L’univers mirifique des plateformes collaboratives et celui merveilleux de l’open data ne peuvent faire oublier que le commerce sous-tend des rapports de force, tant il influe sur des valeurs de fonds de commerce, de patrimoine et de parts de marché. L’irruption des nouveaux acteurs de la digitalisation (bourses de fret, suivi et pilotage de flux de transport, agence de notation…) le rappelle sans détours. Le monde du TRM a vu surgir de jeunes entrepreneurs brillants, ambitieux, incarnant le mode start-up dans un secteur jugé old school. Ils ont levé des millions, actionné leurs réseaux « nouvelles techno » soudain alléchés par le « gâteau » du transport évalué à 43 Md€ en France et à 300 Md€ en Europe. Ils ont surtout bénéficié d’une triple conjonction : les pouvoirs accrus de la géolocalisation, via le camion, le smartphone et bientôt les objets connectés ; l’ouverture de bourses de fret aux chargeurs, qui peuvent dicter les prix en réinventant la TRO en version 4.0 ; l’émergence des applications mobiles individualisées liées à la multiplication des canaux d’informations. Autrement dit, les PME et ETI du transport voient leurs clients chargeurs sollicités, démarchés, amadoués. C’est une rude concurrence, d’autant plus mal vécue que nombre de transporteurs sont aussi commissionnaires. Ils voient cette activité, qui génère de la marge, leur échapper et redoutent d’être ramenés au rang d’exécutants. Faut-il pour autant monter des barricades ? Fermer les yeux serait suicidaire mais faire blocus serait inopérant. Car il est difficile d’ignorer que la pression vient des chargeurs, dont ceux de la grande distribution, en quête d’informations en temps réel, de traçabilité garantie, d’indicateurs de gestion fiables. Et compliqué de ne pas croire à la généralisation des smartphones, pour les conducteurs, et des portails web. Résultat : face aux start-up, une majorité de transporteurs, toujours désireux d’être pérennes, vont chercher à rester maîtres de leurs données d’exploitation et de géolocalisation, à cloisonner l’information pour ne délivrer que celle qui intéresse le client (la phase de livraison par exemple), à retourner voir leurs clients et à ficeler les contrats. Avec en tête cette nouvelle maxime : la maîtrise des flux de data (le faire savoir) se fait autant valoir que celle des flux physiques (le savoir-faire).
Éditorial