L’échange (musclé) entre la France et la Pologne avait commencé, dès le début de l’été, avec cette petite phrase d’Emmanuel Macron lors d’une interview accordée à plusieurs journaux européens : « l’Europe n’est pas un supermarché. Le travail détaché conduit à des situations ridicules. Vous pensez que je peux expliquer aux classes moyennes françaises que des entreprises ferment en France pour délocaliser en Pologne, car c’est moins cher, et que, chez nous, les entreprises embauchent des Polonais car ils sont payés moins cher ? ». Dans le viseur du Président de la République, la Pologne et son opposition ferme à toute révision de la directive européenne sur le travail détaché. Une position qui vise à défendre, non pas le fameux plombier polonais, mais bien le transporteur polonais, dont le pavillon truste la pole position sur les routes européennes. En écho à la petite phrase d’Emmanuel Macron, la Pologne avait rétorqué, par la voix de son ministre des Finances, que « le Président français a raison de dire que l’Europe n’est pas un supermarché. Mais, moi, je ne voudrais pas que les banques françaises, les supermarchés français puissent fonctionner chez nous sans restriction et que nos conducteurs routiers […] soient visés par des restrictions et des contraintes les empêchant de travailler ». Les escarmouches franco-polonaises ont repris de plus belle, ces derniers jours, à l’occasion de la tournée d’Emmanuel Macron dans les capitales de l’ex-Europe de l’Est. Le président de la République continue de défendre le principe « à travail égal, salaire égal ». Principe concrétisé par sa loi de 2016, lorsqu’il était ministre de l’Économie, laquelle loi prévoit une application du salaire minimum du pays d’accueil dès le premier jour d’entrée sur le territoire national, alors que les textes européens ne prévoient une application intégrale des normes sociales du pays d’accueil que pour les opérations de cabotage, c’est-à-dire au terme de la livraison internationale. De quel salaire parle-t-on ? C’est l’une des pommes de discorde du moment entre les camps regroupant, d’un côté, le groupe Pologne (dont l’Espagne) et, de l’autre, les 8 de l’Alliance du routier. « Prendre en compte uniquement le salaire de base français n’est pas équitable », déclare Jean-Marc Rivera, le secrétaire général de l’OTRE. À partir du moment où l’on inclut les frais de déplacement d’un côté et pas de l’autre (à l’Est, les frais représentent une part supérieure de la rémunération, Ndlr), il faut donc le faire de l’autre, y compris côté français. Si l’on prend en compte tous les éléments de la rémunération, ces pays qui ne payent pas de charges sociales sur les frais vont être gagnants. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il est indispensable d’établir les comparaisons sur les salaires de base. Un salarié détaché doit être rémunéré sur la base conventionnelle du pays d’accueil ». D’après le CNR (cité par Jean-Marc Rivera), 70 % de la rémunération totale d’un Polonais est composée de frais non chargés.
De son côté, Florence Berthelot rappelle que « M. Macron défend une certaine vision du détachement qui ne doit pas dépasser les 12 mois, au lieu de 24 ». La déléguée générale de la FNTR se montre confiante dans « la capacité de la France à accepter de maintenir, pour le compte du TRM, la disposition lui conférant un statut de secteur à très haute mobilité et, par conséquent, en droit d’obtenir des dispositions spécifiques en matière de détachement ». On touche, là, à la complexité d’organiser efficacement les contrôles sur le cabotage et de dater le temps à partir duquel, dans ce contexte de cabotage, est déclenchée la notion de détachement. Dès le 1er jour, au bout du 3e jour ? La question reste à trancher dans les semaines qui viennent. Aux yeux de Jean-Marc Rivera, la réglementation sur le cabotage est indissociable de la question du détachement. « Un véhicule étranger pourra rester à demeure sur le territoire national car la règle des 5 jours (de cabotage autorisé avec, en projet, un nombre d’opérations illimitées, Ndlr) sera difficile à contrôler ». En l’espèce, l’OTRE continue de défendre – seul instrument de contrôle véritablement efficace selon elle – l’idée d’une lettre de voiture dématérialisée, « infalsifiable ». La commission des affaires européennes du Sénat s’inquiète, elle aussi, de la nouvelle règle sur le cabotage annoncée par la commission. « La distance moyenne d’une livraison en France pour un transporteur national est estimée à environ 300 km. En 5 jours, il sera donc facile d’en faire plus que 3, au risque de déstabiliser un peu plus les entreprises locales ».