Faut-il acheter des véhicules au gaz et pour quels usages ? Les transporteurs porteurs du projet equilibre — Megevand, Sotradel, Magnin, Prabel, Jacky Perrenot et Transalliance — apportent aujourd’hui de premiers éléments de réponse, en publiant les résultats intermédiaires de leur expérimentation. Ceux-ci portent sur l’exploitation, sur six mois, des six premiers véhicules (sur 15 prévus), des tracteurs 44 t Daf, Iveco, Scania ou Volvo : trois à motorisation gaz et trois diesel (Euro 6).
Les données collectées ont été analysées à partir de trois facteurs jugés déterminants pour les consommations de carburant et les émissions de polluants : le type de voirie empruntée (autoroute, route, urbain…), dont dépend la fréquence des accélérations ; le cumul de dénivelés positifs sur le trajet, plus révélateur qu’une moyenne calculée sur un trajet ; et enfin le poids total en charge (PTEC) du véhicule, selon la terminologie propre à Equilibre.
Premier constat : en toutes circonstances, les poids lourds au GNV affichent des niveaux d’émission de dioxydes d’azote (NOx) inférieurs à ceux de leurs concurrents diesel (environ 3 fois moins sur autoroute, presque 4 fois moins en traversée d’agglomération). Des taux qui sont d’ailleurs inférieurs au niveau du référentiel de la norme Euro 6.
La lecture détaillée des résultats (voir p. 8-9) peut apporter des réponses plus personnalisées aux transporteurs qui s’interrogent : « En reconnaissant ses usages dans ce tableau(*), chacun peut tirer des conclusions pour sa propre exploitation », assure Pascal Mégevand, co-coordinateur d’Equilibre. Prenons l’exemple d’un transporteur dont l’un des PL circule essentiellement sur autoroute. Dans le cas où il opte pour le gaz et s’il effectue un trajet de 100 km comportant 0,56 km de dénivelé positif cumulé (comme pour le n° 1), il peut s’attendre, pour un PTEC de 24,3 t, à une consommation de 24,3 kg et à des émissions de 8,9 g de NOx. Des chiffres qu’il pourra comparer avec ceux qu’il constate avec son véhicule habituel.
En zone urbaine dense, les consommations de gaz et de diesel sont, dans ces résultats, à peu près similaires. Mais les transporteurs spécialisés en distribution urbaine peuvent voir confirmer, chiffres à l’appui, que les niveaux d’émission de NOx des véhicules au gaz leur donnent un avantage concurrentiel pour répondre à la demande des collectivités locales.
Sur les routes de campagne, le véhicule n° 1, au gaz, consomme et émet peu, alors qu’il est celui qui gravit le plus de côtes. Un résultat intéressant, mais une analyse plus fine sera cependant faite sur ce type de routes, très diverses notamment du fait des décélérations-accélérations qui y sont nécessaires. « On ne peut pas déduire des niveaux de consommations et d’émissions simplement à partir des vitesses, commente Pascal Mégevand. La proportion de ronds-points, de courbes ou de stop & go a un impact très fort. Mais ce que nous constatons globalement, c’est que plus les conditions sont complexes, plus le gaz est intéressant ». Il incite donc ses confrères à remettre en cause l’idée préconçue selon laquelle la route coûte forcément moins cher que l’autoroute. « Nous découvrons des tas de choses, ajoute-t-il. Par exemple, que les manœuvres peuvent représenter jusqu’à 11 % des consommations ! Contrairement à ce que je pensais, l’hybridation peut donc être intéressante, pour passer en électrique lors de ces phases. Ces résultats nous font revoir nos préjugés ».
Autre point de réflexion : « Avec des véhicules gaz de 340 ch, les rapports de consommation sont déjà très intéressants par rapport au diesel, assure David Billandon, responsable QSE de Sotradel et co-coordinateur d’Equilibre. Alors qu’en sera-t-il avec les modèles de 400 ch, en cours de livraison ? ! Nous nous demandons s’il y a vraiment un intérêt à acquérir des PL diesel de 450 ch. L’économie réalisée sur la puissance peut être investie dans le confort des conducteurs ». Des conducteurs qui, même s’ils aiment les « chevaux », disent apprécier le silence et l’absence d’odeur du gaz naturel véhicule.
Quant aux différences de performances entre camions, pas question pour les responsables du projet d’effectuer un comparatif entre marques. « D’autant, assure David Billandon, qu’un véhicule pourra être bon sur un type de route et moins sur un autre ». Les constructeurs sont cependant avertis en cas d’anomalie, comme cela a été le cas du producteur du n° 6, dont les données, étrangement élevées, ont dû être exclues de l’analyse.
« Tous ces résultats doivent nous permettre de proposer une grille de lecture juste à l’Europe, qui prépare une taxation CO2 », assurent ces transporteurs qui, de fait, appellent leurs confrères à rejoindre l’association Equilibre pour asseoir la légitimité du projet… Et pour pouvoir accéder à l’outil d’aide à la décision qui sera produit courant 2018.
Les résultats actuels et futurs du projet peuvent être considérés comme fiables, car ils sont produits dans le cadre d’un protocole scientifique rigoureux. Les chercheurs de l’Ifsttar(*) ont effectué une analyse statistique à partir de trois types de données collectées par le Centre de recherche en machines thermiques (CRMT) et la société Truckonline : celles enregistrées dans le système embarqué habituel ou dédié au projet (sondes Nox, capteur GPS spécifique, etc, soit 9 000 € d’équipement par PL), les informations notées par les conducteurs dans leur journal de bord (lieux et heures de chaque attelage ou dételage, charges embarquées, pleins carburant, etc, avec contrôles aléatoires de fiabilité) et celles, fournies notamment par l’IGN, de caractérisation des trajets (type de route, domaine public ou privé…).
Ces données concernent le roulage (manœuvres exclues, donc). Celles des véhicules au gaz (1, 2 et 3) sont en vert et celles des véhicules diesel (4, 5 et 6) en marron (ou en gris et non incluses dans les analyses, pour le n° 6, qui semble avoir une anomalie).
« Pour lire ce tableau, explique Pascal Megevand, un confrère doit d’abord identifier le pourcentage réalisé sur chaque catégorie de route par son camion, ainsi que le type de dénivelé correspondant à ses trajets. À partir de là, il est en mesure calculer les consommations et les émissions auxquelles s’attendre avec un véhicule au gaz ».
(*) Il sera publié aussi sur www.projetequilibre.fr
Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux