« Dans certains pays, le risque de corruption douanière est permanent et renforcé par une réglementation trouble et complexe »
Logistiques Magazine: Pourquoi organiser une conférence sur ce thème?
Anne Le Rolland: Nous avons proposé à Global Compact France, la branche française du Pacte Mondial ONU, dont l’objectif principal est de renforcer le sens des responsabilités sociétales des entreprises hors de leurs frontières, d’organiser et d’animer cette conférence. Le Pacte Mondial est une initiative lancée par l’ONU en 2000. Il rassemble les entreprises et les organismes des Nations unies, le monde du travail et la société civile, autour de dix principes universels relatifs aux droits de l’homme, aux normes du travail, à l’environnement et à la lutte contre la corruption. La prévention de la corruption est un des piliers des engagements des entreprises membres du Pacte Mondial, parmi lesquelles environ 1 000 sont adhérentes à Global Compact France, dont la nôtre. Nous souhaitons ainsi partager avec les autres membres nos actions dans le domaine. L’auditoire sera étendu à nos entreprises clientes et à des prospects exportateurs. Au total, une centaine d’entreprises sont inscrites à l’événement et seront représentées par leurs dirigeants et leurs supply chain managers. Nous les éclairerons notamment sur les risques qui pèsent sur certaines opérations de leur supply chain, comme les procédures de dédouanement dans des États à faible gouvernance où les autorités exercent peu de contrôle sur leur administration et où celle-ci est peu informatisée. Dans certains de ces pays, le risque de corruption douanière est permanent et renforcé par une réglementation trouble et complexe. La corruption peut s’insérer aussi dans les opérations courantes de transport ou s’immiscer dans les approvisionnements et les achats auprès de fournisseurs lointains peu scrupuleux pour obtenir des commandes.
L.M.: Que préconisez-vous pour lutter contre ces divers types de corruption?
A.L.R.: Les entreprises doivent d’abord expliquer à leur personnel en interne ce qu’est un acte de corruption, où il commence et où il s’arrête. Il s’agit ensuite de cartographier les stades à risques de la supply chain, comme les contraintes documentaires, financières, fiscales… qui peuvent entraver l’entrée de produits sur un marché étranger. Pour décoincer la situation, on peut être tenté de corrompre ou de subir la corruption. Enfin, il faut renforcer « les maillons faibles » de la supply chain les plus exposés en renégociant des contrats avec les sous-traitants ou en changeant les modalités de transport par exemple.
L’idée est d’initier une série d’actions pour minimiser le risque dans le but de rendre évident l’acte de corruption pour mieux le traiter. Il faut savoir que la corruption peut avoir de fâcheuses et coûteuses conséquences pour l’entreprise et pour son marché. Ces actes peuvent casser la règle de la libre concurrence. Ce dernier point est d’ailleurs souvent la cause principale d’une condamnation. La corruption est en effet pénalement répréhensible et financièrement condamnable. Et les poursuites sont transnationales et multijuridictionnelles. En témoigne le cas du commissionnaire international de transport Panalpina. Pour avoir corrompu des agents en douane au Nigeria lors d’opérations de dédouanement pour 27 millions d’euros entre 2002 et 2007, le prestataire suisse qui travaillait pour des clients américains s’est vu condamné par la justice américaine à verser une amende de 82 millions de dollars. Il a alors dû fermer son bureau au Nigeria, restructurer ses activités en Afrique avec, à la clé, une perte de 290 millions de dollars de chiffre d’affaires.
L.M.: En France, la loi examinée le 30 mars 2015 à l’Assemblée nationale sur le devoir de vigilance des entreprises à l’égard de leurs sous-traitants à l’international accélérera-t-elle la prise de conscience des donneurs d’ordre?
A.L.R.: La prise de conscience existe déjà, mais cette loi va contribuer à faciliter la communication sur la corruption, à sortir d’un tabou encore vif il y a trois ans. Le texte concrétise la responsabilité des entreprises sur les conditions de travail de leurs fournisseurs lointains et plus largement sur les questions éthiques et environnementales. Il a été élaboré suite aux catastrophes qui ont eu lieu au Bangladesh. Avec cette loi, on se rapproche beaucoup de l’esprit du Pacte Mondial ONU sur la responsabilité des entreprises où qu’elles soient, dans la fabrication de leurs produits dans des pays lointains ou sur la conformité européenne de produits français exportés sur d’autres marchés.
Présent dans 60 pays, essentiellement en Asie et en Amérique du Nord au travers de réseaux d’agents locaux, Acte International (3,2 millions d’euros de chiffre d’affaires et 17 collaborateurs) s’est implanté début mai 2015 en Afrique en recrutant un jeune Français en VIE (Volontariat international en entreprise). Sa mission: couvrir les activités de la société au Maroc puis en Afrique subsaharienne. « On a décidé de recruter un responsable pour l’Afrique qui sera chargé, à partir du Maroc, de construire un réseau d’agents locaux dans chaque pays du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest », précise Anne Le Rolland.