Les cravates et complets-vestons sombres ont presque disparu des assemblées de transporteurs, les dirigeantes d’entreprises assument pleinement leur place, l’interminable litanie des fonctions honorifiques — « cher Président de… » — s’est raccourcie. Un monde a changé. Me pardonnerez-vous, amis lecteurs, cette incartade au formalisme de l’édito ?
C’est bien exceptionnellement, et sans aucune prétention, que je m’adresse à vous. Tant d’épisodes contrastés s’imposent à moi alors que je m’apprête — un choix personnel — à quitter L’Officiel des Transporteurs, que j’ai rejoint en mai 1981. Collectées au cours de trois décennies bien tassées à observer ce microcosme du TRM, à recueillir l’info dans les salons feutrés comme dans les salles d’exploitation, à échanger avec vous, ces images illustrent chacune à sa manière une part d’histoire. Même si leur chronologie, au final, importe peu. Ainsi, j’aurai vu des entrepreneurs taxés d’individualisme rallier en nombre les groupements d’entreprises. Et des organisations professionnelles rivales se rapprocher jusqu’à emménager dans un « sweet home » commun. Il m’est apparu que deux ministres des Transports communistes ont laissé plus de traces positives de leur passage que des hommes politiques prétendument amis.
Il m’aura été donné d’assister à l’ouverture des frontières européennes, puis à la montée des antagonismes entre les blocs Ouest-Est. Et comment ne pas saluer les efforts d’adaptation consentis par les transporteurs pour surmonter près de dix années de crise économique.
Comme beaucoup d’entre vous, j’ai sursauté à l’annonce des camions rouges cédés du jour au lendemain à un magnat nord-américain.
Je me souviendrai plus certainement des larmes dans les yeux de ce bennier picard alors que son fils venait de décliner son invitation à lui succéder. Il me restera surtout en mémoire beaucoup de moments de joie partagés. Je vous en remercie.
ANNE MADJARIAN