Anne-Marie Idrac : Ce qui est terrible, c’est que c’est le second choc en moins de deux mois. Il y a eu – et nous n’en sommes pas encore totalement sortis – les conséquences liées aux blocages des ports, et nous devons à présent composer avec cette seconde lame qui, parfois, touche les mêmes entreprises deux fois de suite. En tant que présidente de France logistique, je n’ai pas vocation à intervenir directement mais, si les associations membres de France logistique le souhaitaient, je serais impliquée dans les actions à conduire. Pour l’heure, ce sont les fédérations qui sont appelées à se mobiliser avec les pouvoirs locaux et le gouvernement.
A.M. I. : Je crois qu’effectivement cette crise va accentuer certains phénomènes que l’on commençait à voir apparaître de relocalisation ou de régionalisation des supply chains puisque les entreprises sont à la fois touchées du point de vue de l’offre – certains produits d’importation ne sont plus disponibles dans un contexte de stocks très courts – et du point de vue de la demande – en raison de la réduction générale de l’activité. D’autant plus qu’au-delà des consignes gouvernementales, il y a pas mal de mouvements erratiques chez les clients, déstabilisants pour les activités de la chaîne logistique.
A.M. I. : Le rapport Hémar/Daher pointait le fait que, parmi les raisons du manque de compétitivité de notre filière par rapport à nos voisins allemands, belges et néerlandais, figure le morcellement de la supply chain, son atomisation et l’absence de travail en équipe de France entre les différents acteurs de la filière.
De ce rapport est née la création de France logistique, en janvier dernier, avec le concours de six fédérations et associations*. Il faut ajouter, en miroir, la demande du Premier ministre, aux différents ministères, de se coordonner également sous l’égide du directeur général des transports et de celui des entreprises. C’est cette double coordination qui, nous l’espérons, pourrait contribuer à réduire ce manque de compétitivité.
A.M. I. : France logistique a vocation à travailler de manière transverse et collective. Nous avons deux mots d’ordre : l’efficacité pour faire aboutir les projets, et la subsidiarité pour ne pas nous substituer aux acteurs existants. Nous avons limité ces sujets transverses à cinq chapitres, et pour chacun nous désignons un pilote : le développement durable en est un. Ainsi, si je suis invitée par Mme Borne [la ministre de l’Écologie, Ndlr] à parler de la décarbonation des transports, je me présente avec la FNTR, en première ligne pour le transport routier de marchandises. On parle également massification ou sujets afférents aux entrepôts. Le deuxième chapitre concerne l’attractivité métiers de la filière. Ce qui me frappe, c’est que cela part un peu dans tous les sens.
A.M. I. : Je pense aux formations ou aux campagnes de recrutement et à la perte d’efficacité qui les caractérisent. Pour illustrer notre méthode de travail, sachez que nous avons demandé à l’AFT de nous présenter des plans d’action sur l’attractivité et sur des plans d’évolution des compétences pour l’année prochaine. Le troisième sujet est lié aux questions de logistique urbaine, dans l’actualité en ce moment à l’approche des élections municipales. Force est de constater que cela part un peu dans tous les sens également, souvent en contradiction avec la nécessité de revitaliser les centres-villes et les territoires. Il est, par conséquent, très difficile pour les entreprises de s’ajuster à des réglementations sur les horaires de livraison, les espaces dédiés, les aires d’entreposage ou de stationnement… Nous pensons qu’il serait judicieux dans un premier temps de rassembler les données liées aux flux logistiques, sans doute dans un cadre régional. France logistique est prête à s’investir dans un tel projet, avec le souci de faire la part des choses entre les données qui peuvent être partagées et celles qui sont du domaine de la propriété industrielle. Le quatrième point relève de l’aménagement du territoire. Il s’agit de faire en sorte que dans les contrats de plan État-Région, il y ait des investissements logistiques pertinents et que, dans le cadre des schémas directeurs d’aménagement du territoire régional, on n’oublie pas la logistique. L’idée circule en ce moment que l’on pourrait utiliser les friches industrielles. Pourquoi pas ? Mais, dans beaucoup d’endroits, les dépollutions sont coûteuses et, par ailleurs, rien ne garantit que ces friches industrielles soient implantées dans des endroits propices à la massification.
Le cinquième sujet de notre feuille de route relève des questions de compétitivité, sous le prisme fiscal et réglementaire. La fiscalité foncière des entrepôts constitue l’un des sujets prioritaires du moment à cet égard.
A.M. I. : Je suis énormément sollicitée par les entreprises, les fédérations, les collectivités locales, les pouvoirs publics… France logistique va prochainement se doter d’un délégué général permanent. Nous devons garder notre cap sur des sujets concrets qui nécessitent que nous fassions aboutir des solutions structurantes. Ce qui me frappe, c’est la capacité à travailler ensemble des six associations et fédérations constitutives, et aussi des diverses administrations.
A.M. I. : Nous travaillons à la tenue d’un Cilog. Je n’ai pas de date mais tout semble dans les tuyaux pour qu’il y en ait un après les municipales avec, nous l’espérons, la communication de premières décisions intéressantes pour la filière. Peut-être allons nous assister à une prise de conscience au plus haut niveau que la logistique – et en premier lieu le TRM – c’est utile. Tous mes interlocuteurs ministériels me disent « nous voulons redonner vie aux territoires ». Je leur réponds que la logistique – et le TRM – c’est le premier outil pour y parvenir.
A.M. I. : Je pense que la question de la reconnaissance est extrêmement importante avec ces 10 points de PIB et les 1,8 million de salariés que pèse la filière. La logistique est au cœur de toutes les mutations de la société. Je ne dis pas que la création de France logistique va faire passer la filière de l’ombre à la lumière, mais je voudrais dire que nous sommes mobilisés pour apporter notre contribution pour une meilleure perception par les pouvoirs publics et par l’opinion.
A.M. I. : Nous allons être intégrés dans ce que les ministères appellent le pacte productif, qui a pour ambition de redynamiser l’économie française par filière. Il y a beaucoup d’attentes à notre égard de la part des filières industrielles : des attentes de massification et d’efficacité – nous savons le faire – et des attentes de pression sur les prix, ce qui nous va moins bien ! Je trouve intéressant que l’on parle de filière et c’est délibérément que j’ai souhaité que nous adoptions la marque France logistique. En ce moment, dans beaucoup de secteurs de l’économie française, on commence à se dire : « Il serait temps de s’organiser en équipes, transverses, de se concentrer sur les vrais sujets dans lesquels compétitivité et développement durable vont ensemble. » Je trouve très bien que nous soyons partie intégrante de ce monde qui bouge. Nous devons tenter de nous hisser au niveau que nous méritons.
A.M. I. : Oui. En tout cas une organisation qui nous permet d’avoir, au bout du bout, un guichet unique. On pense aux services locaux de l’État, aux Dreal, aux services douaniers, etc. Au niveau des décisions stratégiques, bien entendu, c’est Matignon qui rend les arbitrages entre Bercy, les Transports, le Développement durable. Je ne voudrais pas m’emballer mais je trouve qu’il y a quelque chose qui va dans le bon sens : France logistique a été mise sur pied dans un délai court et la feuille de route a été validée très rapidement.
A.M. I. : Oui, ce sera une étape très importante.
A.M. I. : Ce sont des métiers aussi attachants que dans mon souvenir. Je suis allé à Solutrans et j’ai été impressionnée par la modernité de ce secteur. Je pensais au départ que le numérique ferait partie de nos enjeux transverses. Ce n’est en fait pas nécessaire car la digitalisation du secteur est déjà très bien engagée quoique, évidemment, différemment selon la taille des entreprises. Je suis également impressionnée par les progrès spectaculaires qui ont été accomplis dans les motorisations des camions ; j’ai souligné récemment devant la ministre de l’Écologie et le secrétaire d’État aux Transports les 5 % d’émissions attribués à la filière, et pour l’avenir notre besoin d’y voir clair sur les offres technologiques des constructeurs. En revanche, je n’avais pas conscience du risque de contournement de la France, aggravé par l’actualité dans les ports et ses conséquences sur la filière transport ; à la lecture des flux mondiaux et européens, il convient de rester vigilants sur la place de la France. Nous manquons un peu de recherche (universités, laboratoires, etc.), d’apports académiques. Nous allons, à ce titre, mettre en place un conseil scientifique, pour tenter de booster la recherche.
Anne-Marie Idrac est une dirigeante d’entreprises et femme politique française. Elle a été notamment secrétaire d’État aux Transports de 1995 à 1997, députée des Yvelines de 1997 à 2002, présidente de la RATP, puis de la SNCF, secrétaire d’État chargée du Commerce extérieur auprès de la ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi dans le second gouvernement de François Fillon de 2008 à 2010.
* Les six fédérations membres de France logistique sont la FNTR, TLF, OTRE, Aslog, Afilog, AUTF.