Pour rencontrer Vincent Verbeke à Essertaux (Somme), mieux vaut aller à sa rencontre le matin. L’après-midi, il y a un rituel auquel le transporteur nordiste ne déroge quasiment jamais. Le volubile quinquagénaire délaisse ses collègues de bureau pour grimper dans une cabine et effectuer une tournée. Comme ses chauffeurs, il roule, charge et décharge. Les clients ne savent d’ailleurs pas toujours qu’ils ont affaire au patron, ce qui lui convient très bien. C’est même mieux pour saisir les éventuels problèmes de chargement, de livraison, connaître les attentes, etc. Le gérant en profite aussi pour écouter la mécanique des tracteurs. « Les plus jeunes n’identifient pas forcément s’il faut graisser une sellette, décrypte-t-il. Moi, je l’entends. Être sur le terrain permet de se rendre compte de ce qui va ou ne va pas. Et au moins, les conducteurs ne peuvent pas me raconter de bobards ! » Surtout, ces après-midi permettent à Vincent Verbeke de rouler.
Comme une seconde peau pour lui. Car le Samarien a le transport dans le sang. Il a 4 ans lorsque son père, livreur de charbon pour le compte d’une quincaillerie à Grandvilliers, dans l’Oise, se lance dans le transport d’endives à son compte. Nous sommes en 1969. Un an plus tard, la société Verbeke est officiellement créée à Conteville (27), à quelques kilomètres. Ses deux parents s’attellent à la tâche, difficile, pour parfois percevoir des revenus de misère. « C’étaient des fous de boulot ! Ils faisaient également les saisons des cerises dans l’Yonne ou des pêches dans le Sud. » Le jeune Vincent les accompagne. S’il charge les cageots de fruits et de légumes le samedi après-midi, il pourra jouer au football ensuite. Sauf que quand « la Cagette », son surnom, a fini d’aider ses parents, il fait souvent trop sombre pour entamer une partie de ballon rond ! Pas de quoi le détourner du métier. En 1983, il commence à conduire. En 1985, son père achète un troisième camion pour lui. Logiquement, il reprend la société en 2004.
La reprise s’accompagnera d’une rupture. Alors que l’entreprise compte huit camions et une dizaine de salariés, Vincent Verbeke décide de déménager à Essertaux, à une vingtaine de kilomètres des locaux d’origine, côté Somme. Alors que ses parents avaient déjà acheté un nouveau terrain à Conteville, dans l’Eure ! Ce choix, Vincent Verbeke le défend encore aujourd’hui en désignant ses voisins par la fenêtre de son bureau. « Touquet Savour, un négociant et conditionneur de pommes de terre, qui représentait à l’époque 30 % de notre chiffre d’affaires, était installé à Essertaux. Nous devions nous agrandir. Le terrain acheté par mes parents n’était pas suffisant. Pourquoi ne pas plutôt se développer à côté de notre principal client ? » De plus, le « néo-chef » d’entreprise avait eu vent de la création imminente d’une nouvelle sortie sur l’A16 à deux pas. Une réalisation qui verra le jour deux ans après son arrivée. L’occasion était décidément trop belle et le gérant en aura une nouvelle preuve quelques années plus tard. Un ingénieur en stage lui propose d’identifier le meilleur emplacement possible de l’entreprise par rapport à la localisation des clients, aux tonnages transportés, etc. L’informatique a désigné un point géographique à 1,8 kilomètre d’Essertaux. Difficile de faire mieux !
La petite bourgade de 260 habitants est en effet idéalement située entre les trois points d’attraction majeurs du transporteur : les marchés d’intérêt national de Rungis, Lomme (Lille) et Rouen. Car, depuis cinquante ans, les Transports Verbeke & Fils sont toujours spécialisés dans les fruits et légumes, livrés aux centrales d’achat de la grande distribution comme Auchan, LIDL, Carrefour, Monoprix, etc. Parallèlement, le transporteur, qui travaille depuis trois ans pour les œufs Cocorette, ramasse directement pommes de terre, endives, carottes, poireaux, oignons, etc. chez quelques producteurs, les chargements étant réorganisés à Essertaux avant d’être redistribués vers les MIN, puis les centrales. Résultat, les camions roulent rarement à vide. « Nous avons un portefeuille d’environ 120 clients, estime Vincent Verbeke. Mais aujourd’hui, par choix, aucun ne représente plus de 8 % du chiffre d’affaires. » En cinquante ans, la société a-t-elle tenté d’aller frayer d’autres chemins que ceux des fruits et légumes ? Pendant trois ans, Vincent Verbeke a bien essayé la Tautliner, « mais ce n’est pas le même travail que les fruits et légumes. Je pense qu’il est difficile d’être performant sur plusieurs secteurs. Concentrons-nous sur ce que nous faisons bien », confie-t-il.
L’exigence constitue l’une des valeurs cardinales de celui qui est, par ailleurs, patron de la FNTR Somme. Il assure être joignable 24 heures/24. C’est souvent en dépannant des chargeurs dans la panade que le transporteur a gagné de nouveaux marchés. Les fruits et légumes nécessitent une organisation sans faille, où le moindre retard entraîne de sérieuses conséquences. « Si vous égarez une palette de fraises, la cargaison est définitivement perdue et invendable. Notre exigence justifie nos prix », explique l’entrepreneur. Cette exigence se traduit aussi par une préoccupation quasi obsessionnelle quant à la propreté des camions. Intérieure, comme extérieure, car « les fruits et légumes, on doit avoir envie de les manger ». Un camion sale à l’intérieur et la prime mensuelle consacrée de 77 euros est supprimée. Dans le même esprit, le gérant interdit d’être habillé d’un jogging au volant. « Chacun doit être présentable. Notre publicité, ce sont nos chauffeurs. » L’idée est de responsabiliser chaque salarié. Vincent Verbeke peut inculquer ces valeurs dès le plus jeune âge. Chaque année, trois apprentis rejoignent l’entreprise. Ils nettoient les camions, entretiennent la cour, font le plein dans la station de gazole intégrée, déchargent et rechargent les remorques, etc. Peu à peu, ils embarquent avec les chauffeurs pour les tournées, avant éventuellement d’intégrer définitivement la société. Aujourd’hui, sur les 24 conducteurs des Transports Verbeke & fils, 12 sont passés par l’apprentissage ! Vincent Verbeke se satisfait d’avoir assez peu de turnover. La gestion humaine y est certainement pour quelque chose. Sorties karting ou au Lido, réfection des locaux pour créer une cuisine flambant neuve à destination du personnel de bureau ou d’une salle de repos pour les chauffeurs, primes d’intéressement sur salaires et l’absentéisme, les conditions sont plutôt favorables. Cet hiver, Vincent Verbeke a fait partie des patrons qui ont distribué la prime Macron de 500 euros. Les plus anciens salariés sont aussi récompensés : deux conducteurs, qui fêtent respectivement leurs vingt et trente ans de maison, sont sur le point de recevoir des camions entièrement décorés selon leurs souhaits !
Comment Vincent Verbeke envisage-t-il l’avenir alors que l’entreprise fêtera ses 50 ans ? Aujourd’hui, la société compte 35 salariés et a atteint une dimension qui lui convient. Même aidé de son second, Guillaume Demarest, le dirigeant n’a pas forcément envie de gérer un effectif supérieur. Peut-être que ce sera un jour le désir de son fils, Loïc, 30 ans, chauffeur depuis onze ans à Essertaux… « C’est à lui de s’imposer », tranche le père. L’après-midi approche, il est l’heure d’aller rouler.
• Siège : Essertaux (80)
• CA : 3,3 M€ (2018 consolidé)
• Effectif : 35 personnes, dont 24 chauffeurs
• Parc : 17 camions
• Activités : transport de fruits et légumes, œufs