Logistiques Magazine : Voilà plusieurs années que l’État marocain annonce une stratégie logistique globale. Où en est concrètement le pays sur ce sujet ?
Younes Tazi : Avant le lancement, par le roi Mohammed VI, de la stratégie nationale de la compétitivité logistique, le Maroc ne comptait que 200 000 m2 d’entrepôts couverts sur 40 hectares et les opérateurs investissaient autour des villes de manière anarchique. À présent, les zones logistiques s’étendent sur 140 ha et abritent 600 000 m2 d’entrepôts de classe A et B, les infrastructures de transport se sont développées et les activités de manutention portuaires se sont libéralisées, avec plusieurs intervenants sur un même port. Les réalisations concrètes ont débuté en avril 2010 dans la région de Casablanca. 300 millions d’euros ont été investis à Zenata et Mita, les deux grandes zones logistiques de la ville, dont les taux d’occupation avoisinent aujourd’hui les 100 %. À Zenata, la SNTL (Société nationale de transport et de logistique) a développé une première tranche de 30 ha, opérationnelle depuis l’été 2011. Suite à une étude de la Banque européenne d’investissement, qui avait souligné l’intérêt d’aménager une deuxième tranche sur Zenata, le coup d’envoi a été donné en mai 2014 pour l’aménagement de 100 ha supplémentaires et la construction d’un port sec.
De manière générale, nous devons aménager l’hinterland du pays avec des entrepôts modernes sous douane. 3 300 hectares de développement sont ainsi prévus à long terme et 2 700 ha ont déjà été identifiés. Nous cherchons à attirer des logisticiens et des industriels qui apportent de la valeur ajoutée créatrice d’emplois. Les opérateurs privés investissent, à l’image des logisticiens Kuehne & Nagel, Bolloré Africa Logistics, du développeur immobilier Soft Logistique, qui aménage 10 ha à Casablanca ou encore du groupe San José Lopez, basé à Bilbao, qui vient même de transférer sa maison mère au Maroc, transformant ainsi sa société espagnole en filiale ! Le Royaume mise également sur la formation. Nous avons par exemple inauguré en juin 2013 à Taourirt, dans la région de l’Oriental, au nord-est du pays, un institut de formation dédié au transport routier et à la logistique. Le pays compte à présent 6 100 diplômés par an alors qu’en 2009, seulement 2 500 étudiants étaient formés aux métiers de la logistique.
L. M. : Quels sont les freins au développement de la logistique dans le pays ?
Y. T. : L’insuffisance de représentativité du secteur privé et en particulier des chargeurs. Ils ne sont pas suffisamment entendus. Nous manquons également d’associations à forte représentativité à l’image de l’Aslog en France, qui regroupe à la fois les chargeurs et les opérateurs. Nous devons à la fois structurer la logistique des grands flux sur des plates-formes en périphérie des villes et optimiser la logistique urbaine. Notre challenge sera d’organiser les flux de poids lourds en milieu urbain et de favoriser la mutualisation. Actuellement, les camions pénètrent dans les villes à n’importe quelle heure, les conteneurs sont dépotés en pleine rue à Casablanca. Nous n’avons pas d’espace de livraison, ce qui contraint les camions à stationner en double file. Un guide national sur la logistique urbaine permettra de prendre les bonnes décisions. L’Observatoire marocain de la performance logistique sera chargé d’évaluer la mise en œuvre de notre stratégie.
L. M. : Où en êtes-vous de l’aménagement de la zone logistique de Tanger Med ?
Y. T. : La zone logistique de Med Hub attenante au port de Tanger Med s’étend sur une quarantaine d’hectares. Elle abrite des logisticiens en lien avec les activités portuaires. On estime que le quart du commerce extérieur du pays transite par Tanger. Partant de là, nous entendons développer une zone logistique complémentaire tournée vers les villes marocaines. Une étude est en cours, nous devrions avoir une meilleure visibilité au premier trimestre 2015.
L'AMDL en bref
L’Agence marocaine du développement de la logistique (AMDL) emploie une soixantaine de cadres. Après quelques retards législatifs, cet établissement public ne joue un rôle opérationnel que depuis l’été 2013.
Les performances logistiques du Maroc selon la Banque Mondiale
En 2014, le Maroc ne figure pas dans le classement mondial des performances logistiques de la Banque Mondiale (Connecting to Compete 2014 : Trade Logistics in the Global Economy). Il se place en revanche 62e sur 166 dans le classement LPI qui synthétise les performances logistiques par pays enregistrées depuis le premier classement de la Banque Mondiale en 2007. C'est dans la qualité des infrastructures que le Maroc enregistre les meilleurs résultats. Le pays accuse en revanche du retard en matière de procédures aux frontières et de qualité des services logistiques.