Le 17 décembre prochain, Gérard Hugon, dirigeant de Centre Express Limousin (CEL) célébrera ses 65 ans. Un anniversaire qui marquera son départ à la retraite… ou presque : « Mes fils, Guillaume et Rodolphe, ont intégré l’entreprise depuis 2017 en vue de la reprendre, assure-t-il, mais je vais forcément les accompagner encore. » Ces deux trentenaires ont en effet commencé leur carrière hors du TRM. Leurs parcours, complémentaires, ne sont cependant pas sans intérêt pour CE. Guillaume, l’aîné, était auparavant cadre financier (chez Adecco) tandis que Rodolphe, ingénieur, conduisait des projets d’innovation sur des moteurs thermiques. Depuis leur arrivée à CEL, le premier s’est notamment consacré aux appels d’offres, tandis que le second lance un vaste chantier de digitalisation (TMS Excellium-Item).
Gérard Hugon leur transmet une entreprise en bonne santé (lire « Repères »), sans doute parce qu’il a fait, très tôt, un pari : « Travailler sur la France, en transversal, des Savoies à l’Aquitaine ». En 1986, lorsque cet ancien cadre du transport rachète Trans-Limousin, basée à Saint-Pierre-de-Chandieu (Rhône), celle-ci transporte à l’international comme en national, des vaches limousines. Mais en 1998, las de se battre contre la concurrence étrangère, il arrête le transport d’animaux vivants pour passer au fret industriel. « On a décroché les bétaillères pour accrocher des savoyardes, rapporte-t-il. En outre, pour avoir moins de concurrence, on a fait du lot partiel plutôt que complet, et on s’est concentrés sur notre axe transversal. » Enfin, dernier choix : répartir les risques. Aucun client n’assure plus de 10 % du chiffre d’affaires.
Sur « sa » transversale, CEL tisse ses lignes sur 30 départements, grâce à trois sites : Corbas, près de Lyon – également le siège –, Montmarault (Allier) et Limoges (Haute-Vienne). « Le groupage technique de marchandises palettisées est l’activité la plus rentable, assure Gérard Hugon. En effet, en resserrant le plus possible les zones géographiques desservies, on améliore le coefficient de remplissage des véhicules. » Il assure n’avoir jamais plus de 15 % de kilomètres à vide. Une seconde activité, représentant 20 % du CA (30 % pour l’agence de Lyon), est la participation, depuis 2003, à Evolutrans. Le transporteur rhodanien dépose aux plateformes du réseau implantées à Saint-Priest et à Bourges, est adhérent livreur pour la Loire et le Rhône (7 à 8 véhicules/jour) et assure les tractions entre les plateformes de Lyon, Bourges et la Gironde. « On progresse régulièrement sur cette activité, assure Rodolphe Hugon. Cette année, on a enregistré une augmentation de 5 %. »
CEL répond également aux appels d’offres de transport dédié et a remporté ceux de Decathlon, Leroy Merlin, Brossette, Conforama et la Fnac. Les chargements s’effectuent chaque après-midi dans les entrepôts des clients situés dans la grande région lyonnaise (jusque dans la plaine de l’Ain), pour des livraisons le lendemain matin dans leurs magasins respectifs : Angoulême, Périgueux, Limoges et Brive-la-Gaillarde pour Leroy Merlin, par exemple ; Clermont-Ferrand, Guéret, Vichy et Nevers pour Brossette. « Mais l’ensemble de ces gros chargeurs ne représente pas plus de 25 % de notre chiffre d’affaires », rappelle Gérard Hugon. Pour tenir le délai de vingt-quatre heures, le dirigeant s’appuie sur des relais de nuit distants les uns les autres de quatre heures de conduite (Lyon, Guéret, Égletons, Limoges…). Une organisation encore optimisée depuis 2015, grâce à l’utilisation, pour les tractions nocturnes, de deux semis à étage.
En 2014, lorsque le patron-stratège fait le choix de créer un site à Montmarault, son épouse (également dans l’entreprise) reste dubitative. Aucun client n’a adressé de demande en ce sens. Gérard Hugon y achète pourtant un terrain de 3 ha sur lequel il fait construire un bâtiment de 3 500 m2, qui lui permet de proposer une prestation logistique (stockage essentiellement). Grâce à l’embauche de deux commerciaux, le site trouve ses premiers clients, comme Cartonnages Franche (18). « C’était un coup de poker », reconnaît-il. Sa première motivation : combler un « trou » dans le maillage de « sa » transversale. « Dans ce secteur proche de Montluçon, nos conducteurs passaient la nuit, mais pas une journée à livrer, explique-t-il. Nous y implanter permettait donc une couverture complète de notre territoire. » Mais il a aussi repéré la situation stratégique de cette petite ville, au centre de la France, et à la croisée de l’A71 et de la RCEA*. Le transporteur rhodanien acquiert donc encore les 6 000 m2 d’un ancien hub de messagerie de Sernam situé à côté de son entrepôt. Un pari récompensé début 2018, lorsque CEL – grâce aux « talents de négociateur de Guillaume », assure son père – remporte un appel d’offres national du ministère de la Justice, avec pour objet, le transport de lits, armoires, vêtements de travail, etc. fabriqués par des détenus et utilisés dans différentes prisons. « Le ministère demandait au moins 3 000 m2 d’entrepôt au centre de la France pour centraliser la marchandise. C’est exactement ce que nous avions ! », jubile Gérard Hugon qui, pour l’occasion, n’a pas hésité à renforcer les équipes d’une dizaine de personnes et le parc de cinq attelages et deux porteurs.
Il ne s’arrête pourtant pas là, puisqu’il vient d’acheter trois nouveaux hectares à Montmarault, où il lance la création d’un parking poids lourds sécurisé pour 65 ensembles routiers, assorti d’une station de lavage, d’un atelier, de sanitaires-douches et d’une salle de repos. L’ouverture est prévue au deuxième semestre 2019. « Je pensais le faire plus tôt, note Gérard Hugon, car la demande est forte de la part des transporteurs internationaux et grands routiers. Compte tenu du stationnement sauvage aux abords des aires existantes, régulièrement saturées, les élus locaux sont impatients. Mais j’investis progressivemen. J’ai mis 5 M€ sur ce site depuis 2014. »
Le transporteur y fait aussi installer une cuve à gasoil. Quant à une station GNV, Guillaume ne l’envisage, lui, « que si elle est portée par un pétrolier ». Même pour leur propre parc, père et fils sont d’accord pour étudier la question du gaz, mais avec prudence. Pour l’heure, deux véhicules vont être loués pour être testés entre Lyon et Limoges, ville où une station GNC doit ouvrir en mai prochain. La priorité de Guillaume Hugon est plutôt de « dupliquer à Lyon la réussite de Montmarault ». « Comme nous sommes limités par la pénurie de conducteurs, explique-t-il, combiner l’activité logistique au transport est un vrai levier de rentabilité. » Les prochains mois vont être décisifs (lire ci-dessus). À l’étroit dans ses locaux actuels de Corbas, CEL veut déménager dans la même commune, mais se heurte à la Métropole de Lyon. Faute d’accord, l’entreprise devra s’exiler plus loin, revoir en conséquence toute l’organisation de ses relais de nuit et réembaucher. Gérard Hugon n’est sans doute pas près de passer totalement la main…
• CA 2017 : 17 M€
• Effectifs : 75 personnes à Corbas
• Parc : 100 moteurs et 100 semis/VUL, porteurs et ensembles
• Activités : fret industriel, logistique
Les Hugon ont déjà les clés du site, ont fait chiffrer les travaux nécessaires, ont signé un compromis de vente avec le propriétaire, Cibevial, et versé 300 K€ d’acompte, soit 10 % du prix. CEL aurait déjà dû déménager dans l’ancienne halle aux bestiaux de Corbas, située à 500 m de son site actuel. Désaffectée depuis dix ans, celle-ci offre 10 000 m2 sous une solide charpente en béton, contre 1 000 m2 pour le bâtiment actuel de l’entreprise. Saturés, ils sont complétés par 1 000 m2 loués un peu plus loin. La halle permettrait à CEL d’être plus à l’aise pour son activité de cross-docking, et de lancer une prestation de logistique alimentaire (vins, chocolat) sous température maîtrisée, à 12 °C. Seulement voilà, la Métropole de Lyon a fait jouer son droit de préemption et, depuis, le projet de CEL est bloqué. Une société livrant des paniers de légumes aux particuliers, Potager City, s’est montrée également intéressée, « mais il n’y a aucun projet concret », tempête Gérard Hugon, qui a déposé un recours auprès du tribunal administratif. « Si nous n’obtenons pas gain de cause, prévient le transporteur, nous devrons quitter l’agglomération, voire le département. Pas sûr que nos salariés puissent suivre. »
V.V.L.
* Route Centre Europe Atlantique