Pas de chance. Le corridor ferroviaire concerné par l'interruption de trafic lié à l'incident de Rastatt constitue le principal axe de trafic intermodal en Europe, puisque environ 50 % des volumes entre le nord de l'Europe et l'Italie via la Suisse passent par là.
Des itinéraires alternatifs ont bien été mis en place pour garantir la circulation du fret ferroviaire entre le nord et le sud de l'Europe, mais ils ne permettent pas d'absorber le trafic. "Actuellement, seuls 25 % des volumes peuvent être pris en charge sur les déviations via l'Allemagne, la France et l'Autriche", déplorent une vingtaine d'associations professionnelles dans un courrier adressé début septembre à Alexander Dobrindt, le ministre allemand des Transports et des Infrastructures, et à Violeta Bulc, la commissaire européenne en charge des transports.
La situation est encore pire pour le transport intermodal, où "moins de 15 % des volumes habituels sont actuellement traités", affirment les co-signataires, qui représentent aussi bien des chargeurs que des logisticiens ou détenteurs de wagons.
Sale coup pour le report modal
Résultat de cette pagaille persistante : "le système européen de logistique ferroviaire est au bord de l'asphyxie". Selon les professionnels, les terminaux de transbordement pour le transport intermodal le long du corridor Rhin-Alpes sont complètement engorgés et refusent des unités de chargement supplémentaires. "Des difficultés d'approvisionnement et des interruptions de production ont déjà eu lieu dans plusieurs usines au nord et au sud des Alpes. De nombreux sites sont au bord de la paralysie", précise le courrier des fédérations, sans toutefois citer d'exemples concrets.
Les professionnels chiffrent ainsi les dommages "en milliards pour l'industrie, les chemins de fer, les opérateurs ferroviaires et les sociétés de transport". Ils pointent également le mauvais coup ainsi porté au report modal, et les longues années nécessaires à la reconquête des trafics qui auront basculé sur la route.
Un manque crucial de conducteurs… et de coordination
Comment peut-on expliquer une telle pagaille, trois semaines après cet affaissement de voie lié à la construction d'un tunnel qui doit précisément permettre l'augmentation du trafic de fret ferroviaire ? Les opérateurs accusent en premier lieu le manque de conducteurs dans la région du Brenner et en Alsace. Sur ce point, ils exigent d'ailleurs la mise en place d'un pool de conducteurs renforcé pour permettre de porter la capacité de délestage de 20 % aujourd'hui à 50-60 % en 2 ou 3 jours.
Les professionnels constatent par ailleurs d'importantes difficultés opérationnelles sur la déviation via Stuttgart et Singen, avec des retards de plusieurs jours voire des annulations de trains.
Pourquoi n'a-t-il pas été possible de mettre en place une ligne de remplacement temporaire à une voie, qui aurait évité ou en tout cas considérablement raccourci la fermeture totale actuelle ? Cette question reste un mystère. "Nous vivons un parfaite illustration de tout ce qui ne vas pas dans le système ferroviaire européen", regrettent les signataires en listant les handicaps :
- Il n'y a pas assez d'itinéraires de déviation planifiés, facilement utilisables en cas d'incident.
- Il n'existe pas de coordination internationale en matière d'infrastructure ferroviaire. Les routes alternatives qui auraient pu convenir au fret durant les travaux risqués du tunnel de Rastatt étaient partiellement ou complètement fermées en raison d'autres travaux de construction
- Les particularités nationales compliquent l'utilisation d'itinéraires alternatifs, avec par exemple l'impossibilité de déployer des conducteurs parlant allemand sur le réseau français.
- Enfin, il n'y a pas de structure internationale de gestion de crise pour le fret ferroviaire.
Plus jamais ça
En conséquence, les opérateurs demandent d'abord la mise en place d'une "task force" au niveau ministériel et/ou européen, doté de compétences en matière de gestion de crise et associant les gestionnaires d'infrastructure. Ils souhaitent également des procédures simplifiées pour les itinéraires alternatifs et des mesures de soutien exceptionnelles aux entreprises de fret ferroviaire directement affectées par l'interruption de trafic.
Ils revendiquent enfin la création d'une commission spéciale pour analyser ce qui constitue "le blocage le plus sérieux du trafic de fret depuis plusieurs décennies". Elle serait notamment chargée d'évaluer les plans d'urgence ou la priorisation des trafics. "Rastatt ne doit plus jamais se reproduire", concluent les signataires du courrier, dont une copie a également été transmise à l'Agence de l'Union européenne pour les chemins de fret ainsi qu'aux ministres des transports des principaux pays européens concernés (France, Italie, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Autriche et Suisse).