porte mal en Europe. Toutes ont créé des richesses à grande échelle pour leurs citoyens. Valence réalisait un trafic 200 000 EVP en 1990 quand nous en faisions 400 000. Le port espagnol est à 5,1 MEVP (+ 7 % en 2019). Marseille-Fos dépasse à peine le cap du million de boîtes".

Pour président récemment élu à la tête du conseil de développement du Grand Port maritime de Marseille, « si on avait suivi la même progression que certains ports européens, au lieu d’avoir 8 remorqueurs sur les bassins, on en verrait le double voire le triple et les dockers, qui se comptent en centaines, se dénombreraient en milliers. » Rien qui n'explique non plus à ses yeux la désindustrialisation des territoires portuaires français, si ce n’est un problème structurel de fiabilité « amorcé il y a 50 ans ». « Les grandes décisions d’investisseurs privés comme celles des années 70 ont disparu en parallèle de la poursuite inlassable et régulière des divers blocages ». 

Tous espèrent que cette crise déclasse les anciens logiciels qui régissent la façon de penser le commerce international en France…

Adeline Descamps

Anvers et Zeebrugge, à la rescousse des chargeurs français

Les grèves, dont sont victimes les ports français, ont des répercussions sur des ports étrangers voisins, principalement les ports du Nord. À Anvers, des terminaux réceptionnent des cargaisons conteneurisées, qui normalement étaient destinées au Havre. Ces détournements se manifestent essentiellement au déchargement. En ce début de semaine, se trouvaient sur les quais des terminaux à marée de PSA quelque 1 000 conteneurs en attente d’être évacués vers l’hinterland, la majeure partie par la route. Des partenaires de THE Alliance sont en effet dans l’obligation de décharger ailleurs des conteneurs destinés au Havre avant d’entamer la rotation de retour. Idem chez MPET, terminal conjoint de MSC/PSA, où l’armement MSC décharge en moyenne quelques 100 conteneurs supplémentaires par semaine. Autre exemple : la Nova Natie, à la demande de chargeurs français, reçoit par la route des cargaisons en breakbulk, venues de France, pour expédition en conteneurs. Ce manutentionnaire doit chercher des conteneurs dans des dépôts, procéder à l’empotage, et diriger ces boîtes vers des quais d’embarquement.

Zeebrugge intervient également dans ces « trafics détournés. Cette semaine, un ULCS de Ocean Alliance était attendu sur le terminal de Cosco. Cette escale portait notamment près de 1 000 EVP destinés au Havre, à décharger et expédier vers des chargeurs français. Dans l’ensemble, armateurs et manutentionnaires sont peu enclins à délivrer des informations, les premiers pour des raisons commerciales, les seconds pour ne pas attiser les critiques des milieux portuaires français à leur endroit.

Assez curieusement, les trafics en déroute se manifestent surtout au déchargement. Les chargeurs ont bel et bien sur les quais de ports français des conteneurs en attente, ce qui n’est pas sans effets sur les coûts de surestaries, notamment dans le cas de conteneurs reefers, soit plus de 50 € par jour.

B.V.D.B (à Anvers)

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