Cette semaine, Arnaud Bilek, fondateur de Gaz’UP et de CONSOPTIMA Economiste associé au CATT (Université de Pau)

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La grave crise sanitaire et économique que traverse le pays ne va pas manquer d’accélérer les mutations, d’éveiller les consciences, de rebattre les cartes du jeu. Comment appréhender le monde économique de demain ? La supply chain d’après ? Les acteurs du TRM et de la chaîne logistique nous livrent ici, chaque semaine, leur perception du monde économique qui s’ouvre.
“Déconfinement : le calme avant la tempête ?

Le secteur du transport a apporté une contribution majeure à l’économie nationale durant la « drôle de guerre » du confinement. Cette contribution a rendu possible la mise à l’abri de la population et son approvisionnement en soins et en biens de première nécessité. Le transport a ainsi vu grimper sa cote de popularité auprès de la population. Mais l’état de grâce, qui contraste avec la situation économique du secteur, ne va pas durer. A l’heure du déconfinement, les entreprises vont entrer dans une période de forte turbulence qui sera cruciale pour la transformation du secteur.

Avant le monde d’après

« Résilience » sera sans nul doute le mot clé de la décennie 2020. D’origine latine, le terme signifie « rejaillir », ou « rebondir » suite à un choc. Pour une économie ou pour une entreprise, la résilience est la faculté d’encaisser un choc négatif, de se réorganiser pour continuer à fonctionner. Être résilient, c’est donc, avant tout, être en capacité de ne pas rompre face à la tempête. Ce rebond nous promet-il l’avènement d’un nouveau monde ? Rien n’est moins sûr.

En revanche, une chose est certaine : pour aborder le monde d’après encore faut-il que l’économie conserve une partie de ses ressources pour espérer enclencher un nouveau cycle de développement vertueux. C’est tout l’enjeu des prochains mois : permettre à nos entreprises, et donc à notre économie, de repartir dans les meilleures conditions sans être décrochées par rapport aux autres économies qui nous entourent.

Aussi, à l’heure de courber l’échine pour laisser passer la tempête, certaines activités ont démontré une importance qui sera cruciale pour rebâtir l’économie. Si les Français ont applaudi à juste titre les soignants, nombreux sont les anonymes sans qui le confinement n’aurait pas pu se dérouler dans une relative sérénité. Grâce à tous ces héros du quotidien, la crise sanitaire n’aura pas mis totalement à terre l’économie.

Le transport : premier de cordée !

En première ligne, les acteurs du transport et de la logistique ont tenu leur rang, permettant aux hôpitaux de fonctionner et à la population de ne manquer de rien. Les conducteurs d’abord, qui ont retrouvé, à l’occasion de cette crise, une certaine estime de la part d’une majorité de la population qui est si prompte, en « temps de paix », à râler contre « ces camions qui encombrent nos routes et qui polluent notre atmosphère ».

Mais au-delà des conducteurs qui sont la partie émergée de l’iceberg, il faut saluer le rôle décisif de toutes les personnes impliquées dans la chaîne de valeur du transport et de la logistique qui ont tenu leur poste malgré la peur du virus et des conditions de travail encore plus compliquées qu’à l’accoutumée.

Dans cette chaîne de valeur, il ne faudrait pas oublier les chefs d’entreprises qui ont continué à accompagner leurs clients quand le plan transport était désorganisé, quand les retours n’étaient plus là et la mutualisation impossible ; quand les coûts augmentaient, quand les équipes s’inquiétaient, le tout dans l’incertitude des lendemains, et, la plupart du temps, sans contrepartie. Fermer et attendre que la tempête passe aurait certainement été plus facile et certainement moins risqué. Mais les 2/3 des entreprises ont préféré ne pas lâcher leurs clients dans la tempête, même si ce choix sera peut-être fatal dans quelques mois.

La chaîne et le réseau

Il est apparu à l’occasion de cette crise que la résilience de notre économie tient dans une bonne mesure à la qualité et à la densité du tissu des PME de transport. Ainsi, pour reprendre une célèbre fable de La Fontaine, si les chaînes logistiques se sont parfois rompues, le réseau des transporteurs a souffert mais il a tenu contre vents et marées. Sans les entreprises de transport, le confinement n’aurait pas été possible, tout comme il n’a pas été possible de fournir des masques aux Français, faute de stock et de capacité de production en France en raison de choix politiques inconséquents. Si le secteur du transport et de la logistique ressort éprouvé et gravement impacté par cette crise, il n’avait jamais eu l’occasion de faire une telle démonstration de son rôle vitale dans la vie quotidienne des Français.

Pour autant, cette crise historique, en accélérant l’évolution des habitudes de consommation et des organisations économiques et logistique, pourrait avoir des conséquences importantes en renforçant sensiblement les incitations pour les transporteurs à répondre rapidement aux 2 grands défis du secteur : l’information et l’énergie.

Ces deux mouvements de fonds sont au cœur du développement d’un écosystème résilient du transport et de la logistique même si, de manière conjoncturelle, certains peuvent en douter. Nous entrons, en effet, dans une période de crise aigüe. Dans les prochains mois, l’investissement ne sera pas la priorité d’autant que le prix du pétrole va rester bas quelque temps, que les prix de transport vont être orientés à la baisse en raison des surcapacités et que les tensions sur le marché du travail vont s’atténuer sérieusement. Pourtant, c’est bien dans les 18 mois à venir que le prochain cycle de croissance se prépare.

On n’arrête pas un mouvement

Concernant l’information, la digitalisation est déjà présente dans de nombreux processus et les transporteurs ne la découvrent pas. Toutefois, avec la livraison sans contact, l’augmentation de e-commerce, la demande de traçabilité, la mise en place de schémas logistiques résilients, ce mouvement devrait encore s’accélérer. En particulier, si le télétravail n’est pas encore d’actualité pour les conducteurs, il a fait son apparition à l’occasion de la crise et il en restera quelque chose, y compris dans les processus internes à l’entreprise. Longtemps tournée vers le besoin du client et de l’exploitation, la digitalisation est sur le point de « contaminer » tous les actes quotidiens de l’entreprise : formalisme légal (signature des contrats), facturation, formation interne, communication, etc., avec de nouvelles opportunités et de nouveaux risques. En particulier, le rôle des plateformes d’intermédiation va se reposer (voir ci-dessous). Concernant l’énergie, les transporteurs ont déjà pris le virage de la transition vers un mix énergétique qui reste incertain. Mais là encore, le rythme va s’accélérer face à une demande sociale renforcée autour des thèmes de l’économie circulaire et du respect de la santé publique. Sinon, comment justifier les sacrifices économiques consentis pour sauver 25 000 vies du Covid-19 alors même que la pollution est responsable chaque année de 2 fois plus de morts en France ! Sans parler du changement climatique. Toutes les formes de mobilités vont être impactées et le transport de marchandises en premier lieu. Une dynamique est engagée depuis quelques années et cette crise pourrait créer les conditions d’une nouvelle impulsion avec, à la clé, l’opportunité donnée aux transporteurs d’imposer un nouveau modèle dans la distribution des carburants alternatifs. Si la résilience passe par la maîtrise de ses intrants, comment les transporteurs pourraient-ils convertir leurs flottes sans s’assurer la maîtrise de ces nouveaux carburants ? D’autant que des solutions existent.

Qui veut la paix prépare la guerre

En fonction des réponses qu’il apportera à ces grands défis, le secteur du transport et de la logistique peut renforcer sa contribution dans l’amélioration de la résilience de notre économie. Pour ce faire, il faudrait que deux conditions soient remplies. Premièrement, il est plus que temps que le client paie enfin le « vrai » prix du transport, c’est-à-dire le prix complet de la prestation externalités incluses (congestion, pollution, gaz à effet de serre). Alors, nous assisterons, d’une part, à une régionalisation et un rééquilibrage de la production, et d’autre part, à une détente sur les temps de livraison permettant une optimisation des flux en lien avec une réduction des externalités.

Deuxièmement, il est indispensable que les acteurs de la chaîne logistique, et singulièrement les chargeurs, parient davantage sur la coopération directe que sur la mise en concurrence tous azimuts. En effet, si la coopération et la collaboration passent toujours davantage par des intermédiaires qui captent les surplus de la mutualisation, qu’il s’agisse de plateformes digitales ou de 4PL, alors les transporteurs n’auront pas les moyens de contribuer à la reconstruction d’une économie résiliente. Ces intermédiaires, en dépossédant les « camionneurs » de leur fonds de commerce, fragilisent le système économique plus qu’ils ne le renforcent.

Il appartient à chaque entreprise de construire son avenir et de se préparer à faire face à ces deux évolutions. Les choix économiques sont aussi des choix politiques. Les occasions sont nombreuses et concrètes : lors d’un renouvellement de véhicule pour passer à une nouvelle énergie, lors de la mise en place d’un nouveau système informatique ou d’une bourse de fret, en investissant dans la formation, à l’heure de signer avec un nouveau client, etc.

Mais il faut aussi espérer que des décisions politiques ou réglementaires fortes soient prises au niveau national comme au niveau local pour accompagner cette reconstruction du secteur.

Car en effet, si rien n’est fait en ce sens, on peut s’attendre à ce que le monde d’après soit à peu près identique à celui du début du siècle, à un détail près : la prochaine crise risque de ne pas trouver face à elle un bataillon de transporteurs en capacité de faire front. Ce sera alors une toute autre histoire : si en 2020 nos dirigeants politiques ont pu choisir entre sauver des vies ou sacrifier l’économie, ils risquent bien de ne plus avoir le choix s’ils ne donnent pas aux secteurs du transports et de la logistique les moyens de se tenir debout.”

Tribune • La supply chain d’après

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