Il ne faudra pas compter sur l’automatisation des camions pour absorber la pénurie de conducteurs. [En revanche,] l’automatisation progressive pourrait permettre de rendre les métiers du secteur plus attractifs et toujours plus sûrs », souligne Jean-Yves Astouin, président de la FNTR PACA, qui a coprésidé les travaux du rapport sur l’impact du véhicule autonome sur l’emploi, les compétences et la formation dans le secteur du transport routier de marchandises. Limites technologiques, juridiques, assurantielles… Le document qui avait été remis à Solutrans fin novembre à Anne-Marie Idrac, haute responsable pour la stratégie nationale de développement des véhicules autonomes, démontre que l’automatisation totale (niveau 5, ne nécessitant aucune intervention humaine) ne sera pas déployée avant plusieurs années. « Les conducteurs routiers ont encore de beaux jours devant eux », ajoute Jean-Yves Astouin. Un message d’autant plus important à faire passer alors même que la profession est en tension sur l’emploi, avec une pyramide des âges qui inscrit cette pénurie dans la durée, appuie la FNTR.
Ce rapport répond à la volonté du gouvernement de mettre en place une stratégie pour le développement des véhicules autonomes. Dans ce cadre, l’une des actions vise à analyser l’impact du développement du véhicule autonome sur les besoins en emplois et en compétences. Car, comme le démontre le rapport, pour que le développement des véhicules automatisés se produise avec succès, les conducteurs devront nécessairement s’approprier les nouvelles technologies. Cette maîtrise pourrait leur permettre d’y percevoir un avantage social, une sécurité de l’emploi et une montée en compétences. Le groupe de travail a publié une série de recommandations pour assurer la transition en se basant sur le postulat minimum que le renouvellement de la flotte de véhicules pourrait être symétrique au renouvellement des effectifs et qu’une génération au moins s’écoulerait entre le niveau 1 (aucune automatisation) et les niveaux 4 (conduite automatique conditionnée) et 5 (automatisation totale). Il a cherché à identifier les impacts directs sur le métier de conducteur routier mais aussi indirects sur d’autres métiers, comme celui des exploitants. Les nouvelles compétences ou leurs pertes, qui pourraient aboutir à la création de nouveaux métiers ou à la disparition d’autres, ont également été étudiées. Cette étude est « une première étape, souligne le groupe de travail, et devra être approfondie au fur et à mesure de la montée en puissance du niveau d’automatisation des véhicules ». S’il reste difficile d’évaluer quantitativement l’impact du véhicule industriel automatisé sur l’emploi, la montée en puissance de l’automatisation devra s’accompagner d’une adaptation réglementaire, sociale et pédagogique. Selon le rapport, « le travail devra se faire de façon continue en présence de tous les acteurs de la filière, constructeurs, industriels, utilisateurs, représentants du monde de l’éducation et de la formation, représentants des salariés et partenaires sociaux ou encore législateurs. Les États auront un rôle important à jouer dans cet accompagnement et dans la mise en œuvre et la coordination de travaux collectifs au sein de plateformes collectives dédiées. […] Il faudra travailler dans un cadre européen a minima afin d’accompagner de façon cohérente les acteurs, sans négliger les systèmes éducatifs et les organismes de formations spécialisés seront concernés au premier chef. » Pour que les collaborateurs soient formés aux besoins des entreprises, ces organismes devront détenir en amont les moyens nécessaires à cette adaptation des programmes pédagogiques et de formation.
Le groupe de travail n’a retenu qu’un scénario d’automatisation de niveau 4 ou 5, seuls niveaux où le conducteur est dispensé, totalement ou partiellement, de phase de conduite. Dans le cas du niveau 4, de nombreuses adaptations seraient à prévoir du fait du passage du mode délégation complète de conduite à partielle selon les environnements ou les infrastructures. Si le métier de conducteur routier de marchandises évolue considérablement à ce niveau, avec un impact important sur certaines tâches annexes liées à la conduite ou à l’évolution technologique, les besoins de compétences et donc de formation restent nécessaires puisque le conducteur doit toujours être capable de conduire en mode manuel. Des inconnues limitent néanmoins les prévisions pour ce scénario, comme les évolutions technologiques complémentaires que les véhicules et l’environnement (infrastructures, entrepôts 4.0, etc.). Concernant le niveau 5 d’automatisation, on changerait de métier, puisque les phases de conduite, qui forment la grande partie du temps de travail du conducteur, disparaissent. Les autres tâches liées à la modification et à la vérification des documents ou de la marchandise et son arrimage, à la vérification ou l’entretien du véhicule, pourraient alors être affectées à d’autres salariés dont les compétences seraient étendues et complétées ; ou un nouveau métier apparaîtrait et serait notamment dédié à la mise en fonction et au suivi d’un véhicule de fret automatisé.
Le métier d’exploitant, stratégique dans l’entreprise, peut aujourd’hui s’exercer dans les petites entreprises avec peu d’outils et beaucoup de capacité d’organisation, et dans les plus grosses entreprises avec des outils logiciels TMS. Il sera fortement impacté par l’arrivée de nouvelles technologies, logiciels et algorithmes développés ces dernières années et qui intègrent de plus en plus de fonctions d’organisation. Ces technologies feront évoluer le rôle de l’exploitant avec la supervision des outils. L’impact de l’automatisation des véhicules sera différent entre les niveaux 4 et 5. Aujourd’hui, l’exploitant est en contact avec le conducteur et le client. S’il n’a plus de planning de conducteurs à gérer avec les temps de repos obligatoire, il devra néanmoins affecter des moyens de transport pour réaliser une prestation attendue, préparer et superviser sa réalisation… Le contact avec le client, avec la dématérialisation des ordres de transport et les logiciels d’organisation, l’amènerait à une relation commerciale et servicielle différente.
Son rôle s’apparenterait davantage à celui d’un responsable de production qui organise, planifie et suit la production pour atteindre les objectifs définis, avec une contribution à l’amélioration de la productivité. Les besoins de compétences en ingénierie seraient alors plus importants.
Comment les conducteurs appréhendent-ils l’arrivée des camions autonomes ? L’organisme de formation Aftral a recueilli les témoignages de 200 conducteurs sur leur acceptabilité de l’automatisation du poids lourd. Si la plupart connaissent déjà les nouvelles technologies, beaucoup d’entre eux ne les utilisent pas au quotidien, une partie du parc roulant actuel n’en étant pas équipée. De manière générale, les conducteurs d’aujourd’hui n’apparaissent pas hostiles à l’évolution technologique. Les réactions négatives concernent majoritairement les craintes liées à l’adaptation de l’humain à la machine, comme la fiabilité du dispositif ou une attention moindre de la part du conducteur. En revanche, ils voient d’un bon oeil les apports en matière de confort et de sécurité que peut leur apporter l’automatisation des véhicules (davantage de sécurité lors des trajets, moins de fatigue). Leurs attentes principales portent surtout sur un besoin de sécurisation juridique et d’adaptation de l’environnement et des infrastructures.