Ce contrat les a fait passer de l’autre côté de la barrière. En 2008, un an après la création de la société, les associés de Jetfreeze ont signé un accord avec une enseigne réputée : le groupe Holder, qui possède notamment les boulangeries Paul et les boutiques Ladurée. Objet de ce contrat : la livraison des boulangeries de Londres, depuis la France. « Ce contrat nous a donné une image, se souvient Philippe Deliege, directeur général de l’entreprise. Travailler avec Holder, c’est une vitrine. Le marché nous a acceptés et nous sommes entrés dans une dynamique de croissance ». Tout est allé très vite pour la société installée à l’entrée de la plateforme logistique Garromanche, à Boulogne-sur-Mer. En mars 2007, Philippe Deliege, Michel Pierru, Nicolas Merlot et Frédéric Thueux, salariés de Tradimar (spécialiste de la supply chain des produits de la mer devenu STEF Seafood en 2012), experts dans le transport sous température dirigée, ne correspondent plus au profil de l’entreprise suite à un changement stratégique. Ils décident de s’associer dans le projet Jetfreeze.
Leur ligne de conduite est claire. Jetfreeze propose un service de livraisons dans les centres villes pour les métiers de la restauration et de bouche : soit des marchandises alimentaires pour les restaurants, les chaînes de magasin, les épiceries fines, etc., dans des camions multi-températures. La livraison s’effectue parfois en ligne : un camion parti de Rungis le matin peut s’arrêter pour livrer un restaurateur à Compiègne, puis une épicerie à Noyon, avant de récupérer du fromage à Arras et livrer sa dernière palette à Bruxelles. Un client peut également demander à un camion de collecter ses précieuses denrées auprès de tous ses fournisseurs.
Transporter de la viande, du fromage, des produits transformés, des macarons, des pains surgelés, soit tous les ingrédients de cuisine sauf les produits de la marée (un comble pour un transporteur du premier port de pêche de France !), est impossible sans matériel spécifique. Jetfreeze a donc investi dans des camions tri-températures sur-mesure, capables d’embarquer du surgelé à – 20 °C, du frais à + 2 °C, + 4 °C et du sec (+ de 150 °C). De nombreux essais ont été nécessaires pour trouver le camion idéal. Aujourd’hui, une quarantaine de véhicules sillonnent le bitume européen. « Dont deux 7,5 tonnes hybrides électriques, reprend Philippe Deliège. Par nature, nous sommes écolos. Proposer plusieurs températures à bord d’un même véhicule permet d’éviter trois camions sur les routes et dans les villes. Pour l’avenir, ma confiance est plus grande pour l’électrique que pour le gaz. D’ailleurs, nous nous équipons d’autres camions ». La flotte des Boulonnais reste variée : ils disposent de huit semi-remorques, vingt-huit porteurs de 26 tonnes, quelques véhicules légers de 3,5 tonnes et 7,5 tonnes, un 12 tonnes pour le centre de Paris, un 19 tonnes… Chacun possède son usage et son utilité. « Quand vous livrez des centres villes comme Aix-en-Provence ou Montpellier, vous avez intérêt de posséder le bon matériel ».
Dans un premier temps, Jetfreeze a axé son développement sur l’international. « Nous avions remarqué que nos métiers étaient moins structurés en dehors de nos frontières. D’où ce choix, avant de développer le marché français depuis quelques années ». Aujourd’hui, le transporteur opère sur la Grande-Bretagne, la Belgique, le Luxembourg, la Suisse et une quarantaine de départements en France sur une diagonale nord-ouest/sud-est. L’entreprise n’entend pas forcément se développer dans les autres pays de l’Union européenne. Elle passe le relais à des partenaires qu’elle estime fiables et bercés par la même philosophie. « Nous échangeons les flux. Peu d’opérateurs — ou alors nous ne les connaissons pas — possèdent notre niveau de services sur les trois températures ». Les Boulonnais détiennent un demi-millier de clients dans leur portefeuille. Le plus important d’entre eux n’excède pas 10 % du chiffre d’affaires, une volonté expresse des quatre associés. « Nous restons de vrais indépendants, notre choix de départ ».
La force de Jetfreeze, outre ses camions multi-températures, réside dans son service clé en main. Dans l’entreprise, on ne se contente pas de livrer. Pour certains clients, le conducteur possède même la clé ou le code de l’alarme. Il est ainsi en mesure de déposer la marchandise dans la chambre froide d’un restaurant, voire de la ranger, à un horaire où il n’y a personne. « Aujourd’hui, 30 % des livraisons sont effectuées en l’absence du destinataire », indique le dirigeant nordiste.
Une telle relation de confiance avec les clients nécessite une formation adéquate. Dans ce domaine, Jetfreeze n’a jamais lésiné sur les moyens. Dès 2008, les associés investissaient dans leur propre organisme de formation spécialisé en logistique multi-températures. « Ce marché est spécifique et la formation demeure le nerf de la guerre. Nous préférons former de jeunes chauffeurs plutôt que de subir des salariés qui ne sont pas profilés pour cela. Dans notre domaine, nous ne pouvons pas compter uniquement sur le facteur chance du CV. Le chauffeur doit être efficace, capable de ranger les bons produits dans les bons compartiments, être organisé lorsqu’il livre en ligne… ».
Depuis deux ans, la jeune entreprise a changé de dimension. Installée depuis 2010 à Boulogne-sur-Mer, elle a inauguré trois nouveaux sites : Lyon en 2016, Plan d’Orgon (13) et Orly en 2017. Soit désormais, quatre plateformes où les équipes peuvent regrouper et répartir les marchandises en cross-docking. « Nous sommes bien plus efficaces quand nous exploitons une plateforme à deux cents kilomètres des points de collecte ou de livraison. Cela permet notamment d’envoyer le bon camion dans les bons centres villes », estime le dirigeant de Jetfreeze. Ce développement via de nouvelles implantations n’est pas encore parvenu à son terme. Ces prochaines années, les quatre associés envisagent de nouvelles plateformes en France (une dans le sud-ouest, une en Bretagne, une troisième dans l’Est de la France). En projet également : une implantation en Angleterre et en Belgique.
Un tel développement s’accompagne évidemment du renforcement de l’effectif salarié. D’une trentaine il y a deux ans, la société compte à présent cinquante collaborateurs. Une vingtaine d’intérimaires sont également en formation, dans l’attente d’intégrer la société. Jetfreeze ne connaît pas la crise et recrute en ce moment trois à quatre salariés chaque mois ! « On suit le marché ». Le développement a été rendu possible par l’entrée d’un pool d’actionnaires dans le capital en 2015. Les ambitions comptables sont au diapason : en 2017, Jetfreeze a réalisé un chiffre d’affaires de 9 M€ ; en 2022, Philippe Deliege table sur un revenu de 25 M€, avec près de deux cents collaborateurs ! Comment expliquer une ascension aussi rapide ? Pour le directeur général, il y a bien sûr une part de chance et de flair, mais « surtout, nous n’avons pas copié collé un modèle existant. Nous avons compris qu’il fallait centrer l’activité sur le client, sur sa satisfaction. Dans notre domaine, les clients devaient toujours s’adapter aux exigences des transporteurs. Un restaurant huppé à Londres ne peut pas s’en satisfaire. Nous nous adaptons à leurs contraintes. Au final, nous ne faisons qu’appliquer ce que le marché réclamait ».
• Siège : Boulogne-sur-Mer (62)
• CA 2017 : 9 M€
• Effectif : 50 salariés
• Parc : 40 moteurs
• Activités : transports sous températures dirigées