Lorsque Roland et Angélique Vogler ont fondé, il y a dix ans, leur propre entreprise de transport, le couple n’a pas hésité à prendre des risques pour se lancer dans ce qui allait être une aventure. Lui se destinait à devenir électricien, mais l’obtention à l’armée du permis poids lourd l’a finalement propulsé plusieurs années sur les routes pour le compte de petits transporteurs de la région de Haguenau. Elle était gestionnaire de paie dans la grande distribution lorsqu’une incertitude s’est mise à peser sur la pérennité de son emploi. Grâce à ses études de comptabilité, elle obtient par équivalence une attestation de capacité en transport routier de marchandises. Le couple allait fonder son entreprise, Voglertrans, et madame en serait la patronne.
Depuis, le couple Vogler n’a eu en tête que de se donner les moyens d’une croissance constante, mais maîtrisée, dans le domaine spécifique du transport de conteneurs maritimes. « Au début, nous n’avions qu’un seul client. Pendant deux ans, nous n’avons fait que de la sous-traitance pour un autre transporteur », retrace Angélique Vogler. Puis le duo s’est mis à proprement parler à voler de ses propres ailes. Compagnies maritimes, bargeurs, transiteurs et opérateurs ferroviaires constituent leurs principaux donneurs d’ordre, pour une activité centrée autour du port de Strasbourg, et des trajets toujours inférieurs à 2 h 30 ou 3 heures. Doucement mais sûrement, l’entreprise a ajouté des cordes à son arc (transport de matières dangereuses, de citernes, transports sous température dirigée…) et a développé un goût prononcé pour les solutions technologiques innovantes.
La dernière en date : une remorque de dépose horizontale de conteneurs mise au point par le constructeur Hammar, que le couple est lui-même allé chercher en décembre dernier en Suède, à proximité de Göteborg. Insatisfait d’une remorque auto-chargeuse acquise d’occasion un an plus tôt, Voglertrans a directement collaboré avec le constructeur pour obtenir les adaptations conformes à ses besoins. Résultat, cette remorque rétractable 119 HC est unique en France et la voir en action revêt quelque chose de tout à fait impressionnant. Grâce au déploiement de ses béquilles télescopiques et inclinables équipées de vérins hydrauliques et commandés à distance, elle permet de charger ou décharger les conteneurs maritimes équivalents dix, vingt, trente ou quarante pieds au sol, directement sur une autre remorque, sans avoir à détacher le tracteur, ou sur un wagon. Les béquilles d’appui, qui œuvrent comme stabilisateurs, permettent d’éliminer tout risque de basculement ou de renversement. « De l’ordre de huit fois plus chère qu’une remorque classique », cette remorque illustre la stratégie de différenciation de Voglertrans, qui, innovation oblige, a rencontré quelques difficultés pour obtenir l’immatriculation de ce véhicule jamais vu. Parmi les marchés de niche visés par l’entreprise : celui des conteneurs de derniers voyages, un marché dans lequel Angélique et Roland Vogler voient un levier de développement. Le duo mise notamment sur un accroissement de la construction de maisons conteneurs qui, si elles sont encore très minoritaires en France, ont déjà conquis dans d’autres pays dans le monde.
En 2013 déjà, l’entreprise, inspirée par un transporteur hollandais, avait fait parler d’elle en s’équipant d’une remorque de dépose verticale. Cet équipement permet, en une poignée de minutes, d’élever un conteneur à 90° degrés au moyen de deux vérins hydrauliques. Depuis 2014, un second investissement permet le déverrouillage et la fermeture automatique des portes du conteneur posé à la verticale. Outre un bennage facilité, « cette remorque permet d’optimiser le chargement », développe Roland Vogler. Si le transport de metalscrap, ainsi « tassé », a déjà obtenu les faveurs de cette technologie, « on voudrait se faire connaître davantage et trouver d’autres marchés », insiste Angélique Vogler. La chef d’entreprise consacre ainsi une partie importante de son temps de travail à des activités de prospection. Et pour conquérir de nouveaux clients, « nous faisons beaucoup de démonstration », appuie-t-elle. Dernièrement, l’entreprise a notamment effectué des tests pour le transport de céréales et espère ajouter prochainement ce marché à son portefeuille.
Audacieux, le couple n’en reste pas moins prudent. Et la sécurité préside à toutes les opérations de transport menées par l’entreprise. Dans la foulée d’une nouvelle acquisition, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un équipement spécifique, Roland Vogler prend exclusivement en main celui-ci, pendant plusieurs mois au moins. « Un matériel aussi spécifique nécessite un entretien et un contrôle du fonctionnement au quotidien, mais aussi de bonnes connaissances en conduite et en manipulation », fait savoir l’entreprise. Une fois l’expérience des véhicules accumulée par Roland Vogler, c’est lui-même, ancien formateur, qui accompagne un ou deux jours ses collaborateurs pour les former. L’entreprise vient, en outre, de finaliser un partenariat avec un organisme de formation de Sélestat afin de développer un module spécifique à la manipulation de sa dernière acquisition. « Nous prenons les devants pour assurer la sécurité tant de nos salariés que de nos clients », résume Angélique Vogler. Diplômée, depuis l’année dernière, d’un bachelor marketing et commerce, cette dernière a opté depuis les débuts de l’entreprise pour un management collaboratif qui responsabilise les salariés et érige la confiance en maître mot.
« Nous avons des talents, il ne faut pas les brider », soutient la cheffe d’entreprise. Avec un siège social situé au domicile du couple, à Mulhausen, les dirigeants ont rapidement décidé d’attribuer à chacun de leur conducteur un tracteur et une remorque. « Ils sont responsables du bon fonctionnement de leur ensemble », résume Angélique Vogler qui tient à rester ouverte aux propositions et idées de ses salariés.
À l’avenir, Voglertrans entend développer la part de son activité de niche, qui représente aujourd’hui 15 %, et est ouverte aux opportunités de croissance externe. Pour autant, « nous voulons consolider les bases de notre entreprise et rester à taille humaine », insiste Angélique Vogler, très attachée à l’indépendance de son entreprise.
« Tu es une femme, tu es jeune, qu’est-ce que tu connais au monde du transport ? » Angélique Vogler ne compte plus le nombre de fois où cette idée reçue lui a été objectée. « Dans ce milieu, lorsque vous êtes une femme, soit on vous met sur un piédestal et on vous défend alors que vous n’avez rien demandé, soit on vous traite comme un morceau de viande », dit-elle en s’excusant pour son franc-parler. Dans les deux cas, peu importent les diplômes et les réussites, Angélique Vogler est bien souvent réduite à son genre. Mais la cheffe d’entreprise a appris à prendre du recul. « Au bout de dix ans, j’estime avoir fait mes preuves, ces choses-là m’atteignent moins, voir plus du tout. Tout ce que je souhaite, c’est être traitée sur un pied d’égalité ». Elle serait d’ailleurs plutôt favorable à l’idée de voir une femme prendre les commandes d’un de ses ensembles. « Je cherche encore celle qui me surprendra », dit-elle, soumise par ailleurs comme ses collègues à une pénurie générale de conducteurs. Et loin d’elle l’idée d’étayer les stéréotypes associés au transport. Le sexisme est loin d’être propre à ce milieu, dit-elle en substance. Et la jeune femme de mettre les points sur les i : « Je peux vous dire que, dans mon entreprise, aucun conducteur n’a de calendrier olé olé dans son camion ! ».
• Siège : Mulhausen (67)
• CA 2017 : 637 000 €
• Effectif : 8 salariés dont 7 conducteurs
• Parc : 7 moteurs, 14 remorques
• Activités : transport de conteneurs maritimes