La lourde amende de 2,93 Md€ infligée en juillet 2016 par la DG Concurrence aux constructeurs de poids lourds européens (Daf, Daimler, Iveco, Volvo/ Renault) qui se sont entendus sur les prix incite peu à peu les transporteurs à étudier les contours d’une indemnisation pour préjudice subi. À lire la notification de la décision bruxelloise, publiée en langue anglaise, on mesure mieux la pugnacité dont a fait montre la commissaire européenne chargée de la concurrence, Margrethe Vestager. « C’est bien un cartel paneuropéen qui a été organisé sur la période 1997-2011 », analyse Laurent Geelhand, avocat associé auprès du cabinet Hausfeld. Le paragraphe 53 de la notification cible le marché français. D’une part, les constructeurs ont estimé que les prix pratiqués étaient trop bas. « Très probablement, les transporteurs français ont subi un préjudice. Le paragraphe 53 est une excellente nouvelle pour les entreprises françaises. Le communiqué de la DG Concurrence fait, d’ailleurs, mention d’échanges sur les prix nets. On a atteint un degré d’escroquerie que j’ai rarement vu. D’autre part, au regard des normes d’émissions polluantes, un accord a été signé pour ne pas commercialiser sur le marché un véhicule six mois avant que cela soit obligatoire. C’est le syndrome du cartel « hardcore » pur et dur. Ces amendes reflètent la duplicité du secteur des constructeurs. Aux États-Unis, les participants à un cartel de ce type auraient été poursuivis au pénal et condamnés à trois ans de prison. Nous accompagnons aujourd’hui les entreprises pour évaluer les préjudices, poursuit Laurent Geelhand. Pour certains, nous établissons les bases d’une future négociation avec les constructeurs. En France, nous avons fédéré, à ce jour, 200 entreprises au total, soit 120 000 camions achetés entre 1997 et 2011 ». Le cabinet anglo-saxon continue son tour de France et participe à diverses réunions d’information afin de présenter le modus operandi aux fédérations professionnelles régionales et départementales (Ain, Nord, Corrèze, Deux-Sèvres). La neutralité bienveillante des fédérations nationales (FNTR, TLF, Unostra, OTRE) n’interdit pas ces rencontres sur le terrain.
Le travail d’analyse des données a commencé. « Il s’agit de faire du “data crunching” c’est-à-dire un décryptage des données pour alimenter des modèles économiques et économétriques, expose l’avocat associé chez Hausfeld. Notre approche se veut triple. Pour les grands groupes de transport, nous travaillons au cas par cas en “one to one”. Pour les PME régionales, nous constituerons un consortium de 50 entreprises afin de négocier avec les constructeurs pour une flotte de 100 000 véhicules ». Enfin, pour les petits transporteurs (TPE), Hausfeld constituera une structure spécifique pour une flotte de véhicules estimée à 100 000 au total. Le cabinet spécialisé en contentieux international et en droit de la concurrence se donne quatre mois avant d’envisager sa stratégie judiciaire. « Nous déciderons en septembre si nous allons au contentieux », annonce Laurent Geelhand. Les transporteurs sont également approchés par le cabinet Carving (69), spécialisé en fusions-acquisitions, qui préconise des démarches d’indemnisation devant les tribunaux compétents en France (il vise les flottes de plus de 100 véhicules). « Nous voulons apporter notre expertise métier pour faciliter la collecte des informations dans les entreprises qui précèdent le travail de modélisation économique et le choix de la stratégie juridique », précisent Jean-Claude Michel et Khalid Hamdouch, au nom de Carving. Les deux hommes jugent, néanmoins, que des « négociations (sont possibles) avec les constructeurs s’il s’avère qu’une issue transactionnelle peut être trouvée dans l’intérêt de l’ensemble des parties ».
En parallèle, le cabinet britannique Bentham prospecte lui aussi les transporteurs français. Une manière de dire que ces deux cabinets ont une stratégie marketing reconnue mais qu’ils ne sont pas spécialisés en contentieux international. « Il faut toujours laisser sa chance à la négociation et à la transaction avant d’aller au contentieux car ce n’est pas une fin en soi, résume Laurent Geelhand. Notre expérience montre qu’il faut aller dans les États où les intérêts des transporteurs seront le mieux défendus, en l’occurrence au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Pays-Bas. »