Œuvres d’art et bateaux de plaisance sont les moteurs de la vie professionnelle de Pierre Garrone, gérant d’Art-Transport & Services. Entre les tracteurs, l’atelier et les bureaux, des œuvres monumentales trônent sur son parc de 1 100 m2 dans l’attente d’un prochain départ vers un musée, un jardin public, un château. La préparation du festival de Cannes bat son plein, il doit livrer et monter des œuvres d’art à l’hôtel Eden Roc à Cannes et au château Saint-Martin & Spa à Vence.
« L’univers de l’art me séduit. Des liens se tissent avec les acteurs culturels, surtout lorsque nous surmontons ensemble des difficultés. Mon métier consiste à transporter tout ce qui sort de l’ordinaire. J’ai besoin de gamberger. Il faut une certaine dose de créativité pour concevoir des remorques et des outils spécifiques. L’installation en 2011, sur la place d’Armes du château de Versailles de l’œuvre 86,5° Arc x 16 de Bernar Venet, demeure ma plus grande fierté. J’ai vécu cinq mois de stress, de recherches intenses pour monter ces arcs de 22 m de haut », raconte Pierre Garrone.
Sa rencontre en 1993 avec le sculpteur Bernar Venet a été décisive. « Il avait un souci de transport, j’ai donc adapté mes remorques à ses œuvres. Cela m’a ouvert les portes des galeries d’art », explique avec simplicité le gérant.
Quand ses confrères roulent pour la ligne régulière, Pierre Garrone et ses équipes parcourent le monde. À l’image d’un marin au long cours, il sillonne les grandes capitales au gré des expos : à Chicago, Séoul, Hongkong, San Francisco. Si la « patte » de Pierre Garrone est désormais connue et reconnue des milieux artistiques, il a également tracé son sillage dans la plaisance, son activité première.
À 18 ans, son brevet de mécanique en poche, Pierre Garrone s’ennuie terriblement dans les ateliers. Il plonge tête première dans l’univers du nautisme comme préparateur de bateaux. « Le concessionnaire de Bénéteau avait acheté un camion Berliet pour livrer les clients. À 23 ans, j’étais chargé à la fois de la préparation et du transport des bateaux. L’activité a cessé au bout de cinq ans. En 1982, j’ai racheté le camion et j’ai créé Auto Bateau Service. J’effectuais la pose des instruments de navigation, le mâtage, la peinture sous-marine et les essais », se souvient Pierre Garrone. L’entreprise devient une affaire de famille prospère à compter de 1985, portée par l’engouement des Français pour la plaisance.
« J’ai choisi de m’installer à Martigues, une des premières communes à construire un port à sec. Le nautisme se développait à vive allure. Je livrais les villes de l’arc méditerranéen de l’Espagne à l’Italie. Des semi-rigides Zodiac, aux catamarans Catana… Auto Bateau Service connaît son heure de gloire et devenait le transporteur routier des constructeurs américains. Je possédais dix camions et je détenais 90 % du marché de l’importation de bateaux américains en France. J’étais également devenu le transporteur des concessionnaires en Corse à raison d’un à deux transports quotidiens vers l’île », se souvient-il. Les bateaux chargés aux États-Unis sur des conteneurs flat arrivaient sur le port de Fos. Transfert, dépotage, expertise avant livraison finale aux concessionnaires. La plaisance générait 90 % du chiffre d’affaires d’Auto Bateau Service.
En 1992, la réforme du statut des dockers plonge la PME dans une crise sans précédent. Grèves de la manutention, port bloqué… Les constructeurs américains se détournent de Fos au profit d’Anvers et de Rotterdam. Le transporteur dépose le bilan en 1994 et connaît les affres du redressement judiciaire. « Ce fut une période difficile, mais je me suis battu. Moi le Sudiste, pour me différencier de mes concurrents de la côte atlantique, je misais sur ma créativité. J’ai contribué à faire évoluer les modes de chargement. À la fin du conflit du port de Marseille-Fos, j’ai retroussé mes manches pour récupérer les trafics. J’ai fondé une agence au Havre. Avec 700 bateaux par an entre 2002 et 2007, j’étais devenu le référent en France. Je gérais les salons nautiques, les livraisons aux concessionnaires et les importations pour les constructeurs américains », raconte le patron d’Auto Bateau Service.
L’entreprise, rebaptisée entre-temps « Les Marins de la route », fait face à un nouveau coup de tabac en 2008. La crise financière entraîne la plaisance vers le fond.
« Du jour au lendemain, nous n’avions plus d’appel. Je gérais une entreprise de 20 personnes », raconte Pierre Garrone. Acculé, il cède son entreprise au groupe Capelle. Soulagé, il redémarre seul, en 2008, en devenant expert en prestation de services connexes sous la marque Art-Transport & Services. Il cède à l’envie irrépressible d’acheter un camion puis reprend, en 2012 à la barre du tribunal de commerce, Sovival, société de transport routier de conteneurs basée à Marseille et Port-Saint-Louis-du-Rhône. Trois ans plus tard, il dépose à nouveau le bilan et, dans le cadre du plan de continuation, compresse les effectifs de 17 à 7 salariés. « J’ai serré la vis, éliminé les clients toxiques, les transports non rentables et repris les rênes du transport de conteneurs. J’ai obtenu un plan de continuation en 2016 », raconte-t-il. Après cette épreuve douloureuse, le vent a finalement tourné. Tirant les leçons du passé, Art-Transport & Services mise sur la diversification. S’il achemine quelque 1 300 conteneurs par an, il admet qu’il s’agit d’une activité alimentaire. Il avoue vibrer toujours pour l’art et la plaisance. Mi-avril 2018, il organisait l’acheminement nocturne d’un Riva depuis les ateliers Trapani de Cassis vers le port de La Pointe-Rouge. « Depuis trois ans, nous livrons Jeanneau Algérie à raison d’une trentaine de bateaux par an. Les clients de la plaisance sont revenus à moi », détaille Pierre Garrone. Outre la cinquantaine de bateaux transportés chaque année, il intervient pour Airbus Helicopters pour emballer les hélicoptères acheminés par voie maritime. Fin avril, il repart pour la Grande-Bretagne démonter une sculpture. À 63 ans, le transport est son carburant. Il lèvera le pied quand ses enfants, Alex et Marianne, seront fin prêts à lui succéder.
• 1 100 m2 de terrain à Caronte (Martigues)
• CA 2017 : 1 M€
• Résultat : 120 000 €
• 9 salariés dont 6 cond.
• 6tracteurs, 1 porteur grue, 3 engins de manutention, 30 remorques (plateaux, surbaissées, dont deux extra surbaissées jusqu’à 19 m de long)
Depuis quelques années, la vie professionnelle de Pierre Garrone est jalonnée d’expos et événements internationaux de Bernar Venet. En 2010, le président Nicolas Sarkozy inaugure un monument de 30 m de haut sur la Promenade des Anglais pour célébrer les 150 ans de rattachement de Nice à la France. Art-Transport & Services était de la partie. « Nous avons acheminé les pièces fabriquées en Hongrie avant de réaliser le montage et l’assemblage des pièces », raconte le gérant. En 2013, la ville de Marseille hérite du titre de capitale européenne de la culture et installe Désordre dans les jardins du palais du Pharo, une œuvre composée de 84 arcs désordonnés de l’artiste né en Provence. La même année, c’est une œuvre de Keith Haring qu’il démonte et achemine depuis Oberhausen dans le district de Düsseldorf jusqu’au 19e arrondissement de Paris. La résidence Centquatre consacre alors une rétrospective au compagnon d’Andy Warhol.