Pour prendre le pouls des acteurs de la logistique sous température dirigée, le rendez-vous annuel de la Chaîne logistique du froid (CLF) est promis à devenir incontournable. Pendant deux jours, les 8 et 9 juin à Bordeaux, l’union nationale du transport frigorifique (UNTF), l’union syndicale nationale des exploitations frigorifiques (USNEF) et Transfrigoroute France ont tenu leur assemblée statutaire respective, puis organisé leur séminaire de concert. L’événement a réuni plus d’une centaine de professionnels et chefs d’entreprise (transporteurs, entrepositaires, prestataires de services informatiques, carrossiers industriels…), mûs par le rapprochement des trois structures acté en octobre 2016 et cohabitant sous le même toit, rue Képler à Paris. Le but : identifier des projets d’intérêt commun et coordonner des actions collectives. « Nous devons avancer ensemble sur plein de dossiers : coût de l’énergie, traçabilité des produits, production de froid, livraisons urbaines, normes environnementales… La révolution numérique et la venue de nouveaux acteurs du web(1) font aussi partie de nos préoccupations. Nous avons donc tout intérêt à animer ensemble des groupes de travail métier et techniques », confie Philippe Antoine, président de l’UNTF, en présence de Jean-Marc Platero (Transfrigoroute) et Jean-Eudes Tesson (président de l’USNEF).
Le rapprochement s’est imposé pour trois motifs. Le premier tient au fait que nombre d’opérateurs du secteur frigorifique sont aussi bien transporteurs qu’entrepositaires, devenus multispécialistes (et de ce fait cotisent à deux, voire aux trois organisations). La deuxième raison était économique. La pression sur les prix de vente incite l’ensemble des opérateurs frigorifiques à chercher des synergies et bonnes pratiques partagées, pour mieux maîtriser les coûts d’exploitation (en entrepôt ou sur route). Le troisième tient du lobbying, poussant les logisticiens du froid à parler d’une même voix auprès de l’administration et des institutions professionnelles des filières amont et aval (grande distribution, industriels de l’agroalimentaire et du secteur de la santé). Avec deux documents produits sur deux problématiques sensibles : un process de réception simplifié (en sept étapes, de la présentation du véhicule à la restitution des lettres de voiture individuelles) et une fiche technique de chargement des surgelés (en dix points, avec prérequis en matière de prérefroidissement avant chargement, de circulation d’air dans la caisse et d’ouverture de portes). « Ces bonnes pratiques doivent être le plus largement diffusées et appliquées. Elles visent aussi bien les chauffeurs que les chargeurs », souligne Valérie Lasserre, secrétaire générale.
Cette synergie a donné son premier fruit au sujet du dossier de la tolérance zéro, jugée extrême, sur les températures des produits réfrigérés. Dossier sensible pour des raisons sanitaires des aliments, il a fait l’objet d’une action déterminée de la CLF. Laquelle a abouti à une note de service du ministère de l’agriculture et de l’agroalimentaire (DGAL/SDSSA n° 2017-425, du 10 mai 2017) qui révise le protocole de contrôle des températures au stade de leur livraison-réception. La réglementation reste la même mais la tolérance est assouplie (de quelques dixièmes de degré), en tenant compte de critères très précis : prise immédiate de températures à l’ouverture des portes, contrôles à cœur, usage de thermomètres à sonde (ce qui exclut les appareils à visée infrarouge et à laser)… Le nouveau protocole ne porte pas préjudice à la sécurité des produits. « Nous avons avancé dans la bonne direction et capté l’attention de l’administration sur ce sujet techniquement complexe », indique Valérie Lasserre. Notons que la note de service a été signée par l’interprofessionnelle, dont l’ANIA, la FIA, la FCD et Syndigel.
La CLF a également choisi de s’impliquer dans les problématiques des livraisons urbaines. Sous l’œil d’élus devenus vigilants, les contraintes réglementaires locales (gabarits des véhicules, horaires de circulation, normes antipollution…) se multiplient. Les nuisances sonores et polluantes, ainsi que les congestions de circulation, donnent lieu parfois à des décisions impraticables. Les transporteurs sont en première ligne, appelés à rentrer dans les clous. « Nous devons participer aux travaux qui se mettent en place dans les grandes agglomérations, proposer des solutions et ne pas subir », rappelle Philippe Antoine. À Bordeaux, agglomération de 750 000 habitants, une charte de mobilité, signée en 2015 par Alain Juppé, régit l’accès en centre-ville (véhicules de – 7,5 t autorisés de 7 h à 11 h). Le bilan n’est pas encore concluant, ne satisfaisant personne (ni la mairie, ni les riverains, les commerçants, ni les transporteurs). Dans ce domaine, le travail du Club Demeter, tourné vers l’expérimentation et l’innovation responsable, est précieux. « À Bordeaux, nous voyons tout l’intérêt de travailler en concertation avec les élus, la CCI et les professionnels. Les objectifs sont clairs. Après, dans la pratique, il faut savoir corriger le tir quand l’expérience ne donne pas le résultat attendu », précise Thierry Allègre, directeur Support Opérations pour Martin Brower France et président du Club Demeter. Le bruit demeure un sujet majeur, source de tensions avec les riverains, ce qui freine les projets de livraisons nocturnes. « Il ne suffit pas d’avoir des matériels silencieux. Il faut également généraliser les comportements vertueux de la part des livreurs », souligne Gérald Cavalier, président du Cemafroid, et promoteur de Certibruit. À ce titre, le parc de matériels frigorifiques s’avère disparate. Ainsi, 76 % du parc est monotempérature et 24 % multitempérature. 56 % sont des VUL. 94 % des matériels font l’objet d’une isolation renforcée. En 2016, le Cemafroid avait fait le constat d’un « parc roulant en contraction » et d’un cycle de renouvellement imminent.
Les cadres réglementaires ne sont pas les seules causes de bouleversement des chaînes d’approvisionnement et de livraisons. L’adaptation de la supply chain aux nouveaux modes de consommation et d’échanges (fragmentation des achats, perméabilité des marchés, agrégation des offres commerciales, désintermédiation dictée par les plateformes web…) contient le ferment d’un chamboule-tout. Avec cette question : qui seront les commerçants demain ? « Le transport routier est certainement le domaine où le mouvement vers la plateformisation est le plus visible et le plus avancé. Les flux physiques aussi importants que les flux de données, synchronisés et mis en synergies », a rappelé un représentant de GS1 France. Menace ou opportunité ? « À l’époque de la ruée vers l’or, ceux qui ont fait fortune ne sont pas les chercheurs d’or, mais ceux qui leur vendaient des pioches et des pelles », souligne Jean-Eudes Tesson. Une façon de dire que l’économie réelle n’a pas encore baissé pavillon devant les mirages de l’économie virtuelle !
En 2017, l’UNTF, née sur les décombres du GRDP, a fêté ses 10 ans. Elle compte 63 adhérents actifs, un effectif en léger recul après les démissions de Dispam (84) et de G7 (74), et tenant compte des rachats de TGC (35) par Le Calvez et de Galvaing (63) par Olano. « Nous devons remobiliser nos troupes et faire a adhérer de nouvelles entreprises », préside un membre du bureau. Au sein du conseil d’administration de l’UNTF, Cédric Pedretti (Transports Pedretti) a été remplacé par David Charvier (XPO Logistics). Devant les adhérents, le recrutement d’Édouard de Ferrières (ex-chargé de mission au sein de l’Union maritime et fluviale de Marseille-Fos) a été annoncé, qui entrera en poste à partir du 1er septembre 2017. Aux côtés de Valérie Lasserre, il s’occupera de la communication et des relations publiques de la chaîne logistique du froid. En 2018, l’UNTF tiendra son assemblée générale les 17 et 18 mai, à Paris. Ce sera dans le cadre de la grande exposition sur le froid, du 5 décembre 2017 au 26 août 2018 à la Cité des Sciences de La Villette, organisée par l’Association Française du Froid (AFF). Le but de l’expo : « faire découvrir au plus grand nombre le froid artificiel et ses multiples applications de l’alimentation à la santé, du conditionnement d’air à l’imagerie médicale, du zéro absolu aux températures ambiantes… », précise Gérald Cavalier (Cemafroid). B. B.
(1) Le sujet a donné lieu à deux interventions remarquées de Maxime Le Gardez (Convargo) et de Lucien Besse (Shippeo).