Réussir l’exceptionnel à l’échelle européenne

Bien des convois prennent des allures d’aventure chez Thévenon Transports ! L’automne dernier, à Manosque, au moment de livrer les pièces d’un pont sur la Durance, de violentes inondations avaient démoli les chemins et il avait fallu, in extremis, construire des pistes de secours pour que les camions accèdent au chantier. Un autre chantier de pont, fin 2014 à Briançon, se souvient Gilbert Thévenon, le gérant, « nous avait demandé neuf heures de route entre Grenoble et la sous-préfecture des Hautes-Alpes… Nous avions été obligés de passer par le col du Lautaret et tous les tunnels de sa route, avec un convoi de 3,7 mètres de large, 35 de long et plus de 90 tonnes de colis au total. »

Dans ces conditions, forcément, la sécurité prime sur la vitesse. « Compte tenu des routes, de la taille et du poids de nos chargements, nous rencontrons parfois des situations complexes, reconnaît le transporteur. Mais c’est là tout l’attrait de notre spécialité ! Il faut choisir le matériel très précisément en fonction de la marchandise et de la géographie, débloquer des convois, trouver des alternatives… Chaque jour est différent. Et nous nous sommes vraiment spécialisés par passion de la technique et des défis. »

Jusqu’en 1998, l’entreprise créée en 1956 par Joseph, le père de Gilbert, avait combiné le négoce – notamment de matériaux – et les transports. À partir de là, sous l’impulsion de Gilbert, Jacqueline et François (sa sœur et son frère, toujours dans l’entreprise), cette dernière activité s’est développée, en privilégiant le transport exceptionnel de première, deuxième ou même troisième catégories : le transport de colis volumineux jusqu’à 70 tonnes, 40 mètres de long, 6,05 mètres de haut, 6,20 mètres de large. Or, dès que l’on franchit certaines limites de volume, de poids et de taille, toute l’activité doit s’adapter. De même que les conducteurs exercent de manière singulière (voir encadré), l’exploitant n’opère pas tout à fait comme dans la messagerie ou le transport de palettes… « À cinq exploitants pour 23 conducteurs, nous travaillons dans la proximité avec les chauffeurs, remarque Sylvain Bonnet, directeur de l’exploitation. Par ailleurs, un seul convoi, en particulier pour l’étranger, peut nous demander des semaines ou des mois de préparation. » Tout un travail administratif s’impose en amont avec, notamment, des demandes d’autorisations diverses. En parallèle, l’exploitant missionne habituellement une voiture pilote pour reconnaître l’itinéraire, ou se déplace lui-même sur le terrain pour affiner les options de trajet. « Pas un convoyage ne se ressemble, ajoute le responsable de l’exploitation. C’est ce qui rend ce métier passionnant ! » Gilbert Thévenon ajoute que ce mode d’exploitation est très technique : « Pour bien sélectionner le matériel roulant à chaque transport, il faut le connaître, évaluer quelle sera la remorque la mieux adaptée à telle ou telle pièce volumineuse. »

Car la flotte – renouvelée au rythme de cinq à six matériels par an, à 50 % en Euro VI et équipée de géolocalisation – présente assez de diversité pour s’adapter aux équipements convoyés : poutres métalliques, ponts routiers ou ferroviaires, pylônes, pales ou mâts d’éolienne, tour d’usine chimique, carrosseries volumineuses, modules de la SNCF, pièces d’usine, machines-outils ou même simulateurs de vol… Pour transporter tous ces objets, Thévenon Transports détient aujourd’hui en portefeuille 90 cartes grises, dont une trentaine de moteurs et près de 60 remorques. Difficile de citer tous les engins, depuis les plateaux extensibles, les semis surbaissées extensibles, les extra-surbaissées, les porte-engins, grues et plateaux divers comme, par exemple, ces pupitres hydrauliques qui inclinent les pièces pour qu’elles correspondent à des dimensions acceptables sur les routes. « Dans le transport exceptionnel, la grande polyvalence de notre flotte constitue un atout majeur, remarque le chef d’entreprise. Nous répondons aux demandes les plus diverses. » Cette adaptabilité a sans doute aidé l’entreprise à résister à la désindustrialisation dans la vallée du Gier (42), dans les années 1980-1990, puis à traverser la crise de 2008 pour connaître, depuis, une croissance continue en travaillant de plus en plus à l’international, dans les pays limitrophes de l’Hexagone et jusqu’en République tchèque, Pologne ou Roumanie… entre autres. « Nous avions démarré en 2005-2006, à partir de la demande d’un client, les livraisons vers l’Espagne, relève Gilbert Thévenon. Puis nous avons progressé naturellement, convoi après convoi. »

Petit à petit, également, la PME familiale à 100 % est passée d’un chiffre d’affaires de quelque 500 000 euros (avec six salariés) en 2008 à 5,8 M€ en 2017 puis 6,7 M€ en 2018. « Nous avons toujours été présents pour apporter une solution technique aux clients », indique Gilbert Thévenon. Ces derniers, très variés, se trouvent principalement dans l’industrie, le transit (ports, caisses maritimes), la charpente, la machine-outil ou, pour 10 %, dans le transport. Quelque 60 % sont réguliers, mais le plus important ne dépasse pas 7 % du chiffre. L’appartenance à France Plateaux s’est aussi révélée capitale, selon le chef d’entreprise, « cela nous donne accès à certains marchés que nous n’aurions sans doute pas remportés sans collaborer avec des confrères. La solidarité professionnelle est essentielle ».

Après trois opérations de rachat ces dix dernières années – dont celle des Transports Baud, en 2014, qui a donné à l’entreprise son second site à Saint-Rambert-d’Albon (26) – Thévenon Transports prévoit de poursuivre sa croissance, en se préparant surtout au Brexit, qui risque d’être très complexe, selon Gilbert Thévenon, et en développant du stockage dédié aux marchandises exceptionnelles. Aujourd’hui, la logistique représente 15 % de l’activité, contre une part dépassant les 50 % pour les transports exceptionnels. « L’idée de développer cette activité vient du besoin de stockage d’un client, explique le chef d’entreprise. Nous voulons acheter un site et équiper une plateforme de 8 000 mètres carrés pour mettre en place une logistique dédiée au colis jusqu’à 50 tonnes. » Du stockage, lui aussi, exceptionnel.

Des problématiques de recrutement à Thévenon Transports ? Pas vraiment. « En fait, constate Gilbert Thévenon, nous n’avons aucun turnover parmi nos 23 conducteurs, sauf quand ils partent à la retraite. Et nos chauffeurs informent leurs copains quand ils savent que nous cherchons quelqu’un. On ne publie jamais d’annonce. » Le chef d’entreprise utilise une autre méthode infaillible : il recrute avant même que le besoin existe, dès qu’il rencontre un profil intéressant. « Il faut que je sente la bonne personne, qui s’adaptera dans l’entreprise, note-t-il. C’est la base. Souvent, le marché suit. » Pour Sylvain Bonnet, le directeur d’exploitation depuis neuf ans, « la méthode s’avère efficace pour fidéliser les gens ». L’autre « botte secrète » de l’entreprise, bien sûr, c’est la nature du travail et sa part d’aventure. Ici, il ne faut pas forcément avoir connu de très nombreuses spécialisations, mais tout de même posséder une solide expertise de la conduite, pour piloter des convois d’envergure. Ainsi, il faut pouvoir, le lendemain de son embauche « partir en autonomie, une à deux semaines, sur les routes d’Allemagne, à la tête d’une semi-surbaissée ! Il faut que les gars soient débrouillards. Moi, je leur tire mon chapeau ! »

F. R.

• Siège social : L’Horme (42)

• CA 2018 : 6,6 M€

• Effectif : 32 salariés, dont 23 conducteurs

• Parc : 28 moteurs, 60 remorques

• Activités : transport exceptionnel toute Europe, commissionnaire, logistique (8 000 m² intérieurs, 15 000 m² extérieurs)