Jean-Baptiste Djebbari : Le transport routier, qui représente aujourd’hui près de 88 % du transport terrestre hors oléoducs, est effectivement absolument essentiel à l’activité économique de notre pays. Il présente d’indéniables atouts en termes de souplesse dans les réponses aux besoins de transport et d’irrigation des territoires. Je ne conçois pas les modes de transport en opposition entre eux mais comme complémentaires dans les réponses qu’ils apportent à notre économie et à la population. Il est vrai que le transport routier a une image souvent négative pour le grand public mais celle-ci doit être battue en brèche. Je salue notamment les efforts de la profession en faveur de la transition énergétique et les progrès considérables qu’elle a accomplis en ce domaine.
J.-B. D. : L’État accompagne déjà cette transition écologique, à travers notamment le dispositif fiscal de suramortissement pouvant aller jusqu’à 60 %, ce qui permet d’atténuer les surcoûts d’investissement dans les véhicules plus propres, électriques ou utilisant exclusivement comme énergie le gaz naturel, le biométhane, le carburant ED95 ou l’hydrogène. On peut également rappeler les engagements pris sur le maintien d’un fort avantage fiscal sur la TICPE applicable au GNV jusqu’en 2022, afin de favoriser l’acquisition de véhicules moins émissifs.
Je tiens à souligner la mobilisation des organisations professionnelles auprès de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), avec le soutien du ministère de la Transition écologique, à travers le programme Engagements volontaires pour l’environnement (EVE). Ce programme a pour ambition de sensibiliser, former, accompagner les entreprises du secteur du transport et de la logistique, dans une approche globale et cohérente, pour améliorer leur performance énergétique et environnementale et réduire les émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques.
Cependant, et nous le savons tous, l’urgence écologique et nos concitoyens nous imposent d’aller plus loin, et je souscris totalement à la proposition des organisations professionnelles d’élaborer un contrat de transition énergétique afin de définir des engagements réciproques de l’État et de la profession, tant en termes de progression des pratiques de développement économique durable qu’en termes d’engagement de ne pas augmenter la fiscalité propre au secteur d’ici à 2022. Je souhaite que ce contrat puisse rapidement se concrétiser.
J.-B. D. : Le gouvernement est parfaitement conscient du contexte de forte concurrence qui règne dans le secteur du transport routier et de la nécessité de renforcer la régulation sociale du secteur à l’échelle de l’Union européenne. Dans ce cadre, le gouvernement est totalement mobilisé avec ses partenaires de l’Alliance du routier pour faire aboutir rapidement les négociations européennes en cours sur le paquet Mobilité.
La révision de cet ensemble de textes, qui encadre le transport routier dans ses dimensions sociales, et de l’accès à la profession et au marché est une véritable opportunité pour rétablir les conditions d’une concurrence saine et équilibrée dans le secteur. Les principaux axes défendus par le gouvernement français sont la lutte contre la concurrence déloyale, contre le dumping social et pour l’amélioration des conditions de travail et de sécurité des conducteurs en s’appuyant sur un renforcement des règles et des capacités de contrôle. En décembre dernier, des avancées majeures ont été obtenues au niveau du Conseil des ministres des transports comme l’obligation de respecter une période de carence entre deux périodes de cabotage sur le territoire d’un État membre, l’application spécifique des règles du détachement au transport routier, l’interdiction du repos hebdomadaire en cabine et l’obligation des employeurs d’organiser un retour régulier des conducteurs « at home », l’application de règles d’accès à la profession pour les exploitants de véhicules utilitaires légers (VUL), la généralisation rapide d’un nouveau tachygraphe numérique qui enregistrera les passages de frontières pour contrôler les règles sociales mais aussi le détachement et le cabotage. Les négociations se poursuivent actuellement à travers ce que l’on appelle les trilogues interinstitutionnels, entre le Conseil, le Parlement et la Commission européenne. S’il ne faut pas nier les résistances de certains pays de l’Union, les autorités françaises avec les pays de l’Alliance du routier, qu’elles ont contribué à créer, sont très actives pour qu’un compromis se concrétise dans les prochaines semaines, applicable rapidement au bénéfice d’une concurrence plus équilibrée et de règles sociales qui soient un progrès pour les conducteurs.
J.-B. D. : Le gouvernement souhaite apporter des réponses concrètes aux préoccupations du secteur et ne pas le mettre en difficulté. Il n’ignore pas sa fragilité et les faibles taux de rentabilité du pavillon français. La discussion sur le financement des infrastructures a été engagée lors des travaux préparatoires au projet de loi d’orientation des mobilités et poursuivie sur la base des pistes proposées par le Conseil d’orientation des infrastructures.
Après plusieurs rencontres au cours desquelles ont été abordées différentes hypothèses de financement, le gouvernement a choisi, outre la contribution renforcée du secteur de l’aérien, la diminution de 2 cts du remboursement de la TICPE. Il s’est parallèlement engagé à ce qu’il n’y ait pas d’autre augmentation du gazole professionnel jusqu’à la fin de la mandature. Cette programmation non seulement inscrit le réseau routier et sa qualité dans ses priorités mais réaffirme que les contributions déjà assurées et acceptées par les usagers de la route sont fléchées au bon niveau, à la politique d’investissement de l’État dans les transports. Le secteur du transport routier de marchandises est l’un des principaux utilisateurs des infrastructures routières, notamment des routes nationales non concédées, c’est pourquoi il est légitime de le faire contribuer davantage au financement de son entretien. La route paye la route.
Toutefois, le gouvernement est conscient de la pression économique qui repose sur les entreprises du transport routier de marchandises. C’est pourquoi il a été choisi de faire contribuer aux deux tiers des recettes supplémentaires nécessaires le secteur aérien pour ne pas faire peser sur le seul transport routier ce nouvel effort. Des mesures d’accompagnement ont été arrêtées. Un mécanisme de transparence sur les factures est prévu dans le cadre du projet de loi de finances 2020 pour afficher clairement l’impact des 2 cts affectés au financement des infrastructures afin de permettre sa répercussion dans la relation commerciale entre les transporteurs et leurs clients. Avec Gérald Darmanin, nous sommes également convenus de travailler à des mesures en faveur de la trésorerie des entreprises. Nous avons prévu de lancer rapidement une mission en vue de réduire l’avance de trésorerie liée au mécanisme actuel de remboursement du gazole professionnel, ainsi que d’étudier les modalités d’un paiement direct à la pompe du gazole au prix professionnel pour les motorisations les plus vertes. Les pistes élaborées par l’administration des douanes en lien avec les professionnels vont être approfondies en vue de leur concrétisation.
Sur un autre sujet, un mécanisme d’indexation concerté avec les professionnels du transport frigorifique a été prévu dans le projet de loi de finances 2020 pour accompagner la hausse de TICPE sur le gazole non routier utilisé dans les groupes frigorifiques.
J.-B. D. : J’ai également souhaité que les évolutions portées par d’autres ministres fassent l’objet de discussions approfondies avec les professionnels et j’ai organisé ces débats pour répondre aux inquiétudes du secteur. Je tiens à souligner que la déduction forfaitaire spécifique (DFS) n’est pas supprimée : il s’agit uniquement de réduire ses effets indirects sur les allégements généraux de charges, sans que cela pèse sur les salariés.
La réforme de l’assurance chômage, et en particulier le mécanisme de taxation des contrats courts, fait l’objet d’adaptations aux spécificités du secteur du déménagement qui a recours aux contrats courts de façon importante en lien avec l’activité mais qui a négocié un accord avec des garanties pour promouvoir des formes d’emploi plus pérennes. Les échanges avec la profession ont permis de justifier d’un effet global neutre du dispositif de bonus-malus.
Les professionnels du transport seront bien entendu associés aux travaux sur la fiscalité des entrepôts logistiques.
Cet ensemble de mesures d’adaptation et d’accompagnement témoigne de l’attention particulière que le gouvernement porte au secteur du transport routier.
J.-B. D. : Je tiens à saluer la responsabilité des organisations professionnelles dans le cadre de nos discussions et leur attitude constructive à travers les propositions qu’elles ont formulées. Un travail de fond a été réalisé avec les services du ministère ainsi qu’avec celui de l’Action et des Comptes publics pour analyser ces propositions. Les dernières alternatives élaborées par les organisations professionnelles dont je partage les objectifs au fond, ne présentaient toutefois pas des garanties juridiques suffisantes en matière fiscale.
Ainsi, dans le cadre du PLF 2020, le gouvernement a confirmé la hausse au 1er janvier 2020 de 2 cts€/l du gazole professionnel mais accompagnée d’un mécanisme de transparence en pied de facture. Par ailleurs, nous nous sommes engagés à ne pas l’augmenter à nouveau d’ici la fin du quinquennat. Je ne reviens pas sur l’ensemble des dispositions en faveur du secteur que j’ai pu indiquer depuis le début de cet entretien.
J.-B. D. : Cette redevance exclurait de fait une contribution des poids lourds étrangers en transit. Elle soulèverait également d’importantes difficultés s’agissant du contrôle des chargeurs établis à l’étranger et non identifiés à la TVA en France pour les prestations de transport qu’ils achètent et qui sont réalisées totalement ou partiellement en France. Dans les faits, il est probable que ces opérateurs échapperaient à l’impôt, conduisant ainsi à des distorsions importantes sur le marché intérieur. Il convient d’observer que cette taxe frappe des prestations de service et se distingue donc des taxes frappant les produits pour lesquels seules sont taxées les ventes intervenant sur le territoire national, lesquelles impliquent une obligation d’identification à la TVA en France.
Par ailleurs, en l’absence d’établissement en France, il est difficile d’imposer une mesure à une personne étrangère, compte tenu des difficultés d’exécuter toute sanction.
J.-B. D. : Les pouvoirs publics ont pleinement conscience de l’importance du secteur du transport routier et de la nécessité de travailler à son attractivité. Ce travail sur l’attractivité du secteur et sur son avenir doit être mené par les acteurs du secteur du transport routier, notamment les partenaires sociaux, accompagnés par l’État. Face à ce constat, l’État soutient le développement du secteur par plusieurs actions essentielles. Tout d’abord au niveau européen, où la France est fortement engagée pour améliorer les conditions de travail des conducteurs et assurer des conditions de concurrence équitable. Comme je l’ai déjà évoqué, dans le cadre des négociations sur le paquet Mobilité, la France, avec ses partenaires de l’Alliance du routier, est favorable à ce que des règles strictes de temps de conduite et de repos soient maintenues, au bénéfice des conducteurs et de la sécurité. Ensuite, au niveau national, pour résoudre les difficultés de recrutement des entreprises, favoriser le recrutement et développer l’emploi dans le secteur, l’État mène des actions sur plusieurs fronts. J’ai, par exemple, participé le 7 novembre à un Forum emploi transport et logistique organisé à l’initiative du ministère des Transports et en partenariat avec les acteurs de l’emploi et de la branche, où les demandeurs d’emploi pouvaient rencontrer directement des entreprises de transport offrant immédiatement des emplois, le plus souvent en CDI. Par ailleurs, le gouvernement a pris plusieurs mesures pour faciliter l’accès à la profession de conducteur, comme le maintien en 2020 de la taxe affectée à l’AFT, essentielle à la formation de conducteurs, l’ouverture, prévue par la LOM, de la conduite encadrée des véhicules lourds permettant un apprentissage anticipé du métier, la possibilité de financer le permis poids lourd avec son compte personnel de formation. En outre, l’État accompagnera les partenaires sociaux dans la réforme du congé de fin d’activité (CFA) des conducteurs.
J.-B. D. : Le gouvernement est conscient de l’importance du CFA pour l’équilibre social de la branche. Il est aujourd’hui essentiel que les partenaires sociaux engagent des négociations, comme ils s’y étaient engagés par le protocole du 19 avril 2017, afin de réformer le CFA, pour qu’ils répondent davantage aux enjeux de la profession. Afin que les négociations se déroulent dans un climat apaisé, l’État est prêt, si les partenaires sociaux le souhaitent, durant les trois prochaines années, à maintenir sa contribution financière au dispositif. Le gouvernement a souhaité accompagner les partenaires sociaux dans la révision du dispositif du CFA grâce à une mission qui apportera aux négociateurs un appui technique.