Un tantinet provocateur, Patrick Mortigliengo se défend d’être un écolo. « Je suis un chasseur. J’ai eu la chance de voyager dans le monde entier. Je suis allé en Alaska et je peux vous dire que la fonte des glaciers est une réalité. On ne peut plus continuer comme ça et rouler avec des véhicules polluants. Il faut innover, expérimenter », pose en préambule Patrick Mortigliengo. Dans son bureau, l’affiche d’une Ferrari F40 épinglée au mur, des maquettes soigneusement alignées des célèbres bolides rouges au cheval cabré. Souvenirs d’une époque révolue depuis près de trente ans. « J’ai transporté les pneus Ferrari jusqu’à l’usine. Importés du Japon, ils arrivaient par la mer jusqu’à Port-de-Bouc. Mes chauffeurs se battaient pour aller jusqu’à Maranello tous les quinze jours. À cause de la grève des dockers du port de Marseille-Fos, je n’ai plus jamais revu un pneu ! Ils sont partis à Livourne », raconte en aparté le gérant des Transports Mortigliengo. Puis il revient sur son nouveau cheval de bataille : la réduction de son empreinte carbone. Engagé dès 2015 dans la démarche de Charte CO2, il décroche, deux ans plus tard, le Label CO2. « C’est un réel engagement de l’entreprise et de son personnel. Nous sommes la 44e entreprise française à l’obtenir et la première dans la Région PACA. Les chargeurs sont sensibles au développement durable », souligne le gérant.
À la tête d’une flotte de 39 tracteurs Euro VI et 60 semi-remorques, il a pris possession en février dernier de son premier véhicule au gaz. Un investissement de 140 000 euros dans un Volvo FH 463. Ravi d’économiser 60 euros de carburant par voyage, il pointe néanmoins la complexité de l’avitaillement au gaz. « Malgré mes démarches, il n’y a pas de station dans les Alpes-Maritimes et je suis obligé de faire un détour vers les stations GNV de Fos et Saint-Martin-de-Crau. Par ailleurs, la première semaine, les agents du terminal de Fos-Tonkin se sont mis en grève et je n’ai pas pu faire le plein à la station de la Fossette », déplore Patrick Mortigliengo.
En attendant la généralisation des stations, il vient de passer commande pour renouveler sa flotte afin de conserver un âge moyen de ses véhicules de 24 mois. La livraison de ses dix Volvo FHG s’échelonnera entre juillet, août et septembre 2019. Spécialiste de la messagerie sur l’Italie, la Belgique et la Région PACA, et adhérent du groupement Flo, Patrick Mortigliengo se lance un nouveau défi. « J’ai un projet d’investissement dans la construction d’un bâtiment de 3 000 m2 à Carros pour effectuer des livraisons du dernier kilomètre en produits secs et frais. Autonome énergétiquement grâce à des panneaux solaires, le bâtiment alimentera les batteries des véhicules », annonce le transporteur. Au démarrage de sa nouvelle activité, il table sur l’acquisition d’une flotte d’une dizaine de véhicules électriques pour desservir Nice intra-muros et les commerces de la vallée du Var. Son investissement, qui s’élève à 6 M€, est pour l’heure freiné par l’administration. « Les formalités sont longues ! », peste-t-il.
Déjà propriétaire depuis trente ans d’un bâtiment de 3 000 m2 sur un terrain de 10 000 m2 dans la zone d’activités de Carros, il loue une partie des hangars à des confrères XPO et Socafna. « Je n’exploite que 500 m2 car ici je ne fais pas de logistique, les marchandises sortent rapidement », souligne-t-il. Les Transports Mortigliengo, qui possèdent un bureau à Modène, assurent 15 départs quotidiens depuis le nord de l’Italie vers la Région PACA. « J’ai commencé mon activité par les fruits en provenance du Brenner et du Piémont, puis j’ai bifurqué vers la messagerie. Tous les jours, nous chargeons des camions sur Modène, Florence, Bologne, Vérone », détaille le gérant. Il achemine notamment le carrelage d’Italie à destination des immenses plateformes logistiques Castorama et Leroy Merlin de Saint-Martin-de-Crau.
Interrogé sur l’impact de l’effondrement du pont Morandi sur son activité, il commence d’abord par avoir une pensée pour l’un de ses chauffeurs qui a eu la vie sauve. « Nous sommes passés à deux doigts d’un drame le 14 août dernier. Mon chauffeur chargeait à Savone pour aller en Toscane et, par chance, nous l’avons fait attendre », se souvient-il.
Au lendemain de la catastrophe, les poids lourds aux bâches rouges n’avaient pas d’autre choix que de parcourir 220 kilomètres supplémentaires. « Nous devions remonter en direction de Milan pour ensuite redescendre vers Rome par l’ancienne autoroute. Je dois souligner la réactivité du maire de Gênes. En quinze jours seulement, il a aménagé une voie express qui traverse la ville avec des gendarmes à chaque carrefour. La circulation est fluide mais nous avons malgré tout des interdictions de circulation le matin et le soir aux heures de pointe », explique Patrick Mortigliengo, dont les camions chargent et livrent les nombreux entrepôts situés près des ports de Savone et de Gênes. En France, en 2018, l’entreprise de transport routier a fait les frais du mouvement des Gilets jaunes. « Nous avons perdu 35 000 euros entre novembre et décembre. Les camions étaient bloqués, en retard. Je n’ai rien contre les Gilets jaunes, mais je dénonce leurs méthodes et les débordements », explique-t-il tout en refusant de participer au grand débat national. « Je n’ai pas confiance ; c’est un miroir aux alouettes », lance-t-il.
À la tête de la FNTR 06 depuis une dizaine d’années, avec 90 adhérents, il s’attelle aux dossiers emploi/formation, la performance des entreprises et la reconnaissance de la profession. « Nous allons organiser un forum emploi au Stade Allianz Riviera, car nous manquons de salariés. Or, les Alpes-Maritimes comptent 75 000 chômeurs, soit l’équivalent de la seule ville de Cannes », indique l’entrepreneur. Un combat qu’il mène également au niveau national en qualité de vice-président de la FNTR. « Le syndicat doit se moderniser, s’adapter aux règlements européens, défendre nos entreprises, accentuer nos missions sociales et la transition écologique », affirme-t-il. Interrogé sur la fiscalité et les projets de vignette, il s’emporte. « Le gouvernement devait taxer les transporteurs routiers étrangers, et finalement, ce sont les Français qui vont payer. Je vous avertis, aux ronds-points il n’y aura pas que des Gilets jaunes. Il y a une ligne rouge à ne pas franchir ! », avertit Patrick Mortigliengo.
Des litres de vin du Bordelais et de la morue acheminés dans les Alpes-Maritimes par un certain Charles Mortigliengo. En 1954, le conducteur routier décide de fonder son entreprise au col de Villefranche avec son épouse Honorine. Avec son premier camion, il se rend au port de Marseille, une époque sans conteneur qui fleurait bon les fruits provenant d’Afrique et du bassin méditerranéen. « C’était une époque glorieuse, avec beaucoup d’ambiance dans les hangars J4 et J3. Mon père gagnait de l’argent. J’avais une dizaine d’années et je partais sur la route avec lui. J’étais si fier ! », se souvient Patrick Mortigliengo. Il n’a que 15 ans quand Charles lui transmet le virus. « J’adore ce métier d’homme libre. J’ai quitté l’école et j’ai passé mon permis à 18 ans. Quatre ans plus tard, mon père est tombé malade », raconte le chef d’entreprise. Il trace alors sa route et se lance sur les lignes internationales. À 65 printemps, il entend poursuivre l’œuvre familiale jusqu’au bout. N. B. C.
• Siège : Carros (06)
• CA : 7 M€
• Effectif : 49 salariés dont 39 chauffeurs
• Parc : 39 tracteurs, 2 porteurs de 16 et 19 t, 1 camion grue de 26 t, 60 semis
• Activité : messagerie industrielle