Les règles européennes actuelles sur les poids et dimensions prescrivent des valeurs maximales pour les véhicules industriels. Elles déterminent « leurs longueur, largeur et hauteur, les charges à l’essieu et masses, ou encore les équipements de sécurité et la couleur des éléments de signalisation », rappelle Bernard Jacob de l’Université Gustave Eiffel (ex-Ifsttar). En l’état, le chercheur estime que ces normes réglementaires « ont pour conséquence de brider l’innovation. La performance et l’efficacité des poids lourds ne sont pas valorisées et sont sous-optimisées ». D’autres inconvénients sont identifiés, tels qu’« un faible aérodynamisme, en raison de faces verticales, une limite de poids qui handicape les motorisations alternatives, comme l’électrique, ou réduit la taille de certains véhicules (BTP, par exemple). Ceux-ci sont, de ce fait, plus agressifs pour les infrastructures, avec une mauvaise visibilité et des angles morts », indique Bernard Jacob. Les limites fixées par ces valeurs prescriptives sont en outre à l’origine de régimes dérogatoires « complexes, peu lisibles et lourds à mettre en œuvre comme dans le cas des transports exceptionnels ». Elles contribuent aussi « à la multiplicité de réglementations non harmonisées en Europe comme en matière de PTAC ». Plus grave enfin, cette approche accentuerait « l’inadéquation des véhicules aux infrastructures » et « empêcherait de répondre efficacement à la demande en obligeant à augmenter le parc PL. Un impact qui accentue la pénurie de conducteurs, les congestions, les coûts et les émissions polluantes ».
Adoptées en Australie, au Canada, en Afrique du Sud ou au Mexique, d’autres approches existent pour définir les poids et dimensions des camions. L’une d’elles appelée méthode « PBS » (performance based standards) repose sur une définition des critères de performance du véhicule et des infrastructures. Pour les véhicules sont étudiés les critères de sécurité autour de la manœuvrabilité et la stabilité (en virage, motricité, freinage, renversement). Pour les infrastructures telles que les chaussées, ponts et leurs équipements de sécurité, l’approche PBS consiste à étudier les impacts mécaniques et leur évolution dans le temps liés au passage des véhicules selon leurs configuration et poids.
Dans une seconde étape, cette démarche consiste à réaliser des tests de performance en ajustant les caractéristiques du véhicule optimisé en matière de poids à l’essieu et de dimensions avec les caractéristiques mécaniques des infrastructures. La mise en œuvre en conditions réelles de cette approche a démontré par exemple les avantages du tridem directeur dans les virages et ronds-points, de l’allongement des ensembles routiers associé à une meilleure répartition des charges à l’essieu lors de la traversée des ponts, ou encore la stabilité d’un dolly avec sellette au lieu d’une barre d’attelage.
Dans les pays où cette approche est déployée, les silhouettes des poids lourds sont optimisées comme en témoigne l’utilisation d’ensembles A-Double permettant de transporter deux conteneurs 40 pieds ou deux remorques standards à l’aide d’un dolly et une charge à l’essieu de 6 à 7 t pour un PTAC jusqu’à 75 t. « Les gains prouvés sont une meilleure productivité et une réduction de l’ordre de 25 % des émissions de CO2. Cette approche démontre qu’il n’est pas nécessaire de renforcer les infrastructures mais de réguler les itinéraires. » D’où la nécessité de créer des programmes d’accès intelligents aux infrastructures (SIAP) présentés par Nicolas Hautière, de l’Université Gustave Eiffel. « Ces programmes d’accès intelligents aux infrastructures visent à garantir que les véhicules lourds respectent les conditions d’accès aux infrastructures », explique le chercheur. Leur déploiement suppose « une législation fournissant des données de qualité suffisante, une certification des fournisseurs de ces services et une surveillance permanente du SIAP et de ses règles par un tiers de confiance neutre ». Lequel est essentiel au dispositif car l’irrespect des conditions d’accès doit générer automatiquement des rapports de non-conformité (voire des sanctions) quand un véhicule est détecté sur une infrastructure inadaptée à ses poids et dimensions.
En Australie, où cette approche est opérationnelle, son fonctionnement est assuré par la société TCA (Transport Certification Australia) qui joue le rôle de tiers de confiance et derégulateur du système. En qualité de « gendarme », il est en relation permanente avec les gestionnaires d’infrastructures, les transporteurs et les fournisseurs de programmes d’accès intelligents aux infrastructures. Cette démarche a d’autres avantages. « Elle permet de tirer un meilleur usage des infrastructures existantes et de prolonger leur durée de vie, explique Nicolas Hautière. Elle autorise une réingénierie ou une adaptation “soutenable” des infrastructures routières et de leurs équipements. » En fonction des caractéristiques mécaniques des infrastructures et de leur suivi dans le temps, elle peut autoriser de nouveaux usages sur ces dernières comme par exemple la pose d’une éolienne entre les piliers d’un pont suspendu.
Les avancées des approches PBS et SIAP commencent à être reconnues en Europe. En témoigne l’étude sur l’évaluation de l’impact des véhicules sur les chaussées et les ponts, menée dans le cadre du projet CEDR Falcon par l’Université Gustave Eiffel. Achevée en 2018, elle a démontré qu’un modèle de camion peut endommager un type d’infrastructure par rapport à un autre. Les approches PBS sont également perceptibles dans les réglementations européennes, comme la directive 2015/719 autorisant les constructeurs de véhicules industriels, d’ici à 2021, à équiper leurs modèles de cabines plus profilées et plus aérodynamiques avec la possibilité de dépasser de 0,9 m la longueur maximale hors-tout réglementaire. Cette possibilité ne doit pas servir à augmenter la charge ou le volume utile du véhicule. Un autre exemple de prise en compte de l’approche par critères de performance concerne les matériels électriques bénéficiant d’une dérogation d’une tonne sur leur PTAC.
Au-delà, plusieurs expérimentations de véhicules « XXL » sont en cours en Europe à l’image de celles menées par XPO Logistics sur la péninsule ibérique. En Espagne, le transporteur expérimente depuis quelques jours un ensemble routier de 31,75 m en conditions réelles de circulation. Avec le concours d’industriels, de l’État espagnol et d’autres transporteurs, cet ensemble baptisé « Duo Trailer » est composé d’un tracteur et de deux remorques standards. Il est exploité sur un trajet quotidien entre ses centres de distribution de Madrid et de Barcelone. Dans l’attente des résultats de ce pilote, le Duo Trailer est susceptible de réduire de 25 à 30 % la consommation et les émissions associées par rapport à la même marchandise transportée par des camions traditionnels. XPO n’en est pas à son premier essai puisque, sous couvert d’autorisations délivrées par les autorités espagnoles et portugaises, le transporteur exploite depuis fin mai 2019 des services en camions longs de 25,25 m et d’un poids maximal de 60 t. Avec plusieurs rotations par semaine, le premier relie la Galice, en Espagne, au Maroc, chargé de matières premières dans le sens nord-sud et de textiles au retour. Le second service, opéré au Portugal, est destiné aux transports de la société de boissons Sociedade Central de Cervejas entre Vialonga, Vacariça et ses clients situés à Porto, Azambuja et en Algarve. XPO exploite 15 ensembles « 25,25 » affichant une réduction des émissions de CO2 jusqu’à 20 % grâce à leur massification et à l’optimisation de leurs consommations.