Herve Street : De mon point de vue, c’est une profession qui va beaucoup évoluer de par la croissance du marché et l’appétence des clients du e-commerce pour les services à domicile. Deux grands rendez-vous seront à assumer au cours des prochaines années ; celui de la pseudo-économie collaborative et celui de la mutation vers une énergie décarbonée voire « départiculée ». Ces enjeux imposent aux entreprises du secteur de s’inscrire, comme nous les y invitons, dans un schéma directeur et de continuer dans la voie de la professionnalisation.
H. S. : Nous n’avons pas de chiffres en notre possession qui nous permettent de faire ce bilan. Je constate que la DREAL, en Ile-de-France par exemple, fait le maximum pour faire appliquer la loi mais qu’elle manque de bras. Notre rôle, au SNTL, est de pousser dans ce sens, au nom d’entreprises vertueuses et pérennes. On est précautionneux, rigoureux sur des critères objectifs : bilans financiers, déclarations à jour, l’inscription au registre des transporteurs… Nous devons sortir le transport léger de sa marginalité historique. Nous ne sommes pas une auberge espagnole.
C’est dans cet esprit que nous venons de lancer le « Label du transport léger responsable » qui s’obtient après signature de la « Charte du transport léger responsable ». Celle-ci regroupe tous les éléments légaux et réglementaires que se doit de respecter une entreprise pour exercer légalement et moralement son activité de transporteur léger. Ce label vise à valoriser le respect de ces règles qui sont bien souvent un gage de qualité des prestations proposées.
H. S. : Le transport léger, jugé pas ou peu rentable, a pu paraître comme le parent pauvre dans le transport, représentant une armée de sous-traitants sous le joug des donneurs d’ordres. Mais les temps changent et je me refuse à le laisser dire. Les acteurs du transport léger s’émancipent. Ils ont accès aux clients en direct, proposent de nouveaux services, apportent une valeur ajoutée, en particulier dans l’univers urbain de plus en plus interdit aux poids lourds.
H. S. : Cette deuxième version du contrat type sous-traitance, attendue en effet, ne va tout régler. C’est utile qu’il y a un socle mais au vu de la multiplication des cas et des jurisprudences qui évoluent, il ne faut pas demander plus au contrat type qu’il ne peut garantir. Je suis davantage pour la contractualisation entre entreprises, entre clients et prestataire. C’est plus efficace. De ce point de vue, les entreprises du transport léger doivent prendre leur destin en main.
H. S. : Le rapprochement de TLF (nous y sommes affiliés) et de la FNTR opéré en 2016 va déjà dans ce sens du renforcement de la représentation du TRM.
Sur un certain nombre de sujets, nous avons des positions concordantes. L’essentiel est que ces 2 fédérations aient une voix qui soit forte. Je suis d’ailleurs ravi de constater que, chacune à sa manière, FNTR et TLF disposent de leur représentativité en transport léger. L’OTRE aurait également des adhérents en transport léger, selon les déclarations de certains de leurs dirigeants. Cela étant, la nature des fédérations est différente.
H. S. : Nous ne déterminons pas nos positions par rapport à celles de l’OTRE. Pour autant, j’espère que nous avons des points de convergence et que, dans l’avenir, il y en aura encore plus. La profession est en souffrance, ses résultats sont tenus. Elle possède 2 handicaps selon moi : elle intègre beaucoup d’actifs humains et d’actifs corporels. Quand vous êtes banquier, vous vous dîtes qu’il est préférable d’aller voir des plateformes collaboratives… Nous ne sommes pas assez « asset light » pour les banques ; nous sommes, au contraire, « asset heavy » (lourds)…
H. S. : Quelle est la vocation de ce « Paquet routier » ? S’entendre sur un socle social ? Une couverture sociale minimum des conducteurs ? Des temps de travail ? Des PTRA ? Quelle est la feuille de route pour les 5 prochaines années ? Où veut-on aller dans le transport paneuropéen ? On pourra parler de « Paquet routier » européen quand on aura fait l’Europe sociale. À l’heure actuelle, celle-ci n’est pas réalisée et je ne vois pas comment élaborer un « Paquet routier » européen sans avoir posé la première pierre de l’édifice qui est d’afficher les conditions sociales d’exercice de la profession. On doit parler du temps de travail, de rémunération du travail, d’accords collectifs, d’accords de branches… On n’en prend pas le chemin.
H. S. : La situation actuelle est difficilement tenable. Il y a urgence à avoir des marqueurs sur un certain nombre d’années avec des points de rendez-vous pour tendre vers une convergence. Cette vision manque dans l’Union européenne en général et dans l’Europe des transports en particulier. J’ajoute que le projet de smic européen dont on entend parler depuis longtemps est un socle minimal qui, par définition, sera forcément tiré vers le bas. Ce qui ne va pas manquer de créer, en France, un certain nombre d’inquiétudes chez les salariés. Aujourd’hui, nous avons une Europe à la petite semaine qui expédie les affaires courantes dans un contexte de Brexit et de Frexit. Si on procédait à un vote en France aujourd’hui, je ne suis pas convaincu que l’adhésion en faveur de l’Europe serait forte. C’est un problème sociétal. L’Europe est-elle en mesure de nous donner une vision avec une convergence ? Je n’en ai pas le sentiment.
H. S. : Il faut terminer la citation : « N’importe qui peut devenir conducteur de VUL en Europe sauf en France ». Le transport c’est une serrure avec une vue sur l’Europe. Soit on s’oriente vers une Europe entièrement libérale et, dans ce cas, on va libéraliser le transport et d’autres secteurs économiques. Soit on réglemente. La France a décidé de réglementer l’accès à la profession du transport léger et l’Europe vient avec la tentation d’harmoniser par le bas. Un choix de société est posé. Nous préconisons une harmonisation et une professionnalisation par le haut avec l’espoir de créer de vrais métiers. Star’s Service compte aujourd’hui 3 000 collaborateurs. Nous avons noué au sein de l’entreprise un partenariat avec l’Université Paris-Dauphine et Euromed Management à Marseille pour donner à nos salariés de réelles conditions de formation. Notre but, c’est d’être professionnel.
H. S. : Qu’est-ce qui paralyse la profession du transport aujourd’hui dans le recours à cet outil ? D’abord, son coût qui est élevé, à l’installation et au suivi (dans ma société, à un moment, je comptais 7-8 personnes mobilisées pour le contrôle du chronotachygraphe). C’est extrêmement chronophage.
Je pense que, dans sa forme actuelle, le chronotachygraphe n’est pas adapté au transport léger. En revanche, on pourrait l’envisager sous une forme smartphone, avec des outils tout à fait contrôlables dotés d’un certain nombre de prérogatives et d’un cahier des charges, sans que nous soyons contraints de réinventer la poudre sur des véhicules.
H. S. : N’ayons pas peur des mots : utilisons un outil disruptif qui permette de contrôler ce que l’on veut ! Car que voulons-nous contrôler finalement ? Que le conducteur est bien dans son temps de travail normal, qu’il respecte son temps de pause normal, que le temps entre ces deux temps soit normal… Par conséquent, nous n’avons pas envie d’installer une usine à gaz dans le véhicule qui renchérisse son coût, ni de passer notre temps à lire des cartes.
Je considère que, dans la vie, il n’y a pas de position tenable ou intenable. Je dis simplement qu’il existe sans doute une position qui satisfasse l’ensemble des parties. Il nous faut quelque chose qui soit adaptable et adapté.
H. S. : Oui, je le pense. Prenons un raisonnement par l’absurde : demain, je souhaite devenir dentiste, vous également, d’autres aussi. Est-ce que, si l’on s’installe sauvagement, on fera changer la législation ? Je ne le crois pas. On nous dira qu’on n’a pas le droit de briguer cette profession. Dans ce cas, pour quelles raisons laisse-t-on toutes ces plateformes collaboratives pénétrer un métier qui est réglementé ?
Faut-il changer la loi sous prétexte qu’il existe des acteurs qui exercent une activité qui n’est pas légale ? Si oui, dans ce cas, changeons la loi sur la propriété, sur le viol, etc.. Changeons la loi sur un certain nombre de sujets car, a priori, il n’y aurait aucune raison de ne pas vivre comme des barbares. Et si on est 300 ou 400 à vouloir vivre comme des barbares, on a qu’à changer la loi !
H. S. : Plutôt que de réformer le Code du Travail — et il faut le réformer — on a créé ce phénomène. Je rappelle que, dans le transport léger, nous n’avons pas de numerus clausus et que, jusqu’à preuve du contraire, nous satisfaisons nos clients. Pour quelles raisons devrions-nous remplacer des salariés par des précaires ? Le marché du colis est en train d’exploser. On crée de l’emploi, du véritable emploi qui est productif de cotisations sociales, de couvertures d’accident maladie et du travail, de congés payés… Pourquoi irions-nous le remplacer par Stakhanov, par de la précarisation ? Si vous ouvrez la boîte de Pandore dans le transport, ce sont des pans entiers de la société française qui iront vers la précarité.
H. S. : Le social ne doit pas être traité par petites touches sauf à devenir illisible. Ainsi la convention collective est à moderniser en même temps que le code du travail et surtout à alléger. La mise en place d’une formation obligatoire initiale des conducteurs du transport léger demeure toujours dans les limbes. Apprendre ce métier n’exige pas trois mois de formation. Une semaine suffit et, dans ce cas, il s’agit bien d’un marche-pied pour l’accès à un métier. Sur le congé de fin d’activité, nous avons laissé TLF monter au créneau, sachant que la profession doit trouver les moyens de ses ambitions.
H. S. : La Charte Marchandises de la ville de Paris servira probablement de modèle à d’autres agglomérations. Nous sommes présents au travers du syndicat et du Gatmarif (Groupement des activités de transports et de manutention de la région Ile-de-France). Nous avons choisi d’être force de propositions, dont nous sommes en cours d’écriture pour la Mairie de Paris. C’est compliqué car très politique. Il faut satisfaire le maximum de votants, donc d’électeurs. Or, nos camions ne votent pas. C’est une position difficile à tenir. Il faut faire en sorte que nos villes soient propres silencieuses et préservées. Nous avons donc besoin de l’accompagnement du politique et non pas de sa coercition pour que des constructeurs nous fassent de réelles offres de véhicules électriques. Pour l’instant, ils ne sont pas prêts à y aller ou s’y mettront le plus tard possible.
H. S. : Il faut que l’on nous facilite la vie. On ne peut pas avoir de véhicules sans bornes pour les recharger ou avoir des bornes disponibles seulement en journée car elles seraient réservées la nuit aux riverains. Nous travaillons la journée aussi ! Nous avons très bien compris que Paris ne souhaite plus de véhicules diesel en ville à l’horizon 2020.
H. S. : Pour 2020, c’est compromis… Nous ne serons peut-être pas au rendez-vous. Non pas parce que nous ne le voulons pas, parce que nous ne pouvons pas ! Aujourd’hui, il ne m’est pas possible de transformer toute ma flotte en véhicules électriques. Je ne peux pas substituer des véhicules de 3 m3 ou 14 m3.
On ne tape que sur les professionnels, pas sur les Parisiens. En 2020, ce seront les véhicules diesel des transporteurs qui seront concernés. Il faut nous donner de l’espace urbain. D’ailleurs, Star’s Service inaugurera bientôt un réseau de 100 bornes à usage privé parce que nous ne pouvons pas nous brancher au réseau de la ville malgré les bornes existantes. Ce n’est pas suffisant. Nos besoins sont bien plus importants mais si chacun fait un effort, on peut parvenir à quelque chose. Il nous faut l’aide. Seuls nous n’y arriverons pas.